Récits d'une tante (Vol. 1 de 4). Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond

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Récits d'une tante (Vol. 1 de 4) - Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond

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admis que les intrigues ministérielles se dénouaient à Fontainebleau pour continuer apparemment l'existence historique de cette belle résidence. Le dernier voyage a eu lieu en 1787. Malgré l'inhospitalité apparente qui les accompagnait, ils coûtaient très cher à la Couronne; et le Roi, toujours prêt à sacrifier ses propres goûts, quoique ce séjour lui fût très agréable, y renonça. Il était plus aimable à Fontainebleau qu'ailleurs; il y faisait plus de frais.

      Cet excellent prince avait grand'peine à vaincre une timidité d'esprit, jointe à des formes d'une liberté grossière, fruit des habitudes de son enfance, qui lui donnait de grands désavantages auprès de ceux qui ne voyaient en lui que cette rude écorce. Avec la meilleure intention d'être obligeant pour quelqu'un, il s'avançait sur lui jusqu'à le faire reculer à la muraille; si rien ne lui venait à dire, et cela arrivait souvent, il faisait un gros éclat de rire, tournait sur les talons et s'en allait. Le patient de cette scène publique en souffrait toujours, et, s'il n'était pas habitué de la Cour, sortait furieux et persuadé que le Roi avait voulu lui faire une espèce d'insulte. Dans l'intimité, le Roi se plaignait amèrement de la façon dont il avait été élevé. Il disait que le seul homme pour qui il éprouvât de la haine était le duc de La Vauguyon, et il citait à l'appui de ce sentiment des traits de basses courtisaneries adressées à ses frères et à lui, qui justifiaient ce sentiment. Monsieur avait moins de répugnance pour la mémoire du duc de La Vauguyon.

      Monsieur le comte d'Artois partageait celle du Roi. Il était par son heureux caractère, par ses grâces, peut-être même par sa légèreté, le benjamin de toute la famille; il faisait sottise sur sottise; le Roi le tançait, lui pardonnait, et payait ses dettes. Hélas! celle qu'il ne pouvait pas combler, c'est la déconsidération qu'il amassait sur sa propre tête et sur celle de la Reine!

      Le Roi ne jouait jamais qu'au trictrac et aux petits écus; il disait à un gros joueur qui faisait un jour sa partie: «Je conçois que vous jouiez gros jeu, si cela vous amuse; vous, vous jouez de l'argent qui vous appartient, mais, moi, je jouerais l'argent des autres.» Et, pendant qu'il tenait des propos de cette nature, monsieur le comte d'Artois et la Reine jouaient un jeu si énorme qu'ils étaient obligés d'admettre dans leur société intime tous les gens tarés de l'Europe pour trouver à faire leur partie. C'est de cette malheureuse habitude, car ce n'était une passion ni pour l'un ni pour l'autre, que sont venues toutes les calomnies qui ont abreuvé la vie de notre malheureuse Reine de tant de chagrins, même avant que les malheurs historiques eussent commencé pour elle.

      Qui aurait osé accuser la reine de France de se vendre pour un collier, si on ne l'avait pas vue autour d'une table chargée d'or et aspirant à en gagner à ses sujets? Sans doute, elle y attachait au fond peu de prix; mais, quand on joue, on veut gagner et il est impossible d'éviter l'extérieur de l'âpreté. D'ailleurs, les princes, accoutumés à ce que tout leur cède, sont presque toujours mauvais joueurs, et c'est une raison de plus pour eux d'éviter le gros jeu. Mais, si la Reine n'aimait pas le jeu, pourquoi jouait-elle? Ah! c'est qu'elle avait une autre passion, celle de la mode. Elle se paraît pour être à la mode, elle faisait des dettes pour être à la mode, elle jouait pour être à la mode, elle était esprit fort pour être à la mode, elle était coquette pour être à la mode. Être la jolie femme la plus à la mode lui paraissait le titre le plus désirable; et ce travers, indigne d'une grande reine, a été la seule cause des torts qu'on a si cruellement exagérés.

      La Reine voulait être entourée de tout ce que la Cour offrait de jeunes gens les plus agréables; elle acceptait les hommages qu'ils offraient à la femme, bien plus volontiers que ceux adressés à la souveraine. Il en résultait que le jeune homme futile était traité avec plus de faveur et de distinction que l'homme grave et utile au pays. L'envie et la jalousie étaient alertes à calomnier ces inconséquences. La plus coupable, sans doute, était la permission que la Reine donnait à cette troupe de jeunes imprudents de lui parler légèrement du Roi, et de faire sur ses formes grossières des plaisanteries auxquelles elle-même avait le tort réel de prendre part.

