Aymeris. Blanche Jacques-Émile
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Aymeris - Blanche Jacques-Émile страница 17
Georges ne comprenant pas, del Merol le poussa, tomba sur l’innocent à bras raccourcis. Georges se défendit mal, déclara devant l’énorme dame fardée, qu’il achetait deux livres de thé pour Mme Aymeris, et rien de plus…
L’histoire fit le tour des classes. Poursuivi dans les préaux et dans la rue du Havre par des plaisanteries dont il rougissait, Georges subit l’opprobre en martyr chrétien, convaincu de la noblesse de son rôle, quand il gravit son Calvaire, de la rue de Provence aux confins de Montmartre, ligoté par de mauvais drôles résolus à compléter son expérience de jeune mâle.
Giuseppe da Viterbo, un Napolitain qu’on eût pris pour un grand de philosophie ou de «spéciales», au développement de son système pileux, à ses pantalons évasés en «pattes d’éléphant» et à son fume-cigarettes d’ambre, était le roi de la division B, trop souvent voisin de Georges, d’après «sa place» dans les compositions.
Viterbo, quand il ne roulait pas dans les rues, «séchant la classe», dormait, «claqué par la noce». Des femmes! il n’y a que za! zézayait-il. De l’autre côté, un grand pâle, Souchon, les yeux battus, les narines ouvertes, avait des conciliabules avec Viterbo, projetait des «bordées» sur la butte, avec Noémi et Zaza. Georges se creusait la tête pour se représenter les scènes de débauche, décrites avec des mots qu’il n’avait point entendus ailleurs; et ayant un jour demandé naïvement une explication, Viterbo, le toisant, grogna: – Veux-tu bien nè pas nous mouzarder, gozze! L’amourr, est-ze quèza te rrégarde? Ces çozes-là, za nè serra zamais pourr toi!
Les plus intelligents, les gloires du lycée, portaient des noms qui sonnaient à l’allemande; surtout des noms de villes. C’étaient des israélites. Viterbo était, disait-on, israélite, et son père, un négociant en perles; les parents des autres étaient aussi «dans les affaires». Georges aimait ce mot israélite, si joli quand il vient dans les vers de Racine. Les La Roche-Michelon disaient: juifs, Georges rétablissait: israélites.
Dans la plupart des milieux bourgeois, on n’en connaissait pas, hormis de rares israélites établis à Paris; l’on ne faisait point de différence entre eux et d’autres «gens riches». Pour Georges, la juive, c’était l’étalagiste du marché de Passy, chez qui Ellen Gonnard trouvait «des occasions en étoffes et lingeries».
Mme Aymeris fit mille gentillesses et avances à trois jeunes Engelschloss qui emmenaient Georges au théâtre et allaient au concert Pasdeloup. Avec un Georges Cassel, bon pianiste, Georges déchiffra la partition à quatre mains de Lohengrin, dont le libretto, autant que la musique, lui donnait un plaisir indéfinissable.
Pourquoi Mme d’Almandara avait-elle «chuté» le prélude et la marche nuptiale de cet ouvrage, quand Pasdeloup s’était permis de les exécuter? Mon père avait, sous l’Empire, applaudi à la représentation de Tannhauser; il fit venir les partitions du Vaisseau fantôme, de Tristan et Isolde, des fragments de la Tétralogie, que Wagner montait pour l’ouverture de son temple de Bayreuth, et dont papa s’entretenait souvent aux dîners du dimanche à Passy, avec Léon Maillac.
Celui-ci, le plus jeune des centenaires, allait être bientôt l’initiateur, le confident de Georges Aymeris, une sorte de Messie sortant des nues.
M. Léon Maillac, le seul des centenaires qui ne me parût pas assommant, regardait mes barbouillages. Il avait beaucoup de livres, des tableaux. On ne me permettait pas d’aller chez lui; j’avais entendu dire par mes parents qu’on n’allait pas chez les vieux célibataires. Il riait de tous mes mots. Je l’aimais, il m’a mieux compris que qui que ce soit.
Mais nous retrouverons Léon Maillac plus tard.
