Mensonges. Paul Bourget

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Mensonges - Paul Bourget

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jours de la semaine, après le déjeuner; et la pensée de la fièvre dans laquelle René devait l'attendre, le faisait sourire, tandis qu'il franchissait les quelques pas nécessaires pour arriver à la porte de la maison où vivait son jeune ami.

      – « Et dire que j'ai été aussi puéril que lui, » songea-t-il, en se rappelant qu'il y avait eu, pour lui comme pour René, une première sortie mondaine; il songea encore: « Voilà une sensation que ne soupçonnent guère ceux qui ont grandi pour les salons et dans les salons, et comme c'est absurde d'ailleurs que nous allions, nous, chez ces gens-là!.. »

      Tout en philosophant de la sorte, Claude s'était arrêté devant une nouvelle grille, à gauche, fermée celle-là, et il avait sonné. Cette grille donnait sur une allée, laquelle desservait une maison à trois étages, séparée de la rue par la mince bande d'un jardinet. La loge du concierge était située sous la voûte qui terminait la petite allée. Ce concierge se trouvait-il hors de sa loge, ou le coup de sonnette n'avait-il pas été assez fort? Toujours est-il que Claude dut tirer une seconde fois la longue chaîne terminée par un anneau rouillé, qui servait de cordon. Il eut le temps de dévisager cette maison, toute noire et comme morte, où brillait seulement une seule fenêtre, au rez-de-chaussée. C'était là, et dans ce logement dont les quatre fenêtres ouvraient sur l'étroit jardin, qu'habitaient les Fresneau. Mademoiselle Émilie Vincy, la sœur du poète, avait épousé en effet un certain Maurice Fresneau, professeur libre, que Claude connaissait pour avoir été son collègue durant les premiers jours de sa vie à Paris, début d'écrivain pauvre dont l'auteur applaudi de la Goule avait la faiblesse de rougir. Combien il eût mieux aimé avoir dévoré son patrimoine en séances au club ou chez les filles! Il conservait cependant des relations suivies avec son ancien collègue, par reconnaissance pour des services d'argent rendus autrefois. Il s'était d'abord intéressé à René à cause de ce vieux compagnon des mauvais jours; puis il avait subi le charme de la nature du jeune homme. Que de fois il était venu, lassé de son existence factice, toute en douloureuses paresses et en passions amères, se reposer pour une heure dans la modeste chambre qu'occupait René, juste à côté de celle dont il voyait maintenant la croisée éclairée et qui était la salle à manger! Dans le court espace de temps qui sépara ses deux coups de sonnette, et grâce à la rapidité d'imagination propre aux artistes visionnaires, cette chambre se peignit d'un coup devant l'esprit de Claude, – comme un symbole de la vie toute de songes menée jusqu'ici par son ami. Le poète et sa sœur avaient eux-mêmes cloué aux murs une petite étoffe rouge sur laquelle se détachaient, de-ci de-là, des gravures choisies par un goût raffiné de rêveur solitaire: des compositions d'Albert Durer, l'Hélène de Gustave Moreau et son Orphée, quelques eaux-fortes de Goya. La couchette en fer, la table bien rangée, la bibliothèque garnie de livres, le rouge du carrelage apparu comme un encadrement au tapis du milieu, – combien Claude avait aimé ce décor intime, et sur la porte cette phrase de l'Imitation écrite enfantinement par René: Cella continuata dulcescit! L'évocation de ces images modifia soudain la pensée de l'écrivain, qui se sentit, d'ironique, devenir triste, à l'idée qu'en effet cette entrée dans le monde par la porte du salon Komof était un gros événement pour un enfant de vingt-cinq ans et qui avait toujours vécu là. Quelle âme nourrie d'idéal il allait apporter dans cette société de luxe et d'artifice, recrutée par la comtesse!

      – « Jamais de mon avis, » se dit-il, tiré de sa rêverie par le grincement du pêne sur la serrure, et poussant la grille… « Puisque c'est moi qui lui ai conseillé de sortir, qui l'ai habillé pour ce soir. » – Il avait en effet conduit René chez son tailleur, son chemisier, son bottier, son chapelier, afin de procéder à ce qu'il appelait plaisamment son investiture… – « Il fallait penser auparavant aux dangers de cette rencontre avec le monde… Et quel triste don de prévoir le pire! On le présentera à quatre ou cinq femmes, il sera invité à dîner deux ou trois fois, il oubliera de mettre des cartes, il oubliera… et on l'oubliera… »

