Histoire des salons de Paris. Tome 3. Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Histoire des salons de Paris. Tome 3 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

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était, malgré ce que je viens de dire, un fort beau bal, mais avec le grand inconvénient d'une fête donnée sans maîtresse de maison. Il y avait du froid, et pourtant on devait craindre la licence dans un lieu où nul frein n'était apporté pour réprimer un excès.

      C'est à cette même époque du bal des Victimes que madame Tallien était dans le plus beau moment de ses triomphes; la rare perfection de sa personne avait reçu un complément tellement parfait, qu'en vérité, une femme aussi belle est une merveille de la création que Dieu doit rarement donner à la terre. C'était elle qui protégeait aussi la coiffure à la Victime, parce qu'elle lui seyait miraculeusement. Quant à la contredanse, elle ne s'en mêlait pas: je ne l'ai jamais vue danser. Et pourtant si elle était grande, elle ne l'était pas trop pour danser; et, au moment où je parle, elle était svelte comme une biche et parfaitement élégante. Une seule fois je lui vis danser une anglaise, ou plutôt la marcher… Chez elle, à la chaumière de Chaillot, elle recevait du monde, mais sans donner de bals. On y jouait très-gros jeu, on y soupait, on dînait, et voilà comment la vie se passait.

      Quant au bal Thélusson, il était bien composé aussi, mais moins bien pourtant que le bal Richelieu. J'ai vu dans ce dernier une foule de noms qui seraient aujourd'hui sur la liste de la personne la plus difficile de Paris; tandis qu'au bal Thélusson ils étaient plus rares, et d'autres plus abondants. Mais un bouleversement bien sensible pour nous, qui aimons tant nos plaisirs, était celui qui avait eu lieu dans le Théâtre-Français; ce théâtre était tout à fait détruit: la moitié des acteurs avaient été enfermés, les hommes à Picpus et aux Madelonnettes, et les femmes aux Anglaises et à Sainte-Pélagie… Les hommes étaient: Fleury, Dazincourt, Saint-Prix, Larochelle, Champville, Dupont; les femmes: mademoiselle Raucourt, mademoiselle Contat (l'aînée), mademoiselle Contat (la cadette), mademoiselle Lange, mademoiselle Devienne, et quelques autres encore; toute la comédie enfin, car mademoiselle Mars n'était pas alors ce que nous avons depuis trouvé en elle, un diamant sans prix.

      C'était une chose remarquable que plusieurs de ces comédiens que je viens de citer…: mademoiselle Raucourt, mademoiselle Contat (l'aînée), mademoiselle Lange, mademoiselle Devienne… Oh! celle-là, quelle adorable actrice! quel cœur d'or en même temps, mais quel talent!.. Ah! qu'on est triste, lorsque le souvenir des bonnes soirées qu'on passait à la Comédie-Française vient vous traverser la pensée au milieu d'une représentation comme une certaine à laquelle j'ai assisté il n'y a pas longtemps; c'était une comédie… je ne veux nommer ni la pièce ni les acteurs, mais c'était bien mauvais. Il n'y a plus maintenant que Firmin, Ligier et Monrose. Qu'est-ce que le reste27?.. qu'est-ce que… mais silence.

      La Comédie-Française fut enfin délivrée; ce furent, quoi qu'en disent de certains livres fort bien écrits, mais très-infidèles, deux camarades en querelle avec eux qui les firent sortir de prison et s'exposèrent à la mort: ce fut Talma, aidé de Dugazon.

      La biographie de quelques-unes de ces personnes intéressera peut-être, étant surtout fort exacte et fidèle pour ce qu'elle rapporte des événements de l'époque.

      Mademoiselle Raucourt28 était une personne d'une beauté achevée. Née en 1750 à Nancy, elle avait quarante-trois ans lorsqu'elle fut arrêtée, et elle était encore belle à étonner à ce moment. Sa beauté avait fait son premier succès. Naturellement très-forte, le timbre de sa voix s'en était ressenti, et il était souvent rauque et dur; sa diction était juste, mais ses intonations ne l'étaient pas toujours. Elle avait reçu une bonne éducation, et voulut suivre la carrière du théâtre: à dix-sept ans elle quitta Nancy, et alla débuter à Pétersbourg; à vingt-deux ans elle revint à Paris, et débuta dans les rôles de Didon, Émilie, Idamé, etc. Jamais une plus belle femme n'avait paru sur le théâtre: elle excita une admiration folle et passionnée; on payait une place de parterre UN LOUIS, somme énorme pour ce temps-là. Elle eut une vogue qu'aucune actrice n'a vu se renouveler depuis. Les présents les plus riches, les cadeaux les plus ingénieux, les dons les plus rares, lui furent prodigués. Madame Dubarry lui donna un jour, à Versailles, après une représentation où elle avait joué Mérope avec une grande perfection, un collier de diamants, estimé 10,000 francs.

      – Soyez sage surtout, lui dit madame Dubarry.

      Louis XV vivait toujours!.. – La reine Marie-Antoinette la protégea, et mademoiselle Raucourt se dévoua à elle avec un profond sentiment de respectueuse tendresse. Proscrite en 93 avec ses camarades, libre ensuite avec eux, elle fut encore persécutée par le Directoire; mais, au 18 brumaire, elle fut protégée par Napoléon, qui lui fit une forte pension sur sa cassette et lui donna la direction du théâtre français en Italie. L'un des rôles qu'elle jouait le mieux était Médée; ensuite la Cléopâtre de Rodogune; Léontine dans Héraclius. Dans ces rôles-là, elle était parfaite.

