La Comédie humaine, Volume 4. Honore de Balzac

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La Comédie humaine, Volume 4 - Honore de Balzac

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le caissier et sa femme est boisé, plafonné, comme la chambre d'un paquebot. Ces folies d'armateur expliquent la rage de Vilquin. Ce pauvre acquéreur voulait loger dans ce cottage son gendre et sa fille. Ce projet connu de Dumay pourra plus tard vous expliquer sa ténacité bretonne.

      On entre au Chalet par une petite porte de fer, treillissée, et dont les fers de lance s'élèvent de quelques pouces au-dessus du palis et de la haie. Le jardinet, d'une largeur égale à celle du fastueux boulingrin, était alors plein de fleurs, de roses, de dahlias, des plus belles, des plus rares productions de la Flore des serres; car, autre sujet de douleur vilquinarde, la petite serre élégante, la serre de fantaisie, la serre, dite de Madame, dépend du Chalet et sépare la villa Vilquin, ou, si vous voulez, l'unit au cottage. Dumay se consolait de la tenue de sa caisse par les soins de la serre, dont les productions exotiques faisaient un des plaisirs de Modeste. Le billard de la villa Vilquin, espèce de galerie, communiquait autrefois par une immense volière en forme de tourelle avec cette serre; mais, depuis la construction du mur qui le priva de la vue des vergers, Dumay mura la porte de communication.

      – Mur pour mur! dit-il.

      – Vous et Dumay, vous murmurez! dirent à Vilquin les négociants pour le taquiner.

      Et tous les jours, à la Bourse, on saluait d'un nouveau calembour le spéculateur jalousé.

      En 1827, Vilquin offrit à Dumay six mille francs d'appointements et dix mille francs d'indemnité pour résilier le bail; le caissier refusa, quoiqu'il n'eût que mille écus chez Gobenheim, un ancien commis de son patron. Dumay, croyez-le, est un Breton repiqué par le Sort en Normandie. Jugez de la haine conçue contre ses locataires du Chalet par le normand Vilquin, un homme riche de trois millions! Quel crime de lèse-million que de démontrer aux riches l'impuissance de l'or? Vilquin, dont le désespoir le rendait la fable du Havre, venait de proposer une jolie habitation en toute propriété à Dumay, qui de nouveau refusa. Le Havre commençait à s'inquiéter de cet entêtement, dont, pour beaucoup de gens, la raison se trouvait dans cette phrase: – Dumay est Breton. Le caissier, lui, pensait que madame et surtout mademoiselle Mignon eussent été trop mal logées partout ailleurs. Ses deux idoles habitaient un temple digne d'elles, et profitaient du moins de cette somptueuse chaumière où des rois déchus auraient pu conserver la majesté des choses autour d'eux, espèce de décorum qui manque souvent aux gens tombés.

      Peut-être ne regrettera-t-on pas d'avoir connu par avance et l'habitation et la compagnie habituelle de Modeste; car, à son âge, les êtres et les choses ont sur l'avenir autant d'influence que le caractère, si toutefois le caractère n'en reçoit pas quelques empreintes ineffaçables. A la manière dont les Latournelle entrèrent au Chalet, un étranger aurait bien deviné qu'ils y venaient tous les soirs.

      – Déjà, mon maître?.. dit le notaire en apercevant dans le salon un jeune banquier du Havre, Gobenheim, parent de Gobenheim-Keller, chef de la grande maison de Paris.

      Ce jeune homme à visage livide, un de ces blonds aux yeux noirs dont le regard immobile a je ne sais quoi de fascinant, aussi sobre dans sa parole que dans le vivre, vêtu de noir, maigre comme un phthisique, mais vigoureusement charpenté, cultivait la famille de son ancien patron et la maison de son caissier, beaucoup moins par affection que par calcul. On y jouait le whist à deux sous la fiche. Une mise soignée n'était pas de rigueur. Il n'acceptait que des verres d'eau sucrée, et n'avait aucune politesse à rendre en échange. Cette apparence de dévouement aux Mignon laissait croire que Gobenheim avait du cœur, et le dispensait d'aller dans le grand monde du Havre, d'y faire des dépenses inutiles, de déranger l'économie de sa vie domestique. Ce catéchumène du Veau d'or se couchait tous les soirs à dix heures et demie, et se levait à cinq heures du matin. Enfin, sûr de la discrétion de Latournelle et de Butscha, Gobenheim pouvait analyser devant eux les affaires épineuses, les soumettre aux consultations gratuites du notaire, et réduire les cancans de la place à leur juste valeur. Cet apprenti gobe-or (mot de Butscha) appartenait à cette nature de substances que la chimie appelle absorbantes. Depuis la catastrophe arrivée à la maison Mignon, où les Keller le mirent en pension pour apprendre le haut commerce maritime, personne au Chalet ne l'avait prié de faire quoi que ce soit, pas même une simple commission; sa réponse était connue. Ce garçon regardait Modeste comme il aurait examiné une lithographie à deux sous.

