Jane Eyre; ou Les mémoires d'une institutrice. Brontë Charlotte

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Jane Eyre; ou Les mémoires d'une institutrice - Brontë Charlotte

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n'est pas la violence qui dompte la haine, ni la vengeance qui guérit l'injure.

      – Qu'est-ce donc alors?

      – Lisez le Nouveau Testament; écoutez ce que dit le Christ, et voyez ce qu'il fait: que sa parole devienne votre règle, et sa conduite votre exemple.

      – Et que dit-il?

      – Il dit: «Aimez vos ennemis; bénissez ceux qui vous maudissent, et faites du bien à ceux qui vous haïssent et vous traitent avec mépris.»

      – Alors il me faudrait aimer Mme Reed? je ne le puis pas. Il faudrait bénir son fils John? c'est impossible!»

      À son tour, Hélène me demanda de m'expliquer: je commençai à ma manière le récit de mes souffrances et de mes ressentiments. Quand j'étais excitée, je devenais sauvage et amère; je parlais comme je sentais, sans réserve, sans pitié. Hélène m'écouta patiemment jusqu'à la fin; je m'attendais à quelque remarque, mais elle resta muette.

      «Ho bien! m'écriai-je, Mme Reed n'est-elle pas une femme dure et sans coeur?

      – Sans doute; elle a manqué de bonté envers vous, parce qu'elle n'aimait pas votre caractère, de même que Mlle Scatcherd n'aime pas le mien. Mais comme vous vous rappelez exactement toutes ses paroles, toutes ses actions! Quelle profonde impression son injustice sembla avoir faite sur votre coeur! Aucun mauvais traitement n'a laissé en moi une trace aussi profonde. Ne seriez- vous pas plus heureuse si vous essayiez d'oublier sa sévérité, ainsi que les émotions passionnées qu'elle a excitées en vous? La vie me semble trop courte pour la passer à nourrir la haine ou à inscrire les torts des autres; ne sommes-nous pas tous chargés de fautes en ce monde? Le temps viendra, bientôt, je l'espère, où nous nous dépouillerons de nos enveloppes corruptibles; alors l'avilissement et le péché nous quitteront en même temps que notre incommode prison de chair; alors il ne restera plus que l'étincelle de l'esprit, le principe impalpable de la vie pure, comme lorsqu'il sortit des mains du Créateur pour animer la créature. Il retournera d'où il vient. Peut-être se communiquera- t-il à quelque esprit plus grand que l'homme; peut-être traversera-t-il des degrés de gloire; peut-être enfin le pâle rayon de l'âme humaine se transformera-t-il en la brillante lumière de l'âme des séraphins. Mais ce qui est certain, c'est que ce principe ne peut pas dégénérer et ne peut être allié à l'esprit du mal; non, je ne puis le croire, ma foi est tout autre. Personne ne me l'a enseignée et j'en parle rarement, mais elle est ma joie et je m'y attache; je ne fais pas de l'espérance le privilège de quelques-uns; je l'étends sur tous; je considère l'éternité comme un repos, comme une demeure lumineuse, non pas comme un abîme et un lieu de terreur; avec cette foi, je ne puis confondre le criminel et son crime; je pardonne sincèrement au premier, et j'abhorre le second; le désir de la vengeance ne peut accabler mon coeur; le vice ne me dégoûte pas assez pour m'éloigner du coupable, et l'injustice ne me fait pas perdre tout courage; je vis calme, les yeux tournés vers la fin de mon existence.»

      La tête d'Hélène s'affaissait de plus en plus, à mesure qu'elle parlait; je vis par son regard qu'elle ne désirait plus causer avec moi, mais plutôt s'entretenir avec ses propres pensées.

      Cependant on ne lui laissa pas beaucoup de temps pour la méditation; une monitrice, arrivée presque au même moment où nous finissions notre entretien, s'écria avec un fort accent du Cumberland:

      «Hélène Burns, si vous ne mettez pas vos tiroirs en ordre et si vous ne pliez pas votre ouvrage, je vais dire à Mlle Scatcherd de venir tout examiner.

      Hélène soupira en se voyant contrainte de renoncer à sa rêverie, elle se leva pourtant, et, sans rien répondre, elle obéit immédiatement.

