La Comédie humaine, Volume 4. Honore de Balzac

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La Comédie humaine, Volume 4 - Honore de Balzac

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sans aucun semblant de jeunesse, presque nain, faisait de Modeste une idole: il eût donné sa vie pour elle. Ce pauvre être, dont les yeux semblables à deux lumières de canon sont pressés entre les paupières épaisses, marqué de la petite vérole, écrasé par une chevelure crépue, embarrassé de ses mains énormes, vivait sous les regards de la pitié depuis l'âge de sept ans: ceci ne peut-il pas vous l'expliquer tout entier? Silencieux, recueilli, d'une conduite exemplaire, religieux, il voyageait dans l'immense étendue du pays appelé, sur la carte de Tendre, Amour-sans-espoir, les steppes arides et sublimes du Désir. Modeste avait surnommé ce grotesque premier clerc le nain mystérieux. Ce sobriquet fit lire à Butscha le roman de Walter Scott, et il dit à Modeste: – Voulez-vous, pour le jour du danger, une rose de votre nain mystérieux? Modeste refoula soudain l'âme de son adorateur dans sa cabane de boue, par un de ces regards terribles que les jeunes filles jettent aux hommes qui ne leur plaisent pas. Butscha se surnommait lui-même le clerc obscur, sans savoir que ce calembour remonte à l'origine des panonceaux; mais il n'était, de même que sa patronne, jamais sorti du Havre.

      Peut-être est-il nécessaire, dans l'intérêt de ceux qui ne connaissent pas le Havre, d'en dire un mot en expliquant où se rendait la famille Latournelle, car le premier clerc y est évidemment inféodé.

      Ingouville est au Havre ce que Montmartre est à Paris, une haute colline au pied de laquelle la ville s'étale, à cette différence près que la mer et la Seine entourent la ville et la colline, que le Havre se voit fatalement circonscrit par d'étroites fortifications, et qu'enfin l'embouchure du fleuve, le port, les bassins, présentent un spectacle tout autre que celui des cinquante mille maisons de Paris. Au bas de Montmartre, un océan d'ardoises montre ses lames bleues figées; à Ingouville, on voit comme des toits mobiles agités par les vents. Cette éminence, qui, depuis Rouen jusqu'à la mer, côtoie le fleuve en laissant une marge plus ou moins resserrée entre elle et les eaux, mais qui certes contient des trésors de pittoresque avec ses villes, ses gorges, ses vallons, ses prairies, acquit une immense valeur à Ingouville depuis 1816, époque à laquelle commença la prospérité du Havre. Cette commune devint l'Auteuil, le Ville-d'Avray, le Montmorency des commerçants, qui se bâtirent des villas étagées sur cet amphithéâtre pour y respirer l'air de la mer parfumé par les fleurs de leurs somptueux jardins. Ces hardis spéculateurs s'y reposent des fatigues de leurs comptoirs et de l'atmosphère de leurs maisons serrées les unes contre les autres, sans espace, souvent sans cour, comme les font et l'accroissement de la population du Havre, et la ligne inflexible de ses remparts, et l'agrandissement des bassins. En effet, quelle tristesse au cœur du Havre, et quelle joie à Ingouville! La loi du développement social a fait éclore comme un champignon le faubourg de Graville, aujourd'hui plus considérable que le Havre, et qui s'étend au bas de la côte comme un serpent.

      A sa crête, Ingouville n'a qu'une rue; et, comme dans toutes ces positions, les maisons qui regardent la Seine ont nécessairement un immense avantage sur celles de l'autre côté du chemin auxquelles elles masquent cette vue, mais qui se dressent, comme des spectateurs, sur la pointe des pieds, afin de voir par-dessus les toits. Néanmoins il existe là, comme partout, des servitudes. Quelques maisons assises au sommet occupent une position supérieure ou jouissent d'un droit de vue qui oblige le voisin à tenir ses constructions à une hauteur voulue. Puis la roche capricieuse est creusée par des chemins qui rendent son amphithéâtre praticable; et, par ces échappées, quelques propriétés peuvent apercevoir ou la ville, ou le fleuve, ou la mer. Sans être coupée à pic, la colline finit assez brusquement en falaise. Au bout de la rue qui serpente au sommet, on aperçoit les gorges où sont situés quelques villages, Sainte-Adresse, deux ou trois saints-je-ne-sais-qui, et les criques où mugit l'Océan. Ce côté presque désert d'Ingouville forme un contraste frappant avec les belles villas qui regardent la vallée de la Seine. Craint-on les coups de vent pour la végétation? les négociants reculent-ils devant les dépenses qu'exigent ces terrains en pente?.. Quoi qu'il en soit, le touriste des bateaux à vapeur est tout étonné de trouver la côte nue et ravinée à l'ouest d'Ingouville, un pauvre en haillons à côté d'un riche somptueusement vêtu, parfumé.