      – C'est l'un des pistons de l'immense machine appelée Commerce, disait de lui le pauvre Butscha dont l'esprit se trahissait par de petits mots timidement lancés.

      Les quatre Latournelle saluèrent avec la plus respectueuse déférence une vieille dame vêtue de velours noir, qui ne se leva pas du fauteuil où elle était assise, car ses deux yeux étaient couverts de la taie jaune produite par la cataracte. Madame Mignon sera peinte en une seule phrase. Elle attirait aussitôt le regard par le visage auguste des mères de famille dont la vie sans reproches défie les coups du Destin, mais qu'il a pris pour but de ses flèches, et qui forment la nombreuse tribu des Niobés. Sa perruque blonde bien frisée, bien mise, seyait à sa blanche figure froidie comme celle de ces femmes de bourgmestre peintes par Holbein. Le soin excessif de sa toilette, des bottines de velours, une collerette de dentelles, le châle mis droit, tout attestait la sollicitude de Modeste pour sa mère.

      Quand le moment de silence, annoncé par le notaire, fut établi dans ce joli salon, Modeste, assise près de sa mère et brodant pour elle un fichu, devint pendant un instant le point de mire des regards. Cette curiosité cachée sous les interrogations vulgaires que s'adressent tous les gens en visite, et même ceux qui se voient chaque jour, eût trahi le complot domestique médité contre la jeune fille à un indifférent; mais Gobenheim, plus qu'indifférent, ne remarqua rien, il alluma les bougies de la table à jouer.

      L'attitude de Dumay rendit cette situation terrible pour Butscha, pour les Latournelle, et surtout pour madame Dumay, qui savait son mari capable de tirer, comme sur un chien enragé, sur l'amant de Modeste. Après le dîner, le caissier était allé se promener, suivi de deux magnifiques chiens des Pyrénées soupçonnés de trahison, et qu'il avait laissés chez un ancien métayer de monsieur Mignon; puis, quelques instants avant l'entrée des Latournelle, il avait pris à son chevet ses pistolets et les avait posés sur la cheminée en se cachant de Modeste. La jeune fille ne fit aucune attention à tous ces préparatifs, au moins singuliers.

      Quoique petit, trapu, grêlé, parlant tout bas, ayant l'air de s'écouter, ce Breton, ancien lieutenant de la Garde, offre la résolution, le sang-froid si bien gravés sur son visage, que personne en vingt ans, à l'armée, ne l'avait plaisanté. Ses petits yeux d'un bleu calme, ressemblent à deux morceaux d'acier. Ses façons, l'air de son visage, son parler, sa tenue, tout concorde à son nom bref de Dumay. Sa force, bien connue d'ailleurs, lui permet de ne redouter aucune agression. Capable de tuer un homme d'un coup de poing, il avait accompli ce haut fait à Bautzen, en s'y trouvant sans armes, face à face avec un Saxon, en arrière de sa compagnie. En ce moment la ferme et douce physionomie de cet homme atteignit au sublime du tragique. Ses lèvres pâles comme son teint indiquèrent une convulsion domptée par l'énergie bretonne. Une sueur légère, mais que chacun vit et supposa froide, rendit son front humide. Le notaire, son ami, savait que, de tout ceci, pouvait résulter un drame en Cour d'Assises. En effet, pour le caissier, il se jouait, à propos de Modeste Mignon, une partie où se trouvaient engagés un honneur, une foi, des sentiments d'une importance supérieure à celle des liens sociaux, et résultant d'un de ces pactes dont le seul juge, en cas de malheur, est au ciel. La plupart des drames sont dans les idées que nous nous formons des choses. Les événements qui nous paraissent dramatiques ne sont que les sujets que notre âme convertit en tragédie ou en comédie, au gré de notre caractère.

      Madame Latournelle et madame Dumay, chargées d'observer Modeste, eurent je ne sais quoi d'emprunté dans le maintien, de tremblant dans la voix que l'inculpée ne remarqua point, tant elle paraissait absorbée par sa broderie. Modeste plaquait chaque fil de coton avec une perfection à désespérer des brodeuses. Son visage disait tout le plaisir que lui causait le mat du pétale qui

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