Histoire des salons de Paris. Tome 5. Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Histoire des salons de Paris. Tome 5 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

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le trône où lui-même l'avait placée, lui parut digne d'une haute récompense… Un moment, une pensée lui traversa l'esprit, mais elle eut la durée d'un éclair… et avant que sa main eût touché le bouton de la porte, il n'apportait plus que des consolations.

      Comme il approchait de la chambre à coucher, il entendit des plaintes et des sanglots; c'était la voix de Joséphine. Cette voix avait un charme particulier, et l'Empereur en avait souvent éprouvé les effets. Cette voix lui causait une telle impression, qu'un jour, étant premier Consul, après la parade passée dans la cour des Tuileries, en entendant les acclamations non-seulement du peuple dont la foule immense remplissait la cour et la place, mais de toute la garde, il dit à Bourrienne:

      «Ah! qu'on est heureux d'être aimé ainsi d'un grand peuple! ces cris me sont presque aussi doux que la voix de Joséphine.»

      Comme il l'aimait alors!

      Mais dans ce temps-là cette voix harmonieuse n'avait à moduler que des paroles heureuses, et maintenant elle s'éteignait dans la plainte et la douleur… Son charme eût été bien plus puissant si elle n'avait pas rappelé qu'elle prouvait un tort; quel est l'homme, quelque grand qu'il soit, qui veuille qu'on lui prouve QU'IL A TORT?..

      Napoléon souffrit cependant d'une vive angoisse au cœur en entendant cette plainte douloureuse; il ouvrit doucement la porte et se trouva dans la chambre de Joséphine qui sanglotait dans son lit, ne se doutant pas de la venue de celui qui s'approchait d'elle.

      – «Pourquoi pleures-tu, Joséphine?» lui dit-il en prenant sa main.

      Elle poussa un cri.

      – «Pourquoi cette surprise? ne m'attendais-tu pas? ne devais-je pas venir aussitôt que j'ai su que tu souffrais? Tu sais que je t'aime, mon amie, et qu'une douleur n'est jamais infligée volontairement par moi à ton âme.»

      Joséphine, à la voix de Napoléon, s'était levée sur son séant, et croyait à peine ce qu'elle entendait et voyait à la lueur incertaine de la lampe d'albâtre qui était près de son lit… L'Empereur la tenait dans ses bras encore toute tremblante de sa surprise et de son émotion en écoutant ces paroles d'amour qui, depuis si longtemps, n'avaient frappé son oreille… Accablée sous le poids de tant de vives impressions, elle retomba sur l'épaule de Napoléon et pleura de nouveau avec sanglots, oubliant sans doute que l'Empereur n'aimait pas ces sortes de scènes prolongées.

      – «Mais pourquoi pleures-tu toujours, ma Joséphine? lui dit-il cependant avec douceur. Je viens à toi pour t'apporter une consolation, et tu continues à te désespérer comme si je te donnais une nouvelle douleur. Pourquoi donc ne pas m'entendre?

      – Ah! c'est que j'ai au cœur un sentiment qui m'avertit que le bonheur ne me revient que passagèrement… et que… tôt ou tard!..

      – Écoute! dit Napoléon en la rapprochant de lui et la serrant contre son cœur, écoute-moi, Joséphine! tu m'es infiniment chère; mais la France est ma femme, ma maîtresse chérie aussi… Je dois donc écouter sa voix lorsqu'elle me demande une garantie; et qu'elle veut un fils de celui à qui elle s'est si loyalement donnée… Je ne puis donc répondre d'aucun événement, ajouta-t-il en soupirant profondément; mais, quoiqu'il arrive, Joséphine, tu me seras toujours chère, et tu peux y compter! Ainsi donc plus de larmes, mon amie, plus de ce désespoir concentré qui m'afflige et te tue. Sois la compagne d'un homme sur lequel l'Europe a les yeux en ce moment; sois la compagne de sa gloire, comme tu es celle de son cœur… et surtout fie-toi à moi!»

      Cette explication, franchement donnée par l'Empereur, devait suffire à Joséphine; peut-être la paix se serait-elle rétablie entre eux: mais, pour elle, c'eût été trop de modération… Et huit jours n'étaient pas écoulés que les mêmes bouderies et les mêmes tracasseries avaient recommencé.