      CHAPITRE VII

      Les trois premiers mois passés à Lowood me semblèrent un siècle. Ce fut pour moi une lutte fatigante contre toutes sortes de difficultés. Il fallut s'accoutumer à un règlement nouveau, à des tâches dont je n'avais pas l'habitude. La crainte de manquer à quelqu'un de mes devoirs m'épuisait encore plus que les souffrances matérielles, bien que celles-ci ne fussent pas peu de chose. Pendant les mois de janvier, de février et de mars, les neiges épaisses et les dégels avaient rendu les routes impraticables: aussi ne nous obligeait-on pas à sortir, si ce n'est pour aller à l'église; cependant on nous forçait à passer chaque jour une heure en plein air. Nos vêtements étaient insuffisants pour nous protéger contre un froid aussi rude; au lieu de brodequins, nous n'avions que des souliers dans lesquels la neige entrait facilement; nos mains, n'étant pas protégées par des gants, se couvraient d'engelures, ainsi que nos pieds. Je me rappelle encore combien ceux-ci me faisaient souffrir chaque soir, lorsque la chaleur les gonflait, et chaque matin, lorsqu'il fallait me rechausser; en outre, l'insuffisance de nourriture était un vrai supplice. Douées de ces grands appétits des enfants en croissance, nous avions à peine de quoi nous soutenir. Il en résultait un abus dont les plus jeunes avaient seules à se plaindre. Chaque fois qu'elles en trouvaient l'occasion, les grandes, toujours affamées, menaçaient les petites pour obtenir une partie de leur portion; bien des fois j'ai partagé entre deux de ces quêteuses le précieux morceau de pain noir donné avec le café; et, après avoir versé à une troisième la moitié de ma tasse, j'avalais le reste en pleurant de faim tout bas.

      En hiver, les dimanches étaient de tristes jours. Nous avions deux milles à faire pour arriver à l'église de Brocklebridge, où officiait notre chef. Nous partions ayant froid; en arrivant, nous avions plus froid encore; et avant la fin de l'office du matin nos membres étaient paralysés. Trop loin pour retourner dîner, nous recevions entre les deux services du pain et de la viande froide, et des parts aussi insuffisantes que dans nos repas ordinaires.

      Après l'office du soir, nous nous en retournions par une route escarpée. Le vent du nord soufflait si rudement sur le sommet des montagnes qu'il nous gerçait la peau.

      Je me rappellerai toujours Mlle Temple. Elle marchait légèrement et avec rapidité le long des rangs accablés, ramenant sur sa poitrine son manteau qu'écartait un vent glacial; et, par ses préceptes et son exemple, elle encourageait tout le monde à demeurer ferme et à marcher en avant comme de vieux soldats. Quant aux autres maîtresses, pauvres créatures, elles étaient trop abattues elles-mêmes pour tenter d'égayer les élèves!

      Combien toutes nous désirions la lumière et la chaleur d'un feu pétillant, lorsque nous arrivions à Lowood! Mais cette douceur était refusée aux petites. Chacun des foyers était immédiatement occupé par un double rang de grandes élèves; et les plus jeunes, se pressant les unes contre les autres, cachaient sous leurs tabliers leurs bras transis.

      Une petite jouissance nous était pourtant réservée: à cinq heures, on nous distribuait une double ration de pain et un peu de beurre; c'était le festin hebdomadaire auquel nous pensions d'un dimanche à l'autre. J'essayais, en général, de me réserver la moitié de ce délicieux repas; quant au reste, je me voyais invariablement obligée de le partager.

      Le dimanche soir se passait à répéter par coeur le catéchisme, les cinquième, sixième et septième chapitres de saint Matthieu, et à écouter un long sermon que nous lisait Mlle Miller, dont les bâillements impossibles à réprimer attestaient assez la fatigue. Cette lecture était souvent interrompue par une douzaine de petites filles qui, gagnées par le sommeil, se mettaient à jouer le rôle d'Eutychus et tombaient, non pas d'un troisième grenier, mais d'un quatrième banc. On les ramassait à demi mortes, et, pour tout remède, on les forçait à se tenir debout au milieu de la salle, jusqu'à la fin du sermon; quelquefois pourtant leurs jambes fléchissaient, et toutes ensemble elles tombaient à terre; leurs corps étaient alors soutenus par les grandes chaises des monitrices.

      Je n'ai pas encore parlé des visites de M. Brockelhurst: il fut absent une partie du premier mois;

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