      En 1829, une des dernières maisons du côté de la mer, et qui se trouve sans doute au milieu de l'Ingouville d'aujourd'hui, s'appelait et s'appelle peut-être encore le Chalet. Ce fut primitivement une habitation de concierge avec son jardinet en avant. Le propriétaire de la villa dont elle dépendait, maison à parc, à jardins, à volière, à serre, à prairies, eut la fantaisie de mettre cette maisonnette en harmonie avec les somptuosités de sa demeure, et la fit reconstruire sur le modèle d'un cottage. Il sépara ce cottage de son boulingrin orné de fleurs, de plates-bandes, la terrasse de sa villa, par une muraille basse le long de laquelle il planta une haie pour la cacher. Derrière le cottage, nommé, malgré tous ses efforts, le Chalet, s'étendent les potagers et les vergers. Ce Chalet, sans vaches ni laiterie, a pour toute clôture sur le chemin un palis dont les charniers ne se voient plus sous une haie luxuriante. De l'autre côté du chemin, la maison d'en face, soumise à une servitude, offre un palis et une haie semblables qui laissent la vue du Havre au Chalet. Cette maisonnette faisait le désespoir de monsieur Vilquin, propriétaire de la villa. Voici pourquoi. Le créateur de ce séjour dont les détails disent énergiquement: Cy reluisent des millions! n'avait si bien étendu son parc vers la campagne que pour ne pas avoir ses jardiniers, disait-il, dans ses poches. Une fois fini, le Chalet ne pouvait plus être habité que par un ami. Monsieur Mignon, le précédent propriétaire, aimait beaucoup son caissier, et cette histoire prouvera que Dumay le lui rendait bien; il lui offrit donc cette habitation. A cheval sur la forme, Dumay fit signer à son patron un bail de douze ans à trois cents francs de loyer, et monsieur Mignon le signa volontiers en disant: – Mon cher Dumay, songes-y, tu t'engages à vivre douze ans chez moi.

      Par des événements qui vont être racontés, les propriétés de monsieur Mignon, autrefois le plus riche négociant du Havre, furent vendues à Vilquin, l'un de ses antagonistes sur la place. Dans la joie de s'emparer de la célèbre villa Mignon, l'acquéreur oublia de demander la résiliation de ce bail. Dumay, pour ne pas faire manquer la vente, aurait alors signé tout ce que Vilquin eût exigé; mais, une fois la vente consommée, il tint à son bail comme à une vengeance. Il resta dans la poche de Vilquin, au cœur de la famille Vilquin, observant Vilquin, gênant Vilquin, enfin le taon des Vilquin. Tous les matins, à sa fenêtre, Vilquin éprouvait un mouvement de contrariété violente en apercevant ce bijou de construction, ce Chalet qui coûta soixante mille francs, et qui scintille comme un rubis au soleil. Comparaison presque juste!

      L'architecte a bâti ce cottage de briques du plus beau rouge rejointoyées en blanc. Les fenêtres sont peintes en vert vif, et les bois en brun tirant sur le jaune. Le toit s'avance de plusieurs pieds. Une jolie galerie découpée règne au premier étage, et une varanda projette sa cage de verre au milieu de la façade. Le rez-de-chaussée se compose d'un joli salon, d'une salle à manger, séparés par le palier d'un escalier de bois dont le dessin et les ornements sont d'une élégante simplicité. La cuisine est adossée à la salle à manger, et le salon est doublé d'un cabinet qui servait alors de chambre à coucher à monsieur et à madame Dumay. Au premier étage, l'architecte a ménagé deux grandes chambres accompagnées chacune d'un cabinet de toilette, auxquelles la varanda sert de salon; puis, au-dessus, se trouvent, sous le faîte, qui ressemble à deux cartes mises l'une contre l'autre, deux chambres de domestique, éclairées chacune par un œil-de-bœuf, et mansardées, mais assez spacieuses. Vilquin eut la petitesse d'élever un mur du côté des vergers et des potagers. Depuis cette vengeance, les quelques centiares que le bail laisse au Chalet ressemblent à un jardin de Paris. Les communs, bâtis et peints de manière à les raccorder au Chalet, sont adossés au mur de la propriété voisine.

      L'intérieur de cette charmante habitation est en harmonie avec l'extérieur. Le salon, parqueté tout en bois de fer, offre aux regards les merveilles d'une peinture imitant les laques de Chine. Sur des fonds noirs encadrés d'or, brillent les oiseaux multicolores, les feuillages verts impossibles, les fantastiques dessins des Chinois. La salle à manger est entièrement revêtue de bois du Nord découpé, sculpté comme dans les belles cabanes russes. La petite antichambre formée par le palier et la

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