      Il s'était engagé dans l'allée, puis il avait sonné à une première porte à droite qui était celle des Fresneau, avant la loge du concierge. Cette bizarre disposition des lieux s'expliquait par l'existence d'un second petit jardin et d'une seconde maison, desservis également par la grille de la rue Coëtlogon. La personne qui vint lui ouvrir était une grosse et lourde fille de trente ans, à la taille courte, aux épaules carrées, avec un visage tout d'une pièce, qu'encadrait un serre-tête de forme auvergnate et qu'éclairaient deux yeux bruns d'une simplicité animale. Cette physionomie campagnarde exprimait une instinctive défiance, comme le geste par lequel la fille entre-bâillait à demi la porte au lieu de l'ouvrir largement, comme le clignement de ses paupières tandis qu'elle élevait la lampe à pétrole un peu haut afin de jeter la pleine lumière sur le visiteur. Elle reconnut Claude, et sa large face s'anima d'une bienveillance qui révélait la faveur dont l'écrivain jouissait dans l'intérieur des Fresneau. La fille sourit en montrant des dents blanches et petites, des dents de bête; il lui en manquait une derrière chaque œillère.

      – « Bonsoir, Françoise, » dit le jeune homme, « votre maître est-il prêt? »

      – « Tiens… C'est M. Larcher, » fit joyeusement la bonne; « il est paré, » ajouta-t-elle, « et gentil comme un Jésus… Vous allez trouver la compagnie dans la salle à manger… Attendez que je vous débarrasse de votre veste… Ah! Marie, Joseph! mon pauvre Monsieur, c'est ça qui doit vous peser sur le dos!.. »

      La familiarité de cette servante à tout faire, débarquée tout droit chez les Fresneau, du village d'Auvergne dont était le professeur, et installée dans la maison depuis quinze ans comme chez elle, amusait toujours Claude Larcher. C'était un de ces lettrés trop raisonneurs, qui raffolent du naturel, sans doute parce qu'il les repose du travail desséchant et ininterrompu de leur propre cerveau. Il arrivait à Françoise de lui parler de ses propres ouvrages en des termes d'une prodigieuse bouffonnerie, ou d'exprimer, avec une ingénue naïveté, la crainte dont elle était poursuivie, celle que l'auteur dramatique ne la mît dans quelque pièce de théâtre; ou bien encore elle appliquait à des phrases littéraires, ramassées en servant à table, cet étrange pouvoir de déformation propre aux gens du peuple. Claude se rappelait l'avoir entendue qui, pour vanter l'ardeur au travail de René, disait: « Il s'identifrise avec ses héros. » Il en riait encore. Elle disait « ceuiller » pour « cuiller, » « engratigner » pour « égratigner, » « archeduc » pour « aqueduc, » « voyager en coquelicot » pour « incognito, » et une foule de locutions du même genre que l'écrivain s'amusait à inscrire sur un de ses innombrables calepins à notes, pour un roman qu'il ne finirait jamais. Aussi se complaisait-il d'ordinaire à provoquer ce bavardage. Il ne le fit pas ce soir-là, dominé par l'impression de mélancolie que lui avait causée la subite idée de son rôle de tentateur mondain. Pendant que Françoise suspendait son pardessus à une des patères, il regardait le couloir qu'il connaissait pourtant si bien et sur lequel ouvraient les portes des diverses chambres. Celle du poète, au fond à droite, était exposée au midi; les Fresneau se contentaient d'une autre chambre, plus étroite, au nord, à côté de laquelle se trouvait celle de leur fils, Constant, un petit garçon de six ans, moins cher à Émilie que ne l'était René. Les causes de cette affection passionnée de la sœur pour le frère, Claude les savait, détail par détail, comme il savait l'histoire de cette famille. Et cette histoire touchante, modeste et simple, ne justifiait que trop son remords de venir arracher de cet asile celui en qui elle se résumait toute.

      Le père d'Émilie et de René, avoué à Vouziers, était mort misérablement, à la suite d'excès de boisson. L'étude vendue, toutes les dettes payées et grâce à la réalisation de quelques biens-fonds, la veuve de ce viveur de province avait eu à elle environ cinquante mille francs. Le séjour de Vouziers lui rappelant de trop cruels souvenirs, elle était venue, avec ses deux enfants encore tout jeunes, s'établir à Paris. Elle y avait un frère, l'abbé Taconet, prêtre très distingué, ancien élève de l'École normale, entré dans les ordres subitement, et sans que rien eût expliqué cette résolution à ses camarades qui le virent, avec non moins de stupeur et presque aussitôt après sa sortie de Saint-Sulpice, ouvrir,

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