Les trois israélites vinrent chez M. et Mme Aymeris; bientôt, on s’aperçut qu’ils étaient républicains! Leurs parents firent des tentatives «dépourvues de tact», offrirent des cadeaux, tels que pâtés de foies gras, dindes truffées, aux parents de Georges. Le bon M. Aymeris dîna, contre son gré, chez eux, avec des personnages politiques du nouveau régime, excusa Mme Aymeris, qui, elle, n’allait point dans le monde. On ne se tint pas encore pour battu… Avec sa brusque franchise, à la vingtième invitation, Mme Aymeris répondit à l’une des dames: – Ni mon fils, ni moi, jamais, jamais n’irons chez vous! Mme Engelschloss se vexa, ses fils ne retournèrent plus à Passy. Les tantes pensèrent: – Enfin, Alice aura eu du nez, une fois dans sa vie. Pierre est en train de se compromettre dans ce monde d’intrus interlopes, par lesquels se dégrade la République qu’ils veulent consolider; nous étions, quant à nous deux, sur le point de nous y rallier, comme à une forme provisoire de gouvernement… jusqu’au retour du Roi. Le maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta, en attendant, est «représentatif». Si M. le Comte de Chambord reconnaissait le Comte de Paris, la Monarchie constitutionnelle aurait plus de chances que la légitimité.
Le meilleur camarade de Georges était le fils d’un emballeur, Jean Michel. Georges le «cueillait», le matin, sur la route, prêt à grimper dans la voiture des Aymeris. Octave n’en disait rien, à la maison, car Georges ne se vantait pas de cette amitié, Mlles Caroline et Lucile ayant maintes fois dit: – Georges, énumère le nom de tes condisciples, allons vite! nous voulons savoir comment s’appellent tes amis. Sous la République, les collèges sont encore plus mélangés que sous l’Empire, il faut choisir ses relations, elles vous suivent toute la vie: imite ton père! Avant de se lier, un jeune homme demande à ses parents conseils et permission. En dehors des études, ne cause qu’avec ceux dont nous pourrions recevoir les parents; gare aux rastaquouères de ton lycée! tu sais, Georges, choisis des Français, avant tout!
Jean Michel était bien Français, mais les La Roche-Michelon traversaient la rue s’ils rencontraient Georges avec ce plébéien. Les manches de Michel étaient couvertes de lustrine. Il était dans les premiers, très trapu en discours latin, écrivait un français classique, mais, comme Octave, lâchait aussi des phrases très communes, «On a été se ballader à Suresne, on a mangé du saucisson avec une piquette épatante»… Ses mouchoirs avaient la taille d’une serviette et des carreaux blancs et bleus comme la toile à matelas. Georges jouissait mieux qu’ailleurs de Michel, quand ils étaient en tête à tête chez l’emballeur; Michel aurait voulu aller à Passy, mais Georges n’osait pas risquer une avanie: quelle confusion, si les tantes, ou même maman, avaient demandé à Michel: Qu’est-ce que fait Monsieur votre père? – et qu’il dût répondre: – Il est emballeur!
Georges et Michel poussaient, après la classe du samedi, jusqu’au boulevard Haussmann, pour admirer les vitrines d’un éditeur de gravures. Jean s’intéressait aux eaux-fortes symboliques de Chifflart, aux guerriers gaulois de Luminais. Quant à Georges, il était conquis par les colorations vibrantes de toiles originales devant lesquelles les passant s’esclaffaient de rire: un pont d’Argenteuil, des vues des environs de Paris, signées Sisley, Pissarro, Renoir, Claude Monet, nom qui lui semblait être une contrefaçon, car il entendait parler d’Edouard par Mme Demaille, la parente du magistrat M. Manet, père du «barbouilleur» dont elle déplorait l’excentricité. M. Léon Maillac, qui possédait des toiles de Renoir, connaissait la plupart de ces artistes.
Au retour de ses visites au magasin de Cadart, Georges rentrait chez Jean. Dans un cabinet pris sur l’espace d’une remise servant d’atelier à l’emballeur, Jean lut à Georges Manon Lescaut, des pièces de théâtre d’Octave Feuillet, du Musset, des drames de Victor Hugo; il récita des poèmes «à la gloire de l’amour». Jean s’était épris d’une cousine, choriste à l’Opéra-Comique; il composait pour elle et lui adressait des vers tendres et idylliques, d’une passion éthérée et cérébrale. Georges,