Aymeris. Blanche Jacques-Émile

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Aymeris - Blanche Jacques-Émile

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compotiers de fruits, quatre assiettes de «fours» et une jardinière de plantes vertes. M. Aymeris écarte les revers de son habit, remonte sa serviette à mi-plastron (plastron mol et qui bouffe), et sert le potage, comme d’ailleurs tous les plats; mesure la part de chacun, selon les préférences et l’importance du convive. Mme Aymeris fait des recommandations à Antonin, se penche pour voir, au travers des branches de yucca, si M. Aymeris a fini de palper le petit pain-riche de Mme Demaille, réchauffé dans le four, et s’il épinglera encore la serviette de son amie, ce qui est si ridicule!

      C’est, aujourd’hui, «soir de caneton». Il y en a trois sur le réchaud. Avant les canetons, ce furent les paupiettes de veau, les merlans pochés au riz; une poularde au blanc et des pâtes, pour le «patron» et la chère Mme Demaille. Antonin découpe cette volaille de valétudinaires sur un dressoir, tandis que son maître cisèle «au bout de la fourchette», es immondes palmipèdes pour les gourmets: prodigieux tour d’adresse et de force, interrompu par une anecdote de Palais, qui impatiente Mme Aymeris, car ces histoires ne sont point courtes.

      – … Et ce misérable confrère dont j’ai honte de prononcer le nom, dégrade l’ordre des avocats! c’est vous, M. le Président, c’est vous mes chers amis, qui l’excusez? cette femme… ce collier de perles… Mme de Païva que j’ai connue me racontait…

      – Servez-nous donc, Maître Aymeris, au lieu de balancer cette aiguillette comme un baladin à l’hippodrome! le jus fige dessus! ordonne Mme Aymeris agitée, et elle fait enlever le yucca, qui l’empêche de voir les canetons.

      – Vous n’avez encore effilé que quatre morceaux, monsieur Aymeris? C’est comme cela qu’on mange froid. Pierre s’est habitué à la patience de Mme Demaille! Pour moi, un repas n’est jamais assez court.

      Les femmes de chambre pouffent de rire.

      – Poli pour nous, merci! dit le président Lachertier.

      – Pardon, mes amis! je vous aime beaucoup, mais dans le salon! Les histoires du Palais n’en finissent plus!.. M. Aymeris va encore nous attendrir sur quelqu’un… Nous connaissons les chéris de Pierre, n’est-ce pas, mon Président? Tous des saints du Paradis… allons! allons! faites vite, monsieur Aymeris! le caneton, s’il vous plaît! si l’on ne nous sert pas, je retourne à mon fauteuil. Elle trépigne d’impatience.

      M. Aymeris s’interrompt encore.

      Sa femme décide:

      – Allons tous nous asseoir confortablement, mes amis! Notre avocat est comme Deldevez, le chef d’orchestre qui ralentit tous les mouvements. Servons chaud!

      Mme Aymeris, d’un trait juste et pittoresque, condamnait et louait implacablement, provoquant des rires approbatifs, des réticences de la part des timides, ou une grimace de Mme Demaille qui glissait au maître de la maison un regard d’entente et de pitié.

      – Alice est infernale! murmurait-elle, entre ses dents.

      – Ce soir, disait parfois le patron, nous nous passerons du concours d’Antonin: il a sa crise!

      Antonin prétendait souffrir de la goutte comme son maître; et Mme Aymeris ajoutait: – Rhumatisme sympathique, goutte par dévouement! Antonin a peur de passer pour le fils de sa dondon de femme, puisqu’il a été assez sot pour épouser Domenica, son Italienne qui a vingt ans de plus que lui… Et ils sont amoureux! c’est ridicule! Elle devrait se calmer, cette goule.

      Mme Demaille regardait Mme Aymeris de travers, et lui jetait:

      – Ces mots! Antonin est las, ma chère! on ne conserve pas toujours l’aspect des tendrons!

