Récits d'une tante (Vol. 1 de 4). Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond

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Récits d'une tante (Vol. 1 de 4) - Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond

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de poste. Elle y était, en effet, mais il y avait eu beaucoup de temps perdu. Les illustres fugitifs s'y établirent promptement. Ce fut dans ce moment que monsieur de Fersen remit à un des gardes du corps, qui n'en avait pas, ses pistolets sur lesquels son nom était gravé et qui ont été trouvés à Varennes.

      Aucun accident ne retarda la marche; les postillons, bien payés, sans exagération, menaient rapidement. En voyant Charles de Damas à son poste, les voyageurs se flattèrent que les retards apportés à leur départ n'auraient pas de suites fâcheuses; ils commencèrent à prendre quelque sécurité. Il faisait une chaleur extrême; monsieur le Dauphin en souffrait beaucoup. On baissa les jalousies qu'on tenait levées et, en arrivant au relais de Sainte-Menehould, on oublia de tirer les stores du côté du Roi et de la Reine, placés vis-à-vis l'un de l'autre.

      Leurs figures, et surtout celle du Roi, étaient les plus connues. Le Roi aperçut un homme, appuyé contre les roues de la voiture qui le regardait attentivement. Il se baissa sous prétexte de jouer avec ses enfants et dit à la Reine de tirer le store dans quelques instants, sans se presser. Elle obéit, mais, en se relevant, le Roi vit le même homme appuyé sur la roue de l'autre côté de la voiture et le regardant attentivement. Il tenait un écu à la main et semblait confronter les deux profils; mais il ne disait rien.

      Le Roi dit: «Nous sommes reconnus, serons-nous trahis? C'est à la garde de Dieu.»

      Cependant, on achevait d'atteler. L'homme restait appuyé sur la roue, dans un profond silence; il ne l'abandonna qu'au moment où elle se mit en mouvement. Lorsqu'ils eurent quitté le relais de Sainte-Menehould, les pauvres fugitifs crurent avoir échappé à ce nouveau danger, et le Roi dit qu'il faudrait s'occuper de découvrir cet homme pour le récompenser, car certainement il les avait reconnus, que lui le retrouverait entre mille. Hélas, il était destiné à le revoir.

      Que se passe-t-il dans la tête de ce Drouet, car c'était lui: eut-il un moment de pitié, un moment d'hésitation, ou bien, Sainte-Menehould n'étant qu'un tout petit hameau, craignait-il de ne pouvoir ameuter assez de monde pour arrêter la voiture? Je ne sais, mais, bientôt après, il monta à cheval et prit la route de Clermont dont il était maître de poste et où il comptait précéder les voyageurs.

      Il en était très près, et s'étonnait de n'avoir pas encore atteint la voiture, lorsqu'il rencontra des postillons de retour:

      «La voiture a-t-elle encore beaucoup d'avance? cria-t-il.

      « – Nous n'avons pas vu de voiture.

      « – Comment!» et il dépeignit la voiture.

      «Elle n'est pas sur cette route, mais j'ai vu, de la hauteur, une berline sur celle de Varennes; c'est peut-être cela.»

      Drouet n'en douta pas. En effet, à l'embranchement de la route de Clermont et de celle de Varennes, les gardes du corps avaient fait suivre cette dernière aux postillons. Ils avaient fait quelque légère difficulté sur ce que le relais était plus long et qu'on aurait dû avertir à la poste; mais ils avaient passé outre et menaient si bon train que Drouet eut peine à les atteindre.

      Qu'on suppose l'alarme des voyageurs en reconnaissant l'homme de la roue sur un cheval couvert d'écume. Il fit de vifs reproches aux postillons de mener si vite dans un relais si long, leur ordonna de ralentir le pas en les menaçant de les dénoncer au maître de poste de Sainte-Menehould, et lui-même prit les devants. On n'osait pas trop presser les postillons; d'ailleurs, on espérait encore éviter le danger.

      Un relais, préparé par les soins de monsieur de Bouillé, devait être placé avant l'entrée de Varennes. Il était nécessaire de passer le pont situé à la sortie de la petite ville, mais on ne ferait que la traverser. Et, comme il y avait une escorte avec les chevaux de voiture, on pouvait se flatter de ne pas trouver d'obstacle. Le jour tombait. Le relais qui devait être au bas de la montée de Varennes ne s'y trouva pas. On l'espérait en haut; il n'y était pas davantage. Les gardes du corps frappèrent à la glace:

      «Que faut-il faire?

