Le Chevalier de Maison-Rouge. Dumas Alexandre
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– Un moment, mon cher collègue, lui dit-il; laisse-moi parler à la citoyenne. Je suis un peu procureur.
– Va, alors, mais ne la ménage pas, morbleu!
– Vous cachiez un billet, citoyenne, dit sévèrement Maurice; il faudrait nous remettre ce billet.
– Mais quel billet?
– Celui que la fille Tison vous a apporté, et que la citoyenne votre fille (Maurice indiqua la jeune princesse) a ramassé avec son mouchoir.
Les trois femmes se regardèrent épouvantées.
– Mais, monsieur, c'est plus que de la tyrannie, dit la reine; des femmes! des femmes!
– Ne confondons pas, dit Maurice avec fermeté. Nous ne sommes ni des juges ni des bourreaux; nous sommes des surveillants, c'est-à-dire vos concitoyens chargés de vous garder. Nous avons une consigne; la violer, c'est trahir. Citoyenne, je vous en prie, rendez-moi le billet que vous avez caché.
– Messieurs, dit la reine avec hauteur, puisque vous êtes des surveillants, cherchez, et privez-nous de sommeil cette nuit comme toujours.
– Dieu nous garde de porter la main sur des femmes. Je vais faire prévenir la Commune et nous attendrons ses ordres; seulement, vous ne vous mettrez pas au lit: vous dormirez sur des fauteuils, s'il vous plaît, et nous vous garderons… S'il le faut, les perquisitions commenceront.
– Qu'y a-t-il donc? demanda la femme Tison en montrant à la porte sa tête effarée.
– Il y a, citoyenne, que tu viens, en prêtant la main à une trahison, de te priver à jamais de voir ta fille.
– De voir ma fille!.. Que dis-tu donc là, citoyen? demanda la femme Tison, qui ne comprenait pas bien encore pourquoi elle ne verrait plus sa fille.
– Je te dis que ta fille n'est pas venue ici pour te voir, mais pour apporter une lettre à la citoyenne Capet, et qu'elle n'y reviendra plus.
– Mais, si elle ne revient plus, je ne pourrai donc pas la revoir, puisqu'il nous est défendu de sortir?..
– Cette fois, il ne faudra t'en prendre à personne, car c'est ta faute, dit Maurice.
– Oh! hurla la pauvre mère, ma faute! que dis-tu donc là, ma faute? Il n'est rien arrivé, j'en réponds. Oh! si je croyais qu'il fût arrivé quelque chose, malheur à toi, Antoinette, tu me le payerais cher?
Et cette femme exaspérée montra le poing à la reine.
– Ne menace personne, dit Maurice; obtiens plutôt par la douceur que ce que nous demandons soit fait; car tu es femme, et la citoyenne Antoinette, qui est mère elle-même, aura sans doute pitié d'une mère. Demain, ta fille sera arrêtée; demain, emprisonnée… puis, si l'on découvre quelque chose, et tu sais que, lorsqu'on le veut bien, on découvre toujours, elle est perdue, elle et sa compagne.
La femme Tison, qui avait écouté Maurice avec une terreur croissante, détourna sur la reine son regard presque égaré.
– Tu entends, Antoinette?.. Ma fille!.. C'est toi qui auras perdu ma fille!
La reine parut épouvantée à son tour, non de la menace qui étincelait dans les yeux de sa geôlière, mais du désespoir qu'on y lisait.
– Venez, madame Tison, dit-elle, j'ai à vous parler.
– Holà! pas de cajoleries, s'écria le collègue de Maurice; nous ne sommes pas de trop, morbleu! Devant la municipalité, toujours devant la municipalité!
– Laisse faire, citoyen Agricola, dit Maurice à l'oreille de cet homme; pourvu que la vérité nous vienne, peu importe de quelle façon.
– Tu as raison, citoyen Maurice; mais…
– Passons derrière le vitrage, citoyen Agricola, et, si tu m'en crois, tournons le dos; je suis sûr que la personne pour laquelle nous aurons cette condescendance ne nous en fera point repentir.
La reine entendit ces mots dits pour être entendus par elle; elle jeta au jeune homme un regard reconnaissant. Maurice détourna la tête avec insouciance et passa de l'autre côté du vitrage. Agricola le suivit.
– Tu vois bien cette femme, dit-il à Agricola: reine, c'est une grande coupable; femme, c'est une âme digne et grande. On fait bien de briser les couronnes, le malheur épure.
– Sacrebleu! que tu parles bien, citoyen Maurice! J'aime à t'entendre, toi et ton ami Lorin. Est-ce aussi des vers que tu viens de dire?
Maurice sourit. Pendant cet entretien, la scène qu'avait prévue Maurice se passait de l'autre côté du vitrage.
La femme Tison s'était approchée de la reine.
– Madame, lui dit celle-ci, votre désespoir me brise le cœur; je ne veux pas vous priver de votre enfant, cela fait trop de mal; mais, songez-y, en faisant ce que ces hommes exigent, peut-être votre fille sera-t-elle perdue également.
– Faites ce qu'ils disent! s'écria la femme Tison, faites ce qu'ils disent!
– Mais, auparavant, sachez de quoi il s'agit.
– De quoi s'agit-il? demanda la geôlière avec une curiosité presque sauvage.
– Votre fille avait amené avec elle une amie.
– Oui, une ouvrière comme elle; elle n'a pas voulu venir seule à cause des soldats.
– Cette amie avait remis à votre fille un billet; votre fille l'a laissé tomber. Marie, qui passait, l'a ramassé. C'est un papier bien insignifiant sans doute, mais auquel des gens malintentionnés pourraient trouver un sens. Le municipal ne vous a-t-il pas dit que, lorsqu'on voulait trouver, on trouvait toujours?
– Après, après?
– Eh bien, voilà tout: vous voulez que je remette ce papier; voulez-vous que je sacrifie un ami, sans pour cela vous rendre peut-être votre fille?
– Faites ce qu'ils disent! cria la femme; faites ce qu'ils disent!
– Mais, si ce papier compromet votre fille, dit la reine, comprenez donc!
– Ma fille est, comme moi, une bonne patriote, s'écria la mégère. Dieu merci! les Tison sont connus! Faites ce qu'ils disent!
– Mon Dieu! dit la reine, que je voudrais donc pouvoir vous convaincre!
– Ma fille! je veux qu'on me rende ma fille! reprit la femme Tison en trépignant. Donne le papier, Antoinette, donne.
– Le voici, madame.
Et la reine tendit à la