      Le trop grand désir de plaire l'entraînait aussi dans des fautes d'un autre genre qui lui faisaient des ennemis. Elle avait un très grand crédit, elle était bien aise qu'on le sût, et elle aimait à en user; mais elle n'entrait jamais sérieusement dans les affaires, et ce crédit n'était exploité que comme un moyen de succès dans la société. Elle voulait disposer des places, et elle avait la mauvaise habitude de promettre la même à plusieurs personnes. Il n'y avait guère de régiment dont le colonel ne fût nommé sur la demande de la Reine, mais, comme elle s'était engagée pour la première vacance à dix familles, elle faisait neuf mécontents et trop souvent un ingrat. Quant aux histoires que les libelles ont racontées sur ses amours, ce sont des calomnies. Mes parents, bien à portée de voir et de savoir ce qui se passait dans l'intérieur, m'ont toujours dit que cela n'avait aucun fondement.

      La Reine n'a eu qu'un grand sentiment et, peut-être, une faiblesse. Monsieur le comte de Fersen, suédois, beau comme un ange et fort distingué sous tous les rapports, vint à la Cour de France. La Reine fut coquette pour lui comme pour tous les étrangers, car ils étaient à la mode; il devint sincèrement et passionnément amoureux; elle en fut certainement touchée, mais résista à son goût et le força à s'éloigner. Il partit pour l'Amérique, y resta deux années pendant lesquelles il fut si malade qu'il revint à Versailles, vieilli de dix ans et ayant presque perdu la beauté de sa figure. On croit que ce changement toucha la Reine; quelle qu'en fût la raison, il n'était guère douteux pour les intimes qu'elle n'eût cédé à la passion de monsieur de Fersen.

      Il a justifié ce sacrifice par un dévouement sans bornes, une affection aussi sincère que respectueuse et discrète; il ne respirait que pour elle, et toutes les habitudes de sa vie étaient calculées de façon à la compromettre le moins possible. Aussi cette liaison, quoique devinée, n'a jamais donné de scandale. Si les amis de la Reine avaient été aussi discrets et aussi désintéressés que monsieur de Fersen, la vie de cette malheureuse princesse aurait été moins calomniée.

      Madame de Polignac lui a été bien plus fatale. Ce n'est pas que ce fût une méchante personne, mais elle était indolente et peu spirituelle; elle intriguait par faiblesse. Elle était sous la domination de sa belle-sœur, la comtesse Diane, ambitieuse, avide autant que désordonnée dans ses mœurs, qui voulait accaparer toutes les faveurs pour elle et pour sa famille, et, tyrannisée par son amant, le comte de Vaudreuil, homme aussi léger qu'immoral, et qui, par le moyen de la Reine, mettait le trésor public au pillage pour lui et les compagnons de ses désordres. Il faisait des scènes à madame de Polignac quand ses demandes souffraient quelque retard. La Reine trouvait la favorite en larmes et s'occupait sur-le-champ de les tarir. Quant à ce qui regardait sa propre fortune, madame de Polignac se bornait, sans rien demander, à accepter nonchalamment les faveurs préparées par les intrigues de la comtesse Diane, et la pauvre Reine vantait son désintéressement. Elle y croyait, et l'aimait sincèrement; l'abandon de la confiance, de son côté, avait été sans limite pendant quelques années.

      La nomination de monsieur de Calonne y avait mis quelque restriction; il était de l'intimité de madame de Polignac, et la Reine ne voulait pas qu'un membre du conseil du Roi fût pris dans ce sanhédrin. Elle s'en était expliquée hautement, mais la coterie, préférant à tout l'agrément d'avoir un contrôleur général à sa disposition, fit valoir auprès de monsieur le comte d'Artois les facilités que lui-même y trouverait. Et ce fut par son moyen que monsieur de Calonne fut nommé, malgré la répugnance de la Reine. Elle en conserva du mécontentement; cela la refroidit pour madame de Polignac, et tous les empressements de monsieur de Calonne échouèrent à se concilier ses bontés. Cependant, il lui répondait un jour où elle lui adressait une demande: «Si ce que la Reine désire est possible, c'est fait; si c'est impossible, cela se fera.» En dépit de paroles si gouvernementales, la Reine n'a jamais pardonné.

      S'il avait des inconvénients, ce désir de plaire n'était pas sans quelques avantages; il rendait la Reine charmante; dès qu'elle pouvait oublier le rôle de femme à la mode qui l'absorbait,

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