Jane Eyre; ou Les mémoires d'une institutrice. Brontë Charlotte

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Jane Eyre; ou Les mémoires d'une institutrice - Brontë Charlotte

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se prolongèrent jusqu'à cinq heures. Il n'y eut dans l'après-midi qu'un seul événement de quelque importance. La jeune fille avec laquelle j'aurais causé sous la galerie fût renvoyée d'une leçon d'histoire par Mlle Scatcherd, sans que je pusse en savoir la cause. On lui ordonna d'aller se placer au milieu de la salle d'étude. Cette punition me sembla bien humiliante, surtout à son âge; elle semblait avoir de treize à quatorze ans; je m'attendais à lui voir donner des signes de souffrance et de honte; mais, à ma grande surprise, elle ne pleura ni ne rougit; calme et grave, elle resta là, en butte à tous les regards. «Comment peut-elle supporter ceci avec tant de tranquillité et de fermeté? pensai-je; si j'étais à sa place, je souhaiterais de voir la terre m'engloutir.»

      Mais elle semblait porter sa pensée au delà de son châtiment et de sa triste position. Elle ne paraissait point préoccupée de ce qui l'entourait. J'avais entendu parler de personnes qui rêvaient éveillées; je me demandais s'il n'en était pas ainsi pour elle: ses yeux étaient fixés sur la terre, mais ils ne la voyaient pas; son regard semblait plonger dans son propre coeur.

      «Elle pense au passé, me dis-je, mais certes le présent n'est rien pour elle.»

      Cette jeune fille était une énigme pour moi; je ne savais si elle était bonne ou mauvaise.

      Lorsque cinq heures furent sonnées, on nous servit un nouveau repas, consistant en une tasse de café et un morceau de pain noir; je bus mon café et je dévorai mon pain; mais j'en aurais désiré davantage, j'avais encore faim. Vint ensuite une demi-heure de récréation, puis de nouveau l'étude; enfin, le verre d'eau, le morceau de gâteau d'avoine, la prière, et tout le monde alla se coucher.

      C'est ainsi que se passa mon premier jour à Lowood.

      CHAPITRE VI

      Le jour suivant commença de la même manière que le premier; on se leva et on s'habilla à la lumière; mais ce matin-là nous fumes dispensés de la cérémonie du lavage, car l'eau était gelée dans les bassins. La veille au soir il y avait eu un changement de température; un vent du nord-est, soufflant toute la nuit à travers les crevasses de nos fenêtres, nous avait fait frissonner dans nos lits et avait glacé l'eau.

      Avant que l'heure et demie destinée à la prière et à la lecture de la Bible fût écoulée, je me sentis presque morte de froid. Le déjeuner arriva enfin. Ma part me sembla bien petite, et j'en aurais volontiers accepté le double. Ce jour-là, je fus enrôlée dans la quatrième classe, et on me donna des devoirs à faire. Jusque-là je n'avais été que spectatrice à Lowood; j'allais devenir actrice. Comme j'étais peu habituée à apprendre par coeur, les leçons me semblèrent d'abord longues et difficiles; le passage continuel d'une étude à l'autre m'embrouillait: aussi ce fut une vraie joie pour moi lorsque, vers trois heures de l'après-midi, Mlle Smith me remit avec une bande de mousseline, longue de deux mètres, un dé et des aiguilles. Elle m'envoya dans un coin de la chambre, et m'ordonna d'ourler cette bande. Presque tout le monde cousait à cette heure, excepté toutefois quelques élèves qui lisaient tout haut, groupées autour de la chaise de Mlle Scatcherd. La classe était silencieuse, de sorte qu'il était facile d'entendre le sujet de la leçon, de remarquer la manière dont chaque enfant s'en tirait, et d'écouter les reproches ou les louanges adressées par la maîtresse.

      On lisait l'histoire d'Angleterre. Parmi les lectrices se trouvait la jeune fille que j'avais rencontrée sous la galerie. Au commencement de la leçon, elle était sur les premiers rangs; mais pour quelque erreur de prononciation, ou pour ne s'être point arrêtée quand elle le devait, elle fut renvoyée au fond de la pièce. Mlle Scatcherd continua jusque dans cette place obscure à la rendre l'objet de ses incessantes observations; elle se tournait continuellement vers elle pour lui dire:

      «Burns (car dans ces pensions de charité on appelle les enfants par leur nom de famille, comme cela se pratique dans les écoles de garçons), Burns, vous tenez votre pied de côté; remettez-le droit immédiatement… Burns, vous plissez votre menton de la manière la plus déplaisante; cessez tout de suite… Burns, je vous ai dit de tenir la tête droite; je ne veux pas vous voir devant moi dans une telle attitude.»