      « – Aller, répondit-on.»

      On arriva à la poste. La nuit était close; il n'y avait pas, disait-on, de chevaux à l'écurie. Les postillons refusèrent de doubler la poste sans faire rafraîchir leurs chevaux. Pendant qu'on parlementait, la Reine vit passer des dragons portant leurs selles sur leurs dos. Elle espéra que le détachement et le relais allaient enfin paraître; mais les chevaux de voiture étaient placés à une extrémité de la ville, ceux des dragons à une autre, et le pont les séparait.

      On vint presser les voyageurs de quitter la voiture et de faire reposer les enfants pendant que les postillons feraient rafraîchir les chevaux de poste. Ils craignirent d'exciter les soupçons en persistant dans leur premier refus; ils entrèrent dans une maison, mais déjà ils étaient dénoncés et reconnus. Une charrette, renversée sur le pont, ferma la communication au détachement de dragons; le tocsin sonna; et, lorsque le duc de Choiseul, qui s'était égaré dans des chemins de traverse et qui se fiait aux précautions ordonnées à Varennes, y arriva, il n'était plus temps de sauver le Roi autrement qu'en le plaçant ainsi que sa famille sur des chevaux de troupe et en prenant au galop le chemin d'un gué. Cela ne pouvait se faire que de vive force et en tirant des coups de pistolet. Monsieur de Choiseul le proposa, le Roi s'y refusa; il dit qu'il ne consentirait jamais à faire couler une goutte de sang français. La Reine n'insista pas; mais il était clair dans son récit qu'elle aurait adopté la proposition de monsieur de Choiseul. Au reste, elle dit à mon père que, du moment où le relais avait manqué, elle n'avait plus eu d'espoir et avait compris qu'ils étaient perdus.

      Malheureusement, le comte de Bouillé avait confié l'important poste de Varennes à son fils, le comte Louis de Bouillé. Il s'y conduisit avec une légèreté et une incurie sans exemple. Sans la faiblesse paternelle de monsieur de Bouillé, qui lui fit donner cette mission à un homme de vingt ans, il est probable que la Révolution aurait pris une autre marche; peut-être même n'en serait-il sorti que de salutaires améliorations à la Constitution française.

      Ce Drouet, que tout à l'heure le pauvre Roi pensait à récompenser, se présenta comme un maître insolent vis-à-vis de la famille éplorée. Bientôt elle fut en butte à tous les outrages. Je ne me rappelle pas d'autres détails, si ce n'est que la Reine se louait des procédés de Barnave, pendant le cruel retour, surtout en les comparant à ceux de monsieur de Latour-Maubourg.

      J'ai dit que le Roi était fort opposé aux démarches que monsieur le comte d'Artois faisait en son nom. Cette opposition ne diminua pas après la réunion de Monsieur à son frère, et les prisonniers des Tuileries furent en complète hostilité avec les chefs de Coblentz.

      La Reine, avec l'approbation du Roi, entretenait une correspondance dont le baron de Breteuil, alors à Bruxelles, était le principal agent, et qui avait pour premier but d'éloigner les cabinets étrangers de prêter les mains aux intrigues des princes. On se cachait pour cela de madame Élisabeth qui penchait pour les opinions de ses frères, de façon que, même dans l'intérieur de ce triste château, la confiance n'était pas complète.

      Mon père était l'intermédiaire de la correspondance de la Reine avec monsieur de Breteuil. Il portait ses lettres chez monsieur de Mercy; et, quelquefois, lorsqu'on craignait d'exciter l'attention par des visites trop fréquentes, c'était Bermont qui allait les recevoir des mains de la Reine. Mon père a eu la certitude qu'une somme de soixante mille francs lui avait été offerte pour livrer ces papiers. S'il avait remis une de ces lettres de la Reine qu'il savait porter, certes il aurait pu la vendre bien cher.

      La situation de la famille royale devenait de jour en jour plus intolérable. Le Roi consentit enfin à reconnaître et à jurer la Constitution. Que ceux qui l'accusent de faiblesse se mettent à sa place avant de le

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