Histoire des salons de Paris. Tome 5. Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Histoire des salons de Paris. Tome 5 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

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y prit plusieurs lettres qui ne contenaient que quelques lignes à peine lisibles. Le duc d'Otrante s'en empara aussitôt et y jetant les yeux avant que l'Impératrice les lui eût traduites en lui expliquant les signes hiéroglyfiques plutôt que les lettres qui voulaient passer pour de l'écriture, il vit qu'en effet l'Empereur était bien changé pour l'Impératrice. Ces lettres ne contenaient qu'une même phrase insignifiante par elle-même; il y en avait de Bayonne, d'Espagne, d'Allemagne lors de la campagne de Wagram… Ces dernières lettres étaient toutes récentes… J'ai vu, depuis, ces preuves du changement de l'Empereur, et elles me frappèrent avec une vive peine comme tout ce qui détruit. Je ne crois pas que Fouché en ait été affecté comme moi; mais il l'était d'une autre manière: il regardait ces lettres et relisait la même phrase plusieurs fois. Cet examen lui présentait, je crois, l'Empereur sous un nouveau jour dont, je pense, il n'avait été jamais éclairé: c'était l'Empereur se contraignant à faire une chose qui visiblement lui déplaisait, et on n'en pouvait douter en lisant ces lettres…

«À L'IMPÉRATRICE, À BORDEAUX»Marac, le 21 avril 1808.

      »Je reçois ta lettre du 19 avril. J'ai eu hier le prince des Asturies et sa Cour à dîner. Cela m'a donné bien des embarras31. J'attends Charles IV et la reine.

      »Ma santé est bonne. Je suis bien établi actuellement à la campagne.

      »Adieu, mon amie, je reçois toujours avec plaisir de tes nouvelles.

»Napoléon.»«À L'IMPÉRATRICE, À PARIS32»Burgos, le 14 novembre 1808.

      »Les affaires marchent ici avec une grande activité. Le temps est fort beau. Nous avons des succès. Ma santé est fort bonne.

»Napoléon.»«À L'IMPÉRATRICE, À STRASBOURG»Saint-Polten, le 9 mai 1809.

      »Mon amie, je t'écris de Saint-Polten33. Demain je serai devant Vienne: ce sera juste un mois après le même jour où les Autrichiens ont passé l'Inn et violé la paix.

      »Ma santé est bonne, le temps est superbe et les soldats sont gais: il y a ici du vin.

      »Porte-toi bien.

      »Tout à toi:

»Napoléon.»

      En parcourant ces lettres, dont la suite était semblable à ce que je viens de citer, le duc d'Otrante sourit en son âme; car sa besogne lui paraissait maintenant bien faite. Il lui était démontré que l'Empereur voulait le divorce, et que tous les obstacles que lui-même paraissait y apporter n'étaient qu'une feinte à laquelle il serait adroit de ne pas ajouter foi par sa conduite, si on paraissait le faire en apparence. Joséphine suivait son regard à mesure qu'il parcourait ces lettres sur lesquelles elle avait elle-même souvent pleuré. Fouché les lui rendit en silence.

      – «Eh bien? lui dit-elle…

      – Eh bien! madame, ce que je viens de voir me donne la conviction entière de ce dont j'étais déjà presque sûr.»

      Joséphine sanglota avec un déchirement de cœur qui aurait attendri un autre homme que Fouché.

      – «Vous ne voulez pas en croire mon attachement pour vous, madame; et pourtant Dieu sait qu'il est réel. Eh bien! voulez-vous prendre conseil d'une personne qui vous est non-seulement attachée, mais qui peut être pour vous un excellent guide dans cette très-importante situation? Je l'ai vue dans le salon de service: c'est madame de Rémusat.

      – Oui! oui!.. s'écria Joséphine.»

      Et madame de Rémusat fut appelée.

      C'était une femme d'un esprit et d'une âme supérieurs que madame de Rémusat. Lorsque Joséphine ne se conduisait que d'après ses conseils, tout allait bien; mais quand elle en demandait à la première personne venue de son service, les choses devenaient tout autres. Madame de Rémusat joignait ensuite à son esprit et à sa grande connaissance du monde un attachement réel pour l'Impératrice.

