Histoire des salons de Paris. Tome 5. Abrantès Laure Junot duchesse d'

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Histoire des salons de Paris. Tome 5 - Abrantès Laure Junot duchesse d'

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une phrase dans un simple mouvement de ses lèvres, car il était en accord avec son regard; avantage si rare dans la physionomie et si précieux dans celle d'une femme. Son esprit était également celui qu'on voulait trouver dans une personne comme madame Duchatel.. En la voyant, je désirai d'abord me lier avec elle. Elle eut pour moi le même sentiment; et, depuis ce temps, je lui suis demeurée invariablement attachée par affection et par attrait. Elle me rappelait, à cette époque où elle parut à notre cour, ce que je me figurais d'une de ces femmes du siècle de Louis XIV, tout esprit et toute grâce. Je ne m'étais pas trompée.

      Dans ce même temps, où tous les yeux étaient fixés sur cette cour consulaire qui se formait déjà visiblement, il survint un événement qui arrêta définitivement la pensée de ceux qui pouvaient encore douter: ce fut le mariage de madame Leclerc avec le prince Camille Borghèse. Elle était ravissante de beauté, c'est vrai; mais le prince Borghèse était jeune et joli garçon; on ne savait pas encore l'étendue de sa nullité; et deux millions de rente, le titre de princesse, furent comme une sorte d'annonce pour ceux qui voulaient savoir où allait le premier Consul.

      J'avais vu la princesse, avec laquelle j'étais intimement liée, ainsi que ma mère, la veille du jour où elle devait faire sa visite de noce à Saint-Cloud. Elle détestait sa belle-sœur… mais la bonne petite âme n'était pas, au reste, plus aimante pour ses sœurs. Aussi quelle douce joie elle éprouvait en faisant la revue de sa toilette du lendemain…

      «Mon Dieu! lui disais-je, vous êtes si jolie!.. Voilà votre véritable motif de joie, voilà où vous les dominez toutes, voilà le vrai triomphe.»

      Mais elle n'entendait rien; et le lendemain, elle voulut écraser sa belle-sœur surtout, car c'était sur elle que sa haine portait plus spécialement: Hortense et sa sœur Caroline n'arrivaient qu'après. Quant à Élisa…

      «Oh! pour celle-là, disait-elle plaisamment, lorsque j'aurai la folie d'en être jalouse, je n'aurai qu'à lui demander de jouer Alzire, comme elle nous a fait le plaisir de le faire à Neuilly, et tout ira bien.22»

      Je me rendis à Saint-Cloud le même soir pour connaître la manière de penser des deux camps. À peine fus-je arrivé que madame Bonaparte vint à moi:

      – «Eh bien! avez-vous vu la nouvelle princesse? on dit qu'elle est radieuse!

      – Ah! vous savez, madame, combien elle est jolie; c'est un être idéal de beauté.

      – Oh! mon Dieu! cela est tellement connu maintenant que la chose commence à paraître moins frappante.

      – On ne se lasse jamais d'un beau tableau, madame; ni de la vue d'un chef-d'œuvre! jugez lorsqu'il est animé!»

      Madame Bonaparte n'avait aucun fiel; et si elle montrait tant d'aigreur contre sa belle-sœur, ce n'était pas par envie; c'était comme une habitude défensive et elle savait fort bien que madame Leclerc n'était vulnérable que dans sa beauté; elle ne continua donc pas la conversation presque hostile commencée entre nous: elle connaissait d'ailleurs l'intimité qui existait entre nous et combien ma mère aimait madame Leclerc; elle fut donc à merveille avec moi, et loin de me montrer de l'humeur elle m'engagea à dîner pour le lendemain.

      – «Car c'est demain qu'elle doit faire ici sa visite officielle, me dit madame Bonaparte… Je présume qu'elle se dispose à nous arriver aussi resplendissante que possible… Savez-vous comment elle sera mise, madame Junot, poursuivit-elle en s'adressant directement à moi.»

      Je le savais; mais madame Borghèse ne m'aurait pas pardonné d'avoir trahi un tel secret: je répondis négativement, et madame Bonaparte, qui avait fait la question avec nonchalance comme n'y attachant aucune importance, ne voulut pas insister, quelque persuadée qu'elle fût que j'en étais instruite.

      En arrivant le lendemain à Saint-Cloud, je fus frappée de la simplicité de la toilette de madame Bonaparte; mais cette simplicité était elle-même un grand art… On sait que Joséphine avait une taille et une tournure ravissantes; à cet égard elle pouvait lutter, et même avec succès, contre sa belle-sœur qui n'avait pas une grâce aussi parfaite qu'elle dans tous ses mouvements… Connaissant donc tous ses avantages, Joséphine en usa pour disputer au moins la victoire à celle qui ne redoutait personne en ce monde pour sa beauté, aussitôt qu'elle paraissait et montrait son adorable visage.

      Madame Bonaparte portait ce jour-là, quoiqu'on fût en hiver, une robe de mousseline de l'Inde, que son bon goût lui faisait faire, dès cette époque, beaucoup plus ample de la jupe qu'on ne faisait alors les robes, pour qu'elle formât plus de gros plis. Au bas était une petite bordure large comme le doigt en lame d'or et figurant comme un petit ruisseau d'or. Le corsage, drapé à gros plis sur sa poitrine, était arrêté sur les épaules par deux têtes de lion en or émaillées de noir autour… La ceinture, formée d'une bandelette brodée comme la bordure, était fermée sur le devant par une agrafe comme les têtes en or émaillées qui étaient aux épaules… Les manches étaient courtes, froncées et à poignets comme on en portait dans ce temps-là, et le poignet ouvert sur le bras était retenu par deux petits boutons semblables aux agrafes de la ceinture. Les bras étaient nus: Joséphine les avait très-beaux, surtout le haut du bras.

      Sa coiffure était ravissante. Elle ressemblait à celle d'un camée antique. Ses cheveux, relevés sur le haut de la tête, étaient contenus dans un réseau de chaînes d'or dont chaque carreau était marqué comme on en voit aux bustes romains, et était fait par une petite rosace en or émaillée de noir. Ce réseau à la manière antique venait se rejoindre sur le devant de la tête et fermait avec une sorte de camée en or émaillé de noir comme le reste. À son cou était un serpent en or dont les écailles étaient imitées par de l'émail noir; les bracelets pareils, ainsi que les boucles d'oreilles.

      Lorsque je vis madame Bonaparte, je ne pus m'empêcher de lui dire combien elle était charmante avec ce nuage vaporeux formé par cette mousseline23, que bien certainement Juvénal eût appelée une robe de brouillard à plus juste titre que celles de ses dames romaines… Et puis, cette parure lui allait admirablement… Voilà comment Joséphine a mérité sa réputation de femme parfaitement élégante: c'est en adaptant la mode à la convenance de sa personne. Ici elle avait songé à tout!.. même à l'ameublement du grand salon de Saint Cloud, qui alors était bleu et or, et allait ainsi très-bien avec cette mousseline neigeuse et cet or qui tous deux s'harmoniaient parfaitement ensemble.

      Aussitôt que le premier Consul entra dans le salon, où il arrivait alors presque toujours, par le balcon circulaire, au moment où l'on s'y attendait le moins, il fut frappé comme moi de l'ensemble vraiment charmant de Joséphine. Aussi fut-il à elle aussitôt, et la prenant par les deux mains, il la conduisit devant la glace de la cheminée pour la voir en même temps de tous côtés, et l'embrassant sur l'épaule et sur le front, car il ne pouvait encore se défaire de cette habitude bourgeoise, il lui dit: «Ah! çà, Joséphine, je serai jaloux! Vous avez des projets! Pourquoi donc es-tu si belle aujourd'hui?

      – Je sais que tu aimes que je sois en blanc… et j'ai mis une robe blanche: voilà tout.

      – Eh bien! si c'est pour me plaire, tu as réussi.»

      Et il l'embrassa encore une fois.

      – «Avez-vous vu la nouvelle princesse?» me demanda le premier Consul à dîner.

      Je répondis affirmativement, et j'ajoutai qu'elle devait venir le soir même pour faire sa visite de noce à madame Bonaparte et lui être présentée par son mari.

      – «Mais c'est chose faite, dit le premier Consul… D'ailleurs Joséphine est sa belle-sœur.

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<p>22</p>

Cette représentation à laquelle elle faisait allusion avait eu lieu en effet à Neuilly, dans une maison où logeait Lucien et qu'on appelait alors la Folie de Saint-James… Lucien faisait Zamore et madame Bacciochi Alzire. On ne peut se figurer la tournure qu'elle avait avec cette couronne de plumes et le reste. Mais ce n'était rien auprès de la traduction et des gestes; aussi le premier Consul, qui était venu accompagné de la troupe de la Malmaison qui était rivale de celle de Neuilly, dit-il à son frère et à sa sœur, après la représentation, qu'ils avaient parodié Alzire à merveille.

<p>23</p>

Je ne vois plus de ces mousselines dont je parle; les pièces n'avaient que huit aunes, et la mousseline était si fine et si claire que dans l'Inde on est obligé de la travailler dans l'eau pour que les fils ne cassent pas. Le prix de ces mousselines était exorbitant: je crois que la pièce de huit aunes revenait à six cents francs.