Récits d'une tante (Vol. 1 de 4). Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond

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Récits d'une tante (Vol. 1 de 4) - Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond

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la grille de Meudon que la grille du côté de Sèvres fut assaillie par la multitude. Elle fut bientôt forcée: on entra dans le château qui fut mis au pillage, mais Mesdames avaient échappé au danger.

      On a accusé le comte Louis de Narbonne de le leur avoir fait courir, parce que, chevalier d'honneur de madame Adélaïde, il devait l'accompagner et préférait rester à Paris. Mon père a toujours regardé cette assertion comme une de ces absurdes calomnies que l'esprit de parti invente contre les gens qui ne partagent pas ses passions. Au reste, mon père était prévenu pour le comte Louis, il l'aimait tendrement; leur affection était mutuelle, et les opinions politiques avaient peine à les désunir. Le comte Louis disait: «Je suis la passion honteuse de d'Osmond, vainement il se débat contre; et, moi, je ne m'accoutumerai jamais à le voir dans le parti des bêtes». Ils se rencontraient rarement mais, quand ils se voyaient, c'était toujours avec amitié.

      Mesdames furent arrêtées en route. Rendues à la liberté par un décret de l'Assemblée, elles poursuivirent leur route. Nous commençâmes la nôtre qui s'effectua sans accident, et nous rejoignîmes Mesdames à Turin.

      Établie à Rome, ma mère y passa quelques mois dans une vive inquiétude sur les dangers où mon père était exposé. Il vint nous rejoindre au printemps de l'année 1792, quelques mois après la fuite de Varennes. Voici ce que je lui ai entendu raconter depuis:

      Le Roi avait formé le projet de s'éloigner de Paris pour se rendre dans une ville de guerre dont la garnison fût fidèle. Monsieur de Bouillé, commandant dans l'Est, était chargé de préparer les lieux, puis de faire les dispositions du voyage. Mon père était dans la confidence. Il devait, sous prétexte de se rendre à son poste en Russie, quitter Paris, s'arrêter à la frontière, venir rejoindre le Roi où il serait et prendre ses derniers ordres pour la rédaction d'une lettre ou manifeste qu'il devait porter aux Cours du Nord, en leur expliquant la position du Roi qui, échappé des mains des factieux, se trouvait en situation de faire appel à tout ce qui était fidèle en France. Le Roi demandait surtout aux Cours étrangères de ne reconnaître d'autre autorité que la sienne et de ne point traiter avec les princes émigrés. Il existait déjà entre le château des Tuileries et le conseil de monsieur le comte d'Artois la plus vive animadversion.

      Mon père pressait monsieur de Montmorin de l'expédier, mais les paresseuses lenteurs de ce ministre, qui n'était pas dans le secret, retardaient son départ. Il n'osait partir sans ses instructions dans la crainte d'inspirer des soupçons. Le jour fixé pour la fuite approchait; enfin on lui promit que ses lettres de créance seraient prêtes le lendemain.

      Il se promenait aux Champs-Élysées; il vit passer la voiture du Roi revenant de Saint-Cloud. La Reine se pencha en dehors de la portière et lui fit des signes de la main. Il ne les comprit pas alors, mais ils lui furent expliqués lorsque, le lendemain matin, son valet de chambre lui apprit, en entrant chez lui, le départ de la famille royale. Il avait été avancé de quarante-huit heures parce qu'un changement de service parmi les femmes de monsieur le Dauphin aurait fait arriver une personne dont on se méfiait.

      Mon père n'avait pas vu la Reine depuis cette décision et n'avait pu être averti; au reste, il n'aurait pu partir sans les instructions du ministre. Il vit donc sa mission manquée et ne s'occupa plus que du moyen d'aller rejoindre le Roi, lorsqu'il le saurait à Montmédy. Cette préoccupation ne l'empêcha pas de courir toute la matinée. Il trouva la ville dans la stupeur. Les démagogues étaient dans l'effroi; les royalistes n'osaient encore témoigner leur joie. Tous gardaient le silence et personne n'agissait. Bientôt arriva le courrier porteur de la nouvelle de l'arrestation; alors la ville fut assourdie des cris et des vociférations de toute la canaille qu'on put recruter. Les Jacobins reprirent leur audace et les honnêtes gens se cachèrent.

