Jane Eyre; ou Les mémoires d'une institutrice. Brontë Charlotte

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Jane Eyre; ou Les mémoires d'une institutrice - Brontë Charlotte

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injustes, j'étais devenue en peu de temps défiante et craintive. Je n'osais pas avancer; pendant une dizaine de minutes je demeurai dans une hésitation agitée. Tout à coup la sonnette retentit violemment: force me fut d'entrer.

      «Qui donc peut m'attendre? me demandais-je intérieurement, pendant qu'avec mes deux mains je tournais le dur loquet qui résista quelques secondes à mes efforts. Qui vais-je trouver avec ma tante?»

      Le loquet céda, la porte s'ouvrit; je m'avançai en saluant bien bas, et je regardai autour de moi. Quelque chose de sombre et de long, une sorte de colonne obscure, arrêta mes yeux. Je reconnus enfin une triste figure habillée de noir qui se tenait debout devant moi. La partie supérieure de ce personnage étrange ressemblait à un masque taillé, qu'on aurait planté sur une longue flèche en guise de tête.

      Mme Reed occupait sa place ordinaire, près du feu. Elle me fit signe d'approcher; j'obéis, et regardant l'étranger immobile, elle me présenta à lui en disant:

      «Voici la petite fille dont je vous ai parlé.»

      Il tourna lentement la tête de mon côté, et, après m'avoir examinée d'un regard inquisiteur qui perçait à travers des cils noirs et épais, il demanda d'un ton solennel et d'une voix très basse quel âge j'avais.

      «Dix ans, répondit ma tante.

      – Tant que cela?» reprit-il d'un air de doute.

      Et il prolongea son examen quelques minutes encore; puis, s'adressant à moi, il me dit:

      «Quel est votre nom, enfant?

      – Jane Eyre, monsieur.»

      En prononçant ces paroles, je le regardais: il me sembla grand, mais je me souviens qu'alors j'étais très petite; ces traits me parurent grossièrement accentués, et je leur trouvais, ainsi qu'à toutes les autres lignes de sa personne, une expression dure et hypocrite.

      «Eh bien! Jane Eyre, êtes-vous une bonne petite fille?»

      Impossible de répondre affirmativement. Ceux qui m'entouraient pensaient le contraire; je demeurai silencieuse. Mme Reed parla pour moi, et secouant la tête d'une manière expressive, elle reprit rapidement:

      «Moins nous parlerons sur ce sujet, mieux peut-être cela vaudra, monsieur Brockelhurst.

      – En vérité, j'en suis fâché; il faut que je m'entretienne quelques instants avec elle.»

      Et, renonçant à sa position perpendiculaire, il s'installa dans un fauteuil vis-à-vis Mme Reed.

      «Venez ici,» me dit-il.

      Il frappa légèrement du pied le tapis et m'ordonna de me placer devant lui. Sa figure me produisit un effet étrange, quand, me trouvant sur la même ligne que lui, je pus voir son grand nez et sa bouche garnie de dents énormes.

      «Il n'y a rien de si triste que la vue d'un méchant enfant, reprit-il, surtout d'une méchante petite fille. Savez-vous où vont les réprouvés après leur mort?»

      Ma réponse fut rapide et orthodoxe.

      «En enfer, m'écriai-je.

      – Et qu'est-ce que l'enfer? pouvez-vous me le dire?

      – C'est un gouffre de flammes.

      – Aimeriez-vous à être précipitée dans ce gouffre et à y brûler pendant l'éternité?

      – Non, monsieur.

      – Et que devez-vous donc faire pour éviter une telle destinée?»

      Je réfléchis un moment, et cette fois il fut facile de m'attaquer sur ce que je répondis.

      «Je dois me maintenir en bonne santé et ne pas mourir.

      – Et que ferez-vous pour cela? des enfants plus jeunes que vous périssent journellement. Il y a encore bien peu de temps, j'ai enterré un petit enfant de cinq ans; mais il était bon, et son âme est allée au ciel; on ne pourrait en dire autant de vous, si vous étiez appelée dans un autre monde.»

      Ne pouvant pas faire cesser ses doutes, je fixai mes yeux sur ses deux grands pieds, et je soupirai en souhaitant la fin de cet interrogatoire.

      «J'espère que ce soupir vient du coeur, reprit M. Brockelhurst, et que vous vous repentez d'avoir toujours été un sujet de tristesse pour votre excellente bienfaitrice.»

      Bienfaitrice! bienfaitrice! ils appellent tous Mme Reed ma bienfaitrice; s'il en est ainsi, une bienfaitrice est quelque chose de bien désagréable.

      «Dites-vous vos prières matin et soir? continua mon interrogateur.

      – Oui, monsieur.

      – Lisez-vous la Bible?

      – Quelquefois.

      – Le faites-vous avec plaisir? aimez-vous cette lecture?

      – J'aime les Révélations, le Livre de Daniel, la Genèse, Samuel, quelques passages de l'Exode, des Rois, des Chroniques, et j'aime aussi Job et Jonas.

      – Et les Psaumes, j'espère que vous les aimez?

      – Non, monsieur.

      – Oh! quelle honte! J'ai un petit garçon plus jeune que vous, qui sait déjà six psaumes par coeur; et quand on lui demande ce qu'il préfère, manger un pain d'épice ou apprendre un verset, il vous répond: J'aime mieux apprendre un verset, parce que «les anges chantent les psaumes, et que je veux être un petit ange sur la terre;» et alors on lui donne deux pains d'épice, en récompense de sa piété d'enfant.

      – Les Psaumes ne sont point intéressants, observai-je.

      – C'est une preuve que vous avez un mauvais coeur. Il faut demander à Dieu de le changer, de vous en accorder un autre plus pur, de vous retirer ce coeur de pierre pour vous donner un coeur de chair.»

      J'essayais de comprendre par quelle opération pourrait s'accomplir ce changement, lorsque Mme Reed m'ordonna de m'asseoir, et prenant elle-même le fil de la conversation:

      «Je crois, monsieur Brockelhurst, dit-elle, vous avoir mentionné dans ma lettre, il y a trois semaines environ, que cette petite fille n'a pas le caractère et les dispositions que j'eusse voulu voir en elle. Si donc vous l'admettez dans l'école de Lowood, je demanderai que les chefs et les maîtresses aient l'oeil sur elle; je les prierai surtout de se tenir en garde contre son plus grand défaut, je veux parler de sa tendance au mensonge. Je dis toutes ces choses devant vous, Jane, ajouta-t-elle, afin que vous n'essayiez pas de tromper M. Brockelhurst.»

      J'étais tout naturellement portée à craindre et à détester Mme Reed, elle qui semblait sans cesse destinée à me blesser cruellement. Je n'étais jamais heureuse en sa présence; quels que fussent mes soins pour lui obéir et lui plaire, mes efforts étaient toujours repoussés, et je ne recevais en échange que des reproches semblables à celui que je viens de rapporter. Cette accusation qui m'était infligée devant un étranger me fut profondément douloureuse. Je voyais vaguement qu'elle venait de briser toutes mes espérances dans cette nouvelle vie où je devais entrer; je sentais confusément, et sans m'en rendre compte, qu'elle semait l'aversion et la malveillance sur le chemin que j'allais parcourir.

      Je

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