      Lorsque le chapitre eut été lu deux fois, on ferma les livres et l'interrogation commença.

      La leçon comprenait une partie du règne de Charles Ier; il y avait plusieurs questions sur le tonnage, l'impôt et le droit payé par les bateaux. La plupart des élèves étaient incapables de répondre; mais toutes les difficultés étaient immédiatement résolues, dès qu'elles arrivaient à Mlle Burns; elle semblait avoir retenu toute la leçon, et elle avait une réponse prête pour chaque question. Je m'attendais à voir Mlle Scatcherd louer son attention. Je l'entendis, au contraire, s'écrier tout à coup:

      «Petite malpropre, vous n'avez pas nettoyé vos ongles ce matin.»

      L'enfant ne répondit rien; je m'étonnai de son silence.

      «Pourquoi, pensai-je, n'explique-t-elle pas qu'elle n'a pu laver ni ses ongles ni sa figure, parce que l'eau était gelée?»

      Mais à ce moment mon attention fut détournée de ce sujet par Mlle Smith, qui me pria de lui tenir un écheveau de fil. Pendant qu'elle le dévidait, elle me parlait de temps en temps, me demandant si j'avais déjà été en pension, si je savais marquer, coudre, tricoter; jusqu'à ce qu'elle eût achevé, je ne pus donc pas continuer à examiner la conduite de Mlle Scatcherd. Quand je retournai à ma place, elle venait de donner un ordre dont je ne saisis pas bien l'importance; mais je vis Burns quitter immédiatement la salle, se diriger vers une petite chambre où l'on serrait les livres, et revenir au bout d'une minute, portant dans ses mains un paquet de verges liées ensemble.

      Elle présenta avec respect ce fatal instrument à Mlle Scatcherd; puis alors elle détacha son sarrau tranquillement et sans en avoir reçu l'ordre. La maîtresse la frappa rudement sur les épaules. Pas une larme ne s'échappa des yeux de la jeune fille. J'avais cessé de coudre, car à ce spectacle mes doigts s'étaient mis à trembler et une colère impuissante s'était emparée de moi. Quant à Burns, pas un trait de sa figure pensive ne s'altéra, son expression resta la même.

      «Petite endurcie, s'écria Mlle Scatcherd, rien ne peut-il donc vous corriger de votre désordre? Reportez ces verges!»

      Burns obéit. Je la regardai furtivement au moment où elle sortit de la chambre: elle remettait son mouchoir dans sa poche, et une larme brillait sur ses joues amaigries.

      La récréation du soir était l'heure la plus agréable de toute la journée. Le pain et le café donnés à cinq heures, sans apaiser la faim, ranimaient pourtant la vitalité. La longue contrainte cessait; la salle d'étude était plus chaude que le matin. On laissait le feu brûler activement pour suppléer à la chandelle, qui n'arrivait qu'un peu plus tard. La pâle lueur du foyer, le tumulte permis, le bruit confus de toutes les voix, tout enfin éveillait en nous une douce sensation de liberté.

      Le soir de ce jour où j'avais vu Mlle Scatcherd battre son élève, je me promenais, comme d'ordinaire, au milieu des tables et des groupes joyeux, sans une seule compagne, et ne me trouvant pourtant point isolée. Quand je passais devant les fenêtres, je relevais de temps en temps les rideaux et je regardais au dehors. La neige tombait épaisse; il s'en était déjà amoncelé contre le mur. Approchant mon oreille de la fenêtre, je pus distinguer, malgré le bruit intérieur, le triste mugissement du vent. Il est probable que, si j'avais quitté une maison aimée, des parents bons pour moi, à cette heure j'aurais vivement regretté la séparation. Le vent aurait navré mon coeur; cet obscur chaos aurait troublé mon âme: mais dans la situation où j'étais, je ne trouvais dans toutes ces choses qu'une étrange excitation. Insouciante et fiévreuse, je souhaitais que le vent mugît plus fort, que la faible lueur qui m'environnait se changeât en obscurité, que le bruit confus devint une immense clameur.

      Sautant

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