      Ce fut de sa fenêtre du pavillon de Marsan que mon père vit arriver l'horrible escorte qui ramenait au château, à travers le jardin, les illustres prisonniers. Ils furent une heure et demie à se rendre du pont tournant au palais. À chaque instant, le peuple faisait arrêter la voiture pour les abreuver d'insultes et avec l'intention d'arracher les gardes du corps qu'on avait garrottés sur le siège. Cependant cet affreux cortège arriva sans qu'il y eût de sang répandu; s'il en avait coulé une goutte, probablement tout ce qui était dans ce fatal carrosse eût été massacré. Tous s'y attendaient et s'y étaient résignés.

      Aussitôt qu'il fut possible de pénétrer jusqu'aux princes, mon père y arriva. La Reine lui raconta les événements avec autant de douceur que de magnanimité, n'accusant personne et ne s'en prenant qu'à la fatalité du mauvais succès de cette entreprise qui pouvait changer leur destin.

      Il y a bien des relations de ces événements, mais l'authenticité de celle-ci, recueillie de la bouche même de la Reine, me décide à retracer les détails qui me sont restés dans la mémoire parmi ceux que j'ai entendu raconter à mon père.

      La voiture de voyage avait été commandée par madame Sullivan (depuis madame Crawford) que monsieur de Fersen y avait employée pour une de ses amies, la baronne de Crafft. C'était pour cette même baronne, sa famille et sa suite qu'on avait obtenu un passeport parfaitement en règle et un permis de chevaux de poste. La voiture avait été depuis plusieurs jours amenée dans les remises de madame Sullivan. Elle se chargea du soin d'y placer les effets nécessaires à l'usage de la famille royale.

      On aurait désiré que les habitants des Tuileries se dispersassent, mais ils ne voulurent pas se séparer. Le danger était grand, et ils voulaient, disaient-ils, se sauver ou périr ensemble. Monsieur et Madame, qui consentirent à partir chacun de leur côté, arrivèrent sans obstacle. À la vérité, ils ne cherchèrent que la frontière la plus voisine; et le Roi, ne devant pas quitter la France, n'avait qu'une route à suivre. On avait pris beaucoup de précautions, mais la dernière manqua.

      La berline de la baronne de Crafft devait être occupée par le Roi, la Reine, madame Élisabeth, les deux enfants et le baron de Viomesnil. Deux gardes du corps en livrée étaient sur le siège. Madame de Tourzel ne fut informée du départ qu'au dernier moment. Elle fit valoir les droits de sa charge qui l'autorisaient à ne jamais quitter monsieur le Dauphin. L'argument était péremptoire pour ceux auxquels il était adressé, et elle remplaça monsieur de Viomesnil dans la voiture. Dès lors, la famille royale n'avait avec elle personne en état de prendre un parti dans un cas imprévu. Ce n'étaient pas de simples gardes du corps, quelque dévoués qu'ils fussent, qui assumeraient cette responsabilité. Cette décision fut connue trop tard pour qu'on y pût remédier.

      Le jour et l'heure arrivés, le Roi et la Reine se retirèrent comme de coutume et se couchèrent. Ils se relevèrent aussitôt, s'habillèrent de vêtements qu'on leur avait fait parvenir, et partirent seuls des Tuileries. Le Roi donnait le bras à la Reine; en passant sous le guichet, les boucles de ses souliers s'accrochèrent, il pensa tomber. La sentinelle l'aida à se soutenir, et s'informa s'il était blessé. La Reine se crut perdue. Ils passèrent.

      En traversant le Carrousel, ils furent croisés par la voiture de monsieur de Lafayette; les flambeaux portés par ses gens éclairèrent l'auguste couple. Monsieur de Lafayette avança la tête; ils eurent l'inquiétude d'être reconnus, mais la voiture continua sa course. Enfin, ils atteignirent le coin du Carrousel. Monsieur de Fersen les suivait de loin; il hâta le pas, ouvrit la portière d'une voiture de remise où madame de Tourzel et les deux Enfants étaient déjà placés. Monsieur le Dauphin était vêtu en fille; c'était le seul déguisement qui eût été adopté. On attendit quelques minutes madame Élisabeth. Sa sortie du palais avait éprouvé des difficultés. Une fille de garde-robe dévouée lui donnait le bras.

      Le marquis de Briges était le cocher de cette voiture; le comte de Fersen monta derrière. On sortit heureusement de la barrière. La voiture de voyage ne se trouva pas au dehors, comme il était convenu. On attendit plus d'une heure; enfin, on reconnut qu'on s'était trompé de barrière. Le lieu proposé d'abord pour le rendez-vous avait été changé;

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