      Un jour j'étais de service auprès de Madame-Mère; on était en automne35… J'attendais que Madame descendît de chez elle… Elle occupait en ce moment les salons du rez-de-chaussée, parce qu'on réparait quelque chose dans l'appartement du premier. J'étais assise à côté de la fenêtre, et je lisais; tout à coup j'entends frapper un coup très-fort au carreau de la porte vitrée donnant sur le jardin. Je regarde, et je vois l'Empereur, enveloppé dans une redingote verte fourrée, comme si l'on eût été au mois de décembre: il était entré par la porte donnant sur la rue de l'Université… Duroc était avec lui.

      Je me levai aussitôt et fus ouvrir moi-même la porte.

      – «Comment, c'est vous qui me rendez ce service? dit l'Empereur. Où sont donc vos chambellans… vos écuyers?..»

      Je répondis que Madame avait permis à M. le comte de Beaumont de s'absenter pour deux jours, et que M. de Brissac, étant malade, ne devait venir qu'à deux heures.

      – «Alors M. de Laville doit prendre le service… Vous êtes exacte, vous, madame la Gouverneuse36… C'est bien… Je ne le croyais pas… On me disait que vous étiez toujours malade… Puis-je voir Madame?»

      Je lui dis que j'allais l'avertir de l'arrivée de Sa Majesté.

      – «Non, non, restez ici avec Duroc, je m'annoncerai moi-même.»

      Et il monta chez sa mère, où il demeura plus d'une heure. Tandis qu'ils causaient ensemble, Duroc et moi nous parlions aussi de cette visite, on peut le dire, extraordinaire, car l'Empereur allait peu chez sa mère et ses sœurs, si ce n'est pourtant la princesse Pauline.

      – «Il y a de l'orage dans l'air, me dit Duroc; la question du divorce s'agite plus vivement que jamais. L'Impératrice, qui jamais au reste n'a compris sa véritable position, n'a pas même cette seconde vue qui vient aux mourants à leur dernière heure… Aucune lueur ne lui montre le péril de la route où elle s'engage. Chaque jour elle redouble d'importunités auprès de l'Empereur, comme si un cœur se rattachait par conviction de paroles! C'est absurde!

      – Vous avez une vieille rancune, mon ami! lui dis-je en riant.

      – Ah! je vous jure que je ne suis pas coupable de ce crime-là bien positivement! Jamais l'Impératrice n'aura à me reprocher d'avoir aidé à sa chute… mais… je ne l'empêcherai pas.»

      Ce mot m'étonna; Duroc était si bon, si parfait pour ceux qu'il aimait, que j'ignorais, moi, jusqu'à quel point le ressentiment pouvait acquérir de force dans son âme. Je le regardai, et, lui serrant la main, je lui demandai où en étaient les affaires positivement; car, me rappelant la cause de l'inimitié qui existait entre Duroc et Joséphine, j'en savais assez pour le comprendre.

      – «Tout est à peu près terminé, me dit-il; la résolution de l'Empereur a cependant fléchi ces jours derniers; mais la maladresse de l'Impératrice a tout détruit… D'abord, des plaintes sans nombre d'une foule de marchands, qui sont parvenues à l'Empereur, l'ont fortement aigri… et puis, il y a eu hier une histoire qui est vraiment étonnante, et dans laquelle je crois que Madame-Mère se trouve mêlée… L'Empereur a voulu s'en éclaircir, et il est venu lui-même chez Madame, au lieu de lui écrire…» Et voici ce que Duroc me raconta:

      Une femme, une revendeuse à la toilette, espèce de personne assez douteuse, avait été bannie du château, parce que, disait l'Empereur, il ne convient pas à l'Impératrice d'acheter un bijou qui ait été porté par une autre, ou même fait pour une autre. À cela on avait répondu que cette femme ne venait que pour les femmes de chambre!

      «Que les femmes de chambre aillent hors du château faire leurs affaires, avait dit l'Empereur; je ne veux pas que des

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Et même à la fin; il faisait déjà froid. J'arrivais des Pyrénées, et l'Empereur revenait d'Allemagne après la campagne de Wagram.

<p>36</p>

C'était ainsi qu'il m'appelait lorsqu'il y avait peu de monde, et même les jours de fête, à l'Hôtel-de-Ville lorsqu'il était de bonne humeur.