Récits d'une tante (Vol. 1 de 4). Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond
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Le mari fut retiré des gardes du corps, placé dans un régiment et envoyé en garnison. La femme eut un petit entresol à l'hôtel de Lorge. Le maréchal de Lorge n'avait pas de fils. Le maréchal de Duras n'en avait qu'un qui déjà promettait d'être un détestable sujet. La grossesse de madame de Blagnac commença à être soignée; le petit tabouret devint un fauteuil. Bientôt on ne l'appela plus que madame de Civrac, second titre de la branche de Lorge. Enfin, au bout de peu de mois, elle était si bien impatronisée dans la maison qu'elle y disposait de tout, mais en conservant toujours les égards les plus respectueux pour monsieur et madame de Lorge. Les Duras partagèrent l'engouement qu'elle inspirait.
Lorsque la maison de madame Victoire fut formée, elle fut nommée une de ses dames; bientôt elle devint sa favorite, puis sa dame d'honneur. Elle fut, à cette occasion, nommée duchesse de Civrac.
Elle avait toujours conservé les meilleurs rapports avec son mari qu'elle comblait de marques de considération, mais qui était trop butor pour pouvoir en tirer parti quand il était présent. Elle réussit à le faire nommer ambassadeur à Vienne; il eut la bonne grâce d'y mourir promptement. C'est la seule preuve d'intelligence qu'il eût donnée de sa vie. Il la laissa mère de trois enfants, un fils, depuis duc de Lorge et héritier de la fortune de cette branche des Durfort, et deux filles, mesdames de Donissan et de Chastellux.
Madame de Civrac, aussi habile que spirituelle, dès qu'elle fut parvenue à cette haute fortune, voulut patroniser à son tour. Elle se fit la protectrice de la ville de Bordeaux. Tout ce qui en arrivait était sûr de trouver appui auprès d'elle, et elle réussit par là à changer la situation de sa propre famille. Les Monbadon devinrent petit à petit messieurs de Monbadon. Son neveu entra au service, fut nommé colonel et finit par être presque un seigneur de la Cour. C'est après ce succès, dans l'apogée de sa grandeur, qu'elle se trouvait aux eaux des Pyrénées. On y reçut une liste de promotions de colonels. Madame de Civrac s'étendit fort sur l'inconvenance des choix. Une vieille grande dame de province lui répondit: «Que voulez-vous, madame la duchesse, chacun a son badon!»
Tout avait réussi à l'ambitieuse madame de Civrac, mais elle était insatiable. Déjà fort malade, elle croyait avoir amené à un terme prochain le mariage de son fils, le duc de Lorge, avec mademoiselle de Polignac dont la mère était alors toute-puissante, et y mettait pour condition la place de capitaine des gardes pour ce fils tout jeune encore. Au moment de conclure, madame de Gramont, également intrigante, alla sur ses brisées. Elle avait auprès de la Reine le mérite d'avoir été exilée par Louis XV pour une insolence faite à madame Dubarry. Ses prétentions étaient soutenues par les Choiseul; la Reine donna la préférence à son fils et fit pencher la balance.
Madame de Civrac apprit subitement que le jeune Gramont, sous-lieutenant dans un régiment, était arrivé à Versailles, qu'il était créé duc de Guiche, capitaine des gardes, et que son mariage avec mademoiselle de Polignac était déclaré. Elle en eut une telle colère que son sang s'enflamma, et, en quarante-huit heures, elle expira d'une maladie qui n'annonçait pas une terminaison aussi rapide. Madame Victoire, très affligée de cette perte, promit à la mère de nommer madame de Chastellux sa dame d'honneur. Madame de Donissan était déjà sa dame d'atours.