      En écoutant le duc d'Otrante elle pâlit, car, tout habile qu'elle était, elle-même fut prise par la finesse de l'homme de tous les temps. Elle ne put croire qu'une telle démarche fût possible de la part d'un ministre de l'Empereur, si l'Empereur lui-même ne l'y avait autorisé. Cette réflexion s'offrit à elle d'abord, et lui donna de vives craintes pour l'Impératrice. Fouché la comprit; et cet effet, qu'il ne s'était pas proposé, lui parut devoir être exploité à l'avantage de ce qu'il tramait.

      – «Ce que vous demandez à sa majesté est grave, monsieur le duc… Je ne puis ni lui conseiller une démarche aussi importante, ni l'en détourner, car je vois…»

      Elle n'osa pas achever sa phrase, car ce qu'elle voyait était assez imposant pour arrêter sa parole.

      – «J'ai fait mon devoir de fidèle serviteur de sa majesté, dit le duc d'Otrante. Je la supplie de réfléchir à ce que j'ai eu l'honneur de lui dire: c'est à l'avantage de sa vie à venir.»

      Et il prit congé de l'Impératrice, en la laissant au désespoir. Madame de Rémusat resta longtemps auprès d'elle, tentant vainement de la consoler; car elle-même était convaincue que l'Empereur lui-même dirigeait toute cette affaire. Dès que Joséphine fut plus calme, elle lui demanda la permission de la quitter, pour aller, lui dit-elle, travailler dans son intérêt.

      C'était chez le duc d'Otrante qu'elle voulait se rendre.

      «Cet homme est bien fin, ou plutôt bien rusé, se dit-elle; mais une femme ayant de bonnes intentions le sera pour le moins autant que lui…»

      Mais elle acquit la preuve qu'avec un homme comme Fouché il n'y avait aucune prévision possible… Et elle sortit de chez lui aussi embarrassée qu'en y arrivant.

      Cependant la position était critique; il devenait d'une grande importance de suivre les conseils de Fouché, si ces conseils étaient des ordres de l'Empereur. Madame de Rémusat le croyait fermement, et toutefois n'osait le dire à Joséphine. Celle-ci le sentait instinctivement, mais n'osait s'élever entre la dame du palais, alors son amie, et elle-même, dans ces moments de confiance expansive, qui étaient moins fréquents cependant depuis cette visite du duc d'Otrante. Car il semblait à ces deux femmes que de parler d'une aussi immense catastrophe, c'était admettre sa réalité immédiate.

      – «Mon Dieu! disait Joséphine, que faire? donnez-moi du courage!»

      Et elle pleurait.

      – «Madame, lui disait madame de Rémusat, que votre majesté se rappelle que le duc d'Otrante lui a répété souvent que l'Empereur n'aimait pas les scènes ni les pleurs!»

      Alors Joséphine n'osait plus provoquer une explication entre elle et l'Empereur. Un mur de glace, qui devait devenir d'airain, commençait déjà à s'élever entre eux. Fouché a été peut-être la cause la plus immédiate du divorce de Napoléon, en amenant entre les deux époux ce qui n'avait jamais existé: une froideur et un manque de confiance dont mutuellement chacun se trouva blessé. L'Empereur avait beaucoup aimé Joséphine. L'amour n'existait plus; mais après l'amour, quel est le cœur qui ne renferme pas un sentiment profond d'amitié pour la femme qui nous fut chère?.. Et Napoléon était fortement dominé par le sentiment qui l'avait autrefois attaché à sa femme… Qui sait ce qui pouvait résulter d'une explication où elle lui aurait plutôt proposé l'adoption d'un de ses enfants naturels, tous deux des garçons, et son propre sang,

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<p>31</p>

Que pouvait-il entendre par ces paroles? De quel embarras parle-t-il; il ne communiquait jamais un plan ni même un projet politique à Joséphine, dont il connaissait la discrétion.

<p>32</p>

Ces lettres sont copiées sur celles originales, fournies par la reine Hortense, à qui elles sont revenues après la mort de l'Impératrice.

<p>33</p>

La poste avant Vienne.