      – Parlez pour vous, ma belle, avec vos cheveux noirs! La vie ne creuse pas de sillons dans vos joues. En effet, j’envie votre sérénité!

      Mme Demaille s’apprêtait à répondre. Un coup de coude de M. Aymeris voulait dire: – Ma bonne amie, chère bonne… vous écoutez encore Alice?..

      Alice levait les yeux au ciel, ou prenait à témoin le Président, tandis que Mlle Sybille toussait, buvait pour feindre de pousser quelque chose qui ne passait pas; nerveuse elle n’avait plus goûté à un poisson, depuis une fameuse arête difficilement extraite de sa gorge par Nélaton, avec des pinces que la vieille demoiselle portait dans un étui, en cas de récidive…

      – C’est que nous n’avons plus de chirurgien! disait-elle pendant que les colères grondaient au loin.

      – Bataille de dames! Hé là, Môssieur Berryer! Où sont vos confrères? Il y a bien quelque repas de corps, ce soir, à la Galerie Montpensier! On vous y attend… au moins vous ne vous disputeriez pas, là-bas…

      C’était le Président, et ses cruelles plaisanteries.

      – On m’insulte à ma propre table! grommelait Me Aymeris, en resserrant sa cravate de satin noir qui, en trois tours, pressait un col-carcan dont les coins entraient dans ses bajoues encore grasses.

      Lors des «piques» trop vives, le général louait le moelleux sans pareil des sauces, les carpes à la Chambord, les escalopes Vatel, les charlottes russes, mais ne rassérénait point l’atmosphère:

      – Vous faites toujours venir de chez Petit, le pâtissier de la place de Passy, ma cousine.

      Mme Aymeris s’écriait:

      – Mais non! Domenica pinxit! mon cousin, vous n’êtes donc plus connaisseur?

      Georges s’ennuyait à mourir, même à côté de M. Maillac et de M. Fioupousse.

      Il y avait des dîners réussis; des dîners ternes; il y en avait où des discussions s’élevaient entre Fioupousse et le Président; il y avait les repas où l’irritation silencieuse du maître faisait perdre à Mme Aymeris tout contrôle sur elle-même. Le plus souvent, routines, redites; le Président proposait alors:

      – M. Aymeris, rajeunissons les cadres! Qu’en pensez-vous, mon général? et vous mon colonel? Nous avons la jambe cotonneuse!

      Ceux-ci amèneraient des sous-lieutenants; on ferait venir les tantes Lili et Caro. Ceci, d’un effet comique toujours sûr.

      Après le dîner, le Président jouait avec le Colonel au tric-trac dans le salon rouge; deux bougies à abat-jour verts vacillaient sur la table. Dans le cabinet de l’avocat, infusait la camomille. Mme Demaille et Mlle Lachertier s’endormaient. M. Aymeris faisait une partie de cartes avec les autres. Mme Aymeris regardait la pendule. Georges appelait M. Maillac au piano; c’était une partition à quatre mains, de Wagner; un oratorio de Schumann; ou quelque œuvre nouvelle à déchiffrer. Diogène-Christophe Fioupousse racontait Delacroix, Théophile Gautier, Baudelaire, une visite à son ami Manet, ou les curieux tableaux de théâtre d’un certain Degas. Georges, d’après des descriptions de «peinture au pétrole», à la façon des décors, avait fini par se représenter l’artiste comme un ouvrier, quoique Fioupousse eût dit:

      – M. Degas, comme Edouard Manet, un fils de famille.

      Vinton-Dufour, du Salon des Refusés, aimait Manet comme un frère, mais, sur sa nouvelle manière, se réservait. Il reconnaissait qu’Edouard avait fait de la bonne peinture jadis, avant que Claude Monet ne le dévoyât. Georges craignait Vinton et l’admirait tout de même, car Léon Maillac l’avait élevé dans le culte de cet «ours», mais Vinton dédaignait trop les études de Georges, ses essais de gamin. On demandait à Vinton: – Avez-vous vu ce que

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