Cette madame de Donissan, qui vit encore à l'âge de quatre-vingt-douze ans, est la mère de madame de Lescure. Toutes deux ont acquis une honorable et triste célébrité dans la première guerre de la Vendée à laquelle elles ont pris la part la plus active, sans sortir du caractère de leur sexe. Les mémoires de madame de Lescure sur ces événements racontent d'une façon aussi touchante que véridique la gloire et les malheurs de cette campagne. Ils ont été rédigés par monsieur de Barante, sur les récits de madame de Lescure (devenue madame de La Rochejaquelein), pendant qu'il était préfet du Morbihan.
CHAPITRE III
J'ai été littéralement élevée sur les genoux de la famille royale. Le Roi et la Reine surtout me comblaient de bontés. Dans un temps où, comme je l'ai déjà dit, les enfants étaient mis en nourrice, puis en sevrage, puis au couvent, où, vêtus en petites dames et en petits messieurs, ils ne paraissaient que pour être gênés, maussades et grognons, avec mon fourreau de batiste et une profusion de cheveux blonds qui ornaient une jolie petite figure, je frappais extrêmement. Mon père s'était amusé à développer mon intelligence, et l'on me trouvait très sincèrement un petit prodige. J'avais appris à lire avec une si grande facilité qu'à trois ans je lisais et débitais pour mon plaisir et même, dit-on, pour celui des autres, les tragédies de Racine.
Mon père se plaisait à me mener au spectacle à Versailles. On m'emmenait après la première pièce pour ne pas me faire veiller, et je me rappelle que le Roi m'appelait quelquefois dans sa loge pour me faire raconter la pièce que je venais de voir. J'ajoutais mes réflexions qui avaient ordinairement grand succès. À la vérité, au milieu de mes remarques littéraires, je lui disais un jour avoir bien envie de lui demander une faveur, et, encouragée par sa bonté, j'avouais convoiter deux des plus petites pendeloques des lustres pour me faire des boucles d'oreilles, attendu qu'on devait me percer les oreilles le lendemain.
Je me rappelle, par la joie que j'en ai ressentie, une histoire de la même nature. Madame Adélaïde, qui me gâtait de tout son cœur, me faisait dire un jour un conte de fée de mon invention. La fée avait donné à la princesse un palais de diamants, avec les magnificences qui s'ensuivent, et enfin, pour les combler toutes, l'héroïne avait trouvé dans un secrétaire d'escarboucle un trésor de cent six francs. Madame Adélaïde fit son profit de cette histoire, et, après avoir mis toute la grâce possible à en obtenir la permission de ma mère, elle me fit trouver dans mon petit secrétaire, qui n'était pourtant, pas d'escarboucle, cent pièces de six francs, avec un papier sur lequel était écrit cent six francs pour Adèle, ainsi qu'il en avait été usé pour la princesse du conte. Je ne suis pas bien sûre que je susse compter jusqu'à cent, mais je me rappelle encore mon saisissement à cette vue.
Mes parents avaient fini par passer tout l'été à Bellevue; ma chambre était au rez-de-chaussée, sur la cour. Madame Adélaïde faisait journellement de très grandes promenades pour aller inspecter ses ouvriers. Elle m'appelait en passant; on me mettait mon chapeau, j'escaladais la fenêtre et je partais avec elle, sans bonne. Elle était toujours suivie d'un assez grand nombre de valets et d'une petite carriole attelée d'un cheval et menée à la main, dans laquelle elle n'entrait jamais mais que j'occupais souvent. Cependant, j'aimais encore mieux courir auprès d'elle et lui faire ce que j'appelais la conversation. J'avais pour rival et pour ami un grand barbet blanc, extrêmement intelligent, qui était aussi des promenades. Quand il se trouvait un peu de boue dans le chemin, on le mettait dans un grand sac de toile et deux hommes attachés à son service le portaient. Pour moi, j'étais très fière de savoir choisir mon chemin sans me crotter comme lui.
Rentrés au château, je disputais à Vizir sa niche de velours rouge qu'il me laissait plus volontiers usurper qu'il ne m'abandonnait les gaufres qu'on écrasait pour nous sur le parquet. Souvent, la bonne princesse se mettait à