Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux. Dumas Alexandre

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux - Dumas Alexandre страница 9

Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux - Dumas Alexandre

Скачать книгу

dans sa nature, la petite fille n'y était pas.

      Le docteur réfléchit longtemps; il se sentait attiré vers ce néant de toutes les forces de sa charité.

      L'enfant poussa une plainte.

      – Elle souffre, murmura-t-il. L'absence de la pensée serait-elle une douleur? Oui, car tout aspire à la vie, c'est-à-dire à l'intelligence.

      Le braconnier alors, lui montrant l'idiote, dont rien ne pouvait attirer l'attention, secoua douloureusement la tête.

      – Vous voyez, monsieur le médecin, dit-il. Il y a peu de chose à espérer avec une fille qui ne peut s'occuper à rien; ma mère et moi ne sommes jamais arrivés à lui faire tenir une quenouille, quoiqu'elle ait déjà sept ans.

      Mais le docteur, se parlant à lui-même:

      – Elle s'occupe du chien, dit-il.

      Et, sur ce mouvement de sympathie que l'enfant avait montré à l'animal, Jacques Mérey bâtit à l'instant même tout un système de traitement moral.

      – Ça, c'est vrai, répéta le braconnier; elle s'occupe du chien, mais c'est tout.

      – Cela suffit, dit Jacques Mérey rêveur, nous avons trouvé le levier d'Archimède.

      – Je ne connais pas le levier d'Archimède, murmura le braconnier, et j'aime mieux, pour mon compte, manier mon fusil que le levier de qui que ce soit. Mais, si vous pouviez, continua-t-il en élevant la voix et frappant sur sa cuisse, si vous pouviez donner une idée à cette fille-là, ma mère et moi, nous vous aurions de la reconnaissance, car nous l'aimons, quoiqu'elle ne nous soit rien. Vous savez, l'habitude; à force de la voir, nous avons fini par nous y attacher, si repoussante qu'elle soit. – N'est-ce pas, petite? – Tenez, continua-t-il, elle ne m'entend même pas, elle ne reconnaît même pas ma voix.

      – Non, reprit le docteur en secouant la tête de haut en bas, non, mais elle a entendu et reconnu le chien; c'est tout ce qu'il me faut à moi.

      Jacques Mérey promit de revenir, et appela le chien, se déclarant incapable de retrouver la maison s'il n'avait pas ce guide fidèle.

      Mais le chien le suivit jusqu'à la porte seulement, et, quand Jacques Mérey en eut dépassé le seuil, le chien secoua la tête en signe de dénégation, et revint vers l'enfant, plus fidèle à son ancienne amitié qu'à sa nouvelle reconnaissance.

      Le docteur s'arrêta tout pensif. Il y avait plus d'un renseignement pour lui dans cette persistance du chien à rester près de la petite idiote.

      Et, en effet, il réfléchit que, s'il voulait sérieusement traiter cette enfant, c'étaient des soins de tous les jours, de toutes les heures, de toutes les minutes; c'étaient des inventions et des imaginations toujours nouvelles qu'il lui fallait. D'ailleurs, il se sentait déjà par la pitié attaché à ce petit être isolé, qui ne correspondait à rien dans la nature, et qui représentait le néant de l'intelligence et de la matière au milieu des êtres animés qui se mouvaient et qui pensaient, deux choses qu'il était incapable de faire.

      Les anciens cabalistes, voulant donner à Dieu un motif d'impulsion pour le faire sortir de son repos, disent que Dieu créa le monde par amour.

      Jacques Mérey, malgré toutes ses tentatives, n'avait encore rien créé; mais, nous l'avons dit, il aspirait à faire un être semblable à lui. La vue de cette jeune fille idiote, chez laquelle, de l'existence humaine, il n'existait que la matière, renouvela l'ardeur de son rêve. Comme Pygmalion, il devint amoureux d'une statue, non pas de marbre, mais de chair, et, comme le statuaire antique, il conçut l'espérance de l'animer.

      Les circonstances au milieu desquelles le docteur s'était trouvé lui avaient permis d'étudier non seulement les mœurs des hommes, mais encore les instincts et les inclinations des animaux.