      En 1776, il lui arriva une singulière aventure qu'elle ne voulut jamais expliquer; elle disparut tout à coup, et reparut ensuite en 1779, sans que la cause de cette retraite ait été bien connue29.

      Chénier, qui n'aimait pas beaucoup de monde, n'aimait pas du tout mademoiselle Raucourt; il fit contre elle un quatrain fort méchant, et plus méchant que spirituel… il fut fait après une représentation de Phèdre.

      Ô Phèdre, en tes amours que de vérité brille!

      Oui, de Pasiphaé je reconnais la fille,

      Les fureurs de ta mère et son tempérament,

      Et l'organe de son amant.

      Elle fut tout entière excellente dans plusieurs rôles qui lui furent donnés et qu'elle créa. C'était une femme d'un grand et beau talent. Mademoiselle Georges est son élève, et on le voit bien30.

      Je ne sais pas si l'on connaît l'origine de mademoiselle Contat. Elle s'appelait Louise Perrin, et sa mère était blanchisseuse établie dans le faubourg Saint-Germain. Cette femme blanchissait madame Préville et madame Molé (l'auteur de Misanthropie et Repentir). En la voyant si jolie, en examinant ses yeux, cette bouche de rose, ces dents perlées, ce nez si mignon et si spirituel, des mains aux doigts effilés, malgré son état rude et grossier; quand ces deux femmes, dont l'une habile et plus qu'habile même dans son art, démêlèrent tout l'avenir de mademoiselle Contat dans un de ses sourires, elles décidèrent que la petite Louise serait une grande actrice, et certes leur prédiction s'est grandement réalisée… Quelle destinée théâtrale! comme elle était adorée du public…! Mais aussi quelle verve! quelle finesse! Qui a jamais joué Suzanne comme mademoiselle Contat (et non pas Contat31, comme il y a des hommes qui ont le mauvais goût de parler encore aujourd'hui)?.. Il y a des rôles surtout où le souvenir de mademoiselle Contat suffit pour me guider encore aujourd'hui, tant l'impression qu'elle me produisit fut profonde.

      En 1789, la Reine, qui l'aimait, voulut la voir jouer. On lui donna deux jours pour apprendre ce rôle, c'était celui de la Gouvernante: il a sept cents vers; elle l'apprit et le joua.

      «J'ai appris depuis deux jours (écrivit-elle à la personne qui fit ses remerciements à la Reine) que le siége de la mémoire est dans le cœur.»

      Ce fut cette lettre qui la fit enfermer en 1793.

      Elle quitta le théâtre encore jeune et charmante32; elle avait épousé depuis dix ans le chevalier de Parny, neveu du poëte et poëte lui-même. La société et la causerie de mademoiselle Contat étaient charmantes. Je l'ai vue très-souvent à la Malmaison, où elle était toujours fort accueillie.

      Sa sœur n'était pas mauvaise, mais elle

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<p>27</p>

J'excepte mademoiselle Mars; elle est toujours parfaite.

<p>28</p>

Françoise-Marie-Antoinette Saucerotte, née à Nancy, d'un comédien de province et d'une femme attachée à la maison du roi de Pologne. Ce fut madame de Graffigny qui la tint sur les fonts de baptême.

<p>29</p>

Se trouvant un jour au Raincy, chez moi, avec M. de Sainte-Foix, il lui dit en riant qu'on savait bien la raison pour laquelle elle était partie. – Vraiment! dit-elle sérieusement; eh bien! je vous affirme que ni vous ni personne ne le savez et ne le saurez jamais.

<p>30</p>

Mademoiselle Raucourt n'était ni bonne camarade ni douce dans ses relations; elle ne fut ni estimable, ni recommandable dans sa vie privée. En 1815, elle mourut subitement. Elle avait une belle terre dans les environs d'Orléans, où elle avait les plus belles fleurs et les plus beaux fruits et des terres magnifiques. Elle venait souvent à la Malmaison, et Joséphine échangeait souvent avec elle des graines ou des plantes. À sa mort, le curé de Saint-Roch, qui avait bien emboursé l'argent de ses aumônes, n'a pas voulu l'enterrer. Elle fut portée au Père-Lachaise, après le service qui lui fut fait par un prêtre.

<p>31</p>

Cette manière que quelques hommes d'aujourd'hui ont prise de dire: Taglioni, Mars, Contat, etc., est du plus mauvais ton. C'est là où on voit l'habitude de la bonne compagnie, ou seulement son reflet imparfait. Ainsi, l'on croit imiter les roués des temps passés; mais qu'on aille écouter M. de Talleyrand, ou M. de Montrond, ou M. de Narbonne quand il vivait, ou M. de Laval (Adrien de Montmorency), enfin mille autres du même cercle. – Rien n'est, à mon gré, plus platement ridicule que l'affectation de l'aisance dans les manières.

<p>32</p>

Elle mourut la même année que mademoiselle Raucourt; la cause de sa mort fut un cancer. Elle était alors à Vitry, dans une propriété que madame la duchesse douairière d'Orléans acheta ensuite.