Histoire des salons de Paris. Tome 4. Abrantès Laure Junot duchesse d'
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Histoire des salons de Paris. Tome 4 - Abrantès Laure Junot duchesse d' страница 14
En entendant ce nom qui promettait quelque chose, madame de Genlis se leva et fit deux pas au-devant d'elle.
Vous devez être joliment surprise de me voir, n'est-ce pas? Eh bien! qu'est-ce que vous faites donc! rasseyez-vous donc!…
Veuillez vous asseoir, madame…
Tiens, que c'est drôle! vous dites MADAME! vous ne dites pas citoyenne, vous!.. vous avez bien raison! Au reste, je l'avais parié avec M. Privas, je lui ai dit: Je te parie six francs que la citoyenne Genlis me dira MADAME; il a parié que non, parce qu'il prétend que vous avez peur.
Mais comment M. de Privas, que je n'ai pas l'honneur de connaître, me fait-il celui de juger ainsi mes sentiments les plus intimes?
Oh! il vous connaît bien, allez, lui!.. tiens! qu'est-ce que c'est donc que tout ça?..
Et elle se mit à retourner et à remuer tout ce qui était sur la table de madame de Genlis… Il y avait, entre autres choses, un charmant livre de la forme de nos albums d'aujourd'hui, dans lequel madame de Genlis peignait alors une guirlande de fleurs allégoriques ou plutôt emblématiques. Elle avait fait un langage des fleurs. Il y a aussi, je crois, une nouvelle d'elle63 qui a donné l'idée à M. Révéroni de Saint-Cyr de faire son roman de Sabina d'Herfeld. Madame de Genlis fut alarmée pour le sort de ses fleurs, et puis elle voulait savoir ce qui lui valait une visite aussi étrange.
– Permettez-moi, madame, lui dit-elle en refermant doucement le livre, de vous prier de ne point toucher à cet ouvrage. Il n'est point terminé et pourrait s'effacer… et puis… mon temps est bien limité… il n'est même pas à moi.
Vraiment!.. pauvre chère dame!.. voyez-vous bien! cette chienne de révolution!.. c'est ce que je dis toute la journée à M. Privas!.. là, une dame comme il faut, une dame comme vous, qui a roulé su l'or et su l'argent… en être réduite là, à travailler pour vivre!.. Ah! mon Dieu! mon Dieu!..
J'ai l'honneur de vous faire observer, madame, que c'est pour cette raison que mon temps est pris par mon travail… Puis-je savoir ce qui me procure l'avantage de vous voir?
Comme vous parlez bien!.. voilà comme je voudrais parler!.. c'est ce que je dis toute la journée à M. Privas. Il a été longtemps à le comprendre, mais j'ai gagné la bataille.
Madame de Genlis sourit doucement: en effet, madame Privas paraissait réunir toutes les conditions nécessaires pour remporter la victoire dans une lutte à coups de poing. Elle avait une taille au-dessus de la médiocre: son embonpoint très-prononcé, ses bras et ses mains surtout, d'un volume respectable dans un combat, devaient lui assurer la victoire… Son visage eût été joli (car elle était encore jeune et ses traits étaient agréables), s'il avait eu une expression quelconque; mais elle n'en avait jamais aucune et sa bouche souriait constamment pour montrer des dents assez jolies, ou plutôt même sans motifs. Ses yeux étaient bleus, et, avec ou sans regard, ils paraissaient toujours immobiles. Son nez était bien fait, la forme de son visage agréable, ses cheveux d'une jolie couleur: eh bien! tout cela ne lui servait à rien. On aurait même autant aimé qu'elle fût laide, parce qu'elle aurait peut-être eu de l'esprit. Mais on va voir que ce n'était pas l'intention qui lui manquait.
Elle continuait à regarder madame de Genlis avec une expression admirative vraiment comique, et finit par amuser madame de Genlis, qui, ainsi que toutes les personnes d'esprit, vit d'abord le côté plaisant de la chose. Dans le même moment, la femme de chambre de madame de Genlis annonça M. Millin.
Je suis bien aise de vous voir, mon ami… et vous attendais avec une vive impatience… ma copie est prête, nous n'avons qu'à l'assembler.
Eh bien! je ne vois pas ce qui s'oppose à ce que la lecture se fasse tout de suite… Madame en est-elle?..
Une lecture!.. certainement que j'en suis!.. C'est-il beau ça!.. une lecture!..
Je vois, madame, avec regret que je suis forcée de vous prier d'abréger votre visite qui m'honore, sans doute, mais à laquelle je ne puis donner l'attention qu'elle mérite, étant obligé de lire à M. Millin un ouvrage de moi, auquel vous ne prendriez aucun plaisir… et puisque vous ne voulez pas me dire le motif pour lequel vous êtes venue me chercher dans ma retraite, je suis forcée…
Eh là! là! comme elle s'emporte donc, cette petite dame! Eh bien! voyons! soyez donc gentille! on ne veut pas vous faire de mal… au contraire… voilà l'histoire. Mon mari et moi nous sommes de bonnes gens… nous sommes riches… très-riches même… M. Privas, voyez-vous, a vendu des farines aux armées… il a eu des fournitures dans un bon temps, le temps où le blé manquait… il a eu des protecteurs… on l'a payé, enfin… et bien payé aussi. Nous sommes riches, et riches en honnêtes gens.
Oui, comme des accapareurs! Oh! les voleurs!
Enfin, madame…
M'y voilà!.. m'y voilà!.. comme vous êtes vive!.. m'y voilà!.. Vous saurez donc que M. Privas et moi nous aimons beaucoup le monde, mais le beau monde… Nous voulons tenir maison, recevoir, nous faire honneur de notre belle fortune, enfin; et pour cela il me faut quelqu'un qui sache ce que c'est que la belle société, voyez-vous… Moi j'aime les gens comme il faut. Je n'aime pas ces parvenus qui se donnent des tons, comme si nous n'étions pas tous de la même farine. J'ai lu les Veillées du Château, j'ai lu Adèle et Théodore, et j'ai dit à M. Privas: Voilà la dame qu'il nous faut… et alors, voyez-vous, je suis venue moi-même, pour vous expliquer que vous gagnerez plus gros avec nous qu'avec vos livres, et que vous serez heureuse, parce que vous entendez bien que je ne vous tyranniserai pas… Voulez-vous accepter, chère madame?
Je suis fort sensible, madame, à l'obligeance de votre offre, mais je ne puis y répondre.
Vous me refusez!
Croyez que je n'en suis pas moins sensible à votre bonté pour moi, madame; mais j'ai l'honneur de vous dire que je ne puis accepter.
Mais pourquoi? Songez donc que nous vous donnerons douze mille francs par an, si vous voulez venir vivre avec nous. L'hiver, nous occupons un bel hôtel dans la rue Saint-Dominique; et l'été, nous le passons tout entier dans une superbe terre que M. Privas vient d'acheter en Bourgogne, près d'Autun.
Près d'Autun!.. C'est dans les environs d'Autun qu'est le château qui appartenait à mon père, et où j'ai passé mon enfance!.. Mais, encore une fois, madame, recevez mes remerciements, sans chercher à ébranler ma résolution; elle est positivement arrêtée, et pour vous éviter toute insistance, je dois vous dire que jamais je ne sacrifierai ma liberté; je suis et veux rester indépendante: voilà
63
Les fleurs funéraires.