      Il avait abandonné volontairement la société des villes pour se rapprocher de la nature et des êtres inférieurs qui la peuplent, persuadé que les animaux, dans une enveloppe plus ou moins grossière, ont une étincelle du fluide divin, mais que cette âme est seulement relative à des fonctions différentes des nôtres. Il considérait la Création comme une grande famille, dont l'homme était non pas le roi, mais le père: famille dans laquelle il y avait des aînés et des cadets, ceux-ci tenus en tutelle par ceux-là.

      Il avait souvent observé, avec cet intérêt qui naît dans les esprits profonds, tout incident, si léger qu'il soit, qui dénote un fait en réserve pour l'avenir. Il avait souvent regardé un jeune chien et un jeune enfant jouant ensemble.

      En écoutant les sons inarticulés qu'ils échangeaient au milieu de leurs jeux et de leurs caresses, il avait souvent tenté de croire que l'animal essayait de parler la langue de l'enfant et l'enfant celle du chien.

      À coup sûr, quelle que fût la langue qu'ils parlaient, ils s'entendaient, se comprenaient, et peut-être échangeaient-ils ces idées primitives qui disent plus de vérités sur Dieu que n'en ont jamais dit Platon et Bossuet.

      En regardant les animaux, c'est-à-dire les humbles de la Création, en voyant l'air intelligent des uns, l'air doux et rêveur des autres, le docteur avait compris qu'il y avait un profond mystère entre eux et le grand tout. N'est-ce point pour établir ce mystère et pour les envelopper dans la bénédiction universelle qui descend sur nous et sur eux pendant cette sainte nuit de Noël, que le Seigneur, type de toute humilité, voulut naître dans une crèche, entre un âne et un bœuf? L'Orient, que Jésus touchait de la main, n'a-t-il pas adopté cette croyance, que l'animal n'est qu'une âme endormie qui plus tard se réveillera homme, pour plus tard peut-être se réveiller dieu?

      En un instant, ce monde de pensées, résumé de l'histoire et des travaux de toute sa vie, se présentèrent à l'esprit de Jacques Mérey; il comprit que, puisque le chien ne voulait pas quitter l'enfant, c'est que l'enfant et le chien ne devaient pas être séparés; que d'ailleurs, quelque régularité qu'il mît dans ses visites, il ne pouvait les faire que de deux jours en deux jours tout au plus; or, à son avis, un traitement continu, une surveillance de toutes les heures, étaient nécessaires pour tirer cette âme des ténèbres dans lesquelles un oubli du Seigneur l'avait plongée.

      Il rentra donc dans la cabane, et, s'adressant au braconnier et à la femme qui paraissait être sa mère:

      – Braves gens, leur dit-il, encore une fois, je ne vous demande pas votre secret sur cette enfant; vous avez évidemment fait pour elle tout ce que vous pouviez faire, et, de quelque main que vous l'ayez reçue, vous n'avez point trompé la main qui vous l'a confiée. C'est à moi de faire le reste. Donnez-moi, ou plutôt prêtez-moi cette petite fille, qui vous est un fardeau inutile; j'essayerai de la guérir et de vous rendre à la place de cette matière inerte et muette une créature intelligente qui vous aidera dans vos travaux et qui, en prenant place dans la famille, y apportera sa part de forces et de capacités.

      La mère et le fils se regardèrent alors, puis tous deux se retirèrent dans le fond de la cabane, discutèrent quelques instants, parurent se ranger au même avis, et le fils, revenant vers le docteur, lui dit:

      – Il est évident, monsieur, que vous êtes ici par l'intervention visible du Seigneur, puisque c'est ce chien que nous avions cru perdu et dont nous avions déjà fait notre deuil qui vous y a conduit. Prenez l'enfant et emportez-le. Si le chien veut vous suivre, qu'il vous suive et s'en aille avec l'enfant; la main de Dieu est dans tout cela, et ce serait une impiété de notre part de nous opposer à Sa volonté sainte.

      Le docteur déposa sur une table sa bourse et tout ce qu'elle contenait; il enveloppa

Скачать книгу