Les nuits mexicaines. Aimard Gustave

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Les nuits mexicaines - Aimard Gustave

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Je suis riche, je vous récompenserai.

      Le ranchero hocha la tête.

      – Pourquoi parler de récompense? dit-il; croyez-vous donc que le dévouement puisse s'acheter; gardez votre or, caballero; il me serait inutile, je n'en ai pas besoin.

      – Cependant il est de mon devoir…

      – Pas un mot de plus sur ce sujet, je vous en prie, señor, toute insistance de votre part serait pour moi une mortelle injure; je fais mon devoir en vous sauvant la vie, je n'ai droit à aucune récompense.

      – Agissez donc à votre guise.

      – Promettez-moi d'abord de ne pas soulever d'objection à ce que je jugerai convenable de faire dans l'intérêt de votre salut.

      – Je vous le promets.

      – Bien; de cette façon nous nous entendrons toujours. Le jour ne tardera pas à paraître; nous ne devons pas demeurer ici plus longtemps.

      – Mais, où irai-je? Je me sens si faible qu'il m'est impossible de faire le plus léger mouvement.

      – Que cela ne vous inquiète pas; je vous mettrai sur mon cheval et en le faisant marcher au pas, il vous portera sans trop de secousses en lieu sûr.

      – Je m'abandonne à vous.

      – C'est ce que vous pouvez faire de mieux; voulez-vous que je vous conduise à votre demeure?

      – Ma demeure? s'écria le blessé avec un effroi mal dissimulé et en faisant un mouvement comme s'il eût essayé de fuir; vous me connaissez donc, vous savez où j'habite?

      – Je ne vous connais pas, j'ignore où votre maison est située. Comment saurais-je ces détails, moi qui avant cette nuit ne vous avais jamais vu?

      – C'est vrai, murmura le blessé en se parlant à lui-même, je suis fou! Cet homme est de bonne foi. Puis s'adressant à Dominique: Je suis un voyageur, lui dit-il d'une voix entrecoupée et à peine distincte; je viens de la Veracruz, je me rendais à México, lorsque j'ai été assailli à l'improviste, dépouillé de ce que je possédais et laissé pour mort au pied de cette croix où vous m'avez si providentiellement rencontré; de domicile, je n'en ai pas d'autre en ce moment que celui qu'il vous plaira de m'offrir! Voilà toute mon histoire, elle est simple comme la vérité.

      – Qu'elle soit vraie ou non, cela ne me regarde pas, señor; je n'ai pas le droit de m'immiscer malgré vous dans vos affaires; dispensez-vous donc, je vous prie, de me donner des renseignements que je ne vous demande pas, dont je n'ai que faire et qui, dans l'état où vous êtes, ne peuvent que vous être nuisibles, d'abord en vous obligeant à une trop grande tension d'esprit, et ensuite en vous forçant à parler.

      En effet, ce n'avait été que grâce à une puissance de volonté extrême que le blessé était parvenu à soutenir une si longue conversation; la secousse qu'il avait reçue était trop forte, sa blessure trop grave pour que, malgré tout le désir qu'il en avait, il lui fût possible de discuter plus longtemps, sans risquer de tomber dans une syncope plus dangereuse que celle dont il avait été si miraculeusement tiré par son généreux sauveur; déjà il sentait battre ses artères, un nuage s'étendait sur sa vue, des bourdonnements sinistres se faisaient dans ses oreilles, une sueur glacée perlait à ses tempes; ses pensées, dans lesquelles il avait éprouvé tant de difficultés à remettre un peu d'ordre et de suite, commençaient à lui échapper de nouveau, il comprit qu'une résistance plus prolongée de sa part serait une folie, il se laissa aller en arrière avec découragement et poussant un soupir de résignation:

      – Ami, murmura-t-il d'une voix faible, faites de moi ce que vous voudrez; je me sens mourir.

      Dominique suivait ses mouvements d'un œil inquiet, il se hâta de lui faire boire quelques gouttes de cordial dans lequel il avait versé une liqueur soporifique; ce secours fut efficace, le blessé se sentit renaître à la vie.

      Il voulut remercier le jeune homme.

      – Taisez-vous, lui dit vivement celui-ci, vous n'avez que trop parlé déjà.

      Il l'enveloppa avec soin dans son manteau et l'étendit sur le sol.

      – Là, reprit-il, vous voici bien ainsi, ne bougez plus et essayez de dormir, tandis que j'aviserai aux moyens de vous enlever d'ici au plus vite.

      Le blessé n'essaya aucune résistance; déjà le somnifère qu'il avait bu agissait sur lui, il sourit doucement, ferma les yeux, et bientôt il fut plongé dans un sommeil calme et réparateur.

      Dominique le regarda un instant dormir avec la plus entière satisfaction.

      – J'aime mieux le voir ainsi que comme il était à mon arrivée, dit-il joyeusement; ah tout n'est pas fini encore: maintenant il s'agit de partir et cela au plus vite, si je ne veux en être empêché par les importuns qui ne tarderont pas à affluer sur cette route.

      Il détacha son cheval, lui remit la bride et l'amena tout auprès du blessé; après avoir fait une espèce de siège sur le dos de l'animal avec quelques couvertures auxquelles il ajouta son zarapé, dont il se dépouilla sans hésiter, il souleva le blessé dans ses bras nerveux avec autant de facilité, que si, au lieu d'être un homme de haute taille et d'une corpulence assez forte, il n'eût été qu'un enfant, et il le posa doucement sur le siège où il l'accommoda de son mieux, tout en ayant soin de le soutenir pour éviter une chute qui aurait été mortelle.

      Lorsque le jeune homme se fut assuré que le blessé se trouvait dans une position aussi commode que le permettaient les circonstances, et surtout les moyens insuffisants de transports dont il disposait, il fit partir son cheval dont il tint la bride à la main, sans quitter toutefois la place qu'il avait prise auprès du blessé qu'il continua à soutenir d'aplomb sur la selle, et il s'éloigna définitivement se dirigeant vers le rancho où nous l'avons précédé d'une heure environ pour y introduire l'aventurier.

      IX

      DÉCOUVERTE

      Dominique marchait tout doucement, maintenant d'une main ferme le blessé couché sur la selle de son cheval, veillant sur lui comme une mère veille sur son enfant; n'ayant qu'un désir, celui d'atteindre le rancho le plus tôt possible, afin de donner à cet inconnu, qui sans lui serait mort si misérablement, tous les soins que nécessitait l'état précaire dans lequel il se trouvait encore.

      Malgré l'impatience, qu'il éprouvait, malheureusement il lui était impossible de hâter le pas de son cheval de crainte d'accident à travers les chemins ravinés et presque impraticables qu'il était contraint de traverser; aussi fût-ce avec un sentiment indicible de plaisir que, arrivé à deux ou trois portées de fusil du rancho, il aperçut plusieurs personnes accourant vers lui.

      Bien qu'il ne les reconnût pas tout d'abord, cependant sa joie fut grande, car pour lui c'était un secours qui lui venait, et bien qu'il n'eût certes pas voulu en convenir, il en reconnaissait pour lui et surtout pour le blessé l'extrême nécessité, car depuis plusieurs heures déjà, il cheminait cahin-caha, à travers des sentiers la plupart du temps presque impraticables, contraint de surveiller constamment cet homme qu'il avait par un miracle incompréhensible sauvé d'une mort certaine et que le moindre oubli pouvait tuer raide.

      Lorsque les hommes qui accouraient vers lui ne se trouvèrent plus qu'à quelques pas, il s'arrêta et leur cria d'un air joyeux comme un homme charmé d'être débarrassé d'une responsabilité qui lui pèse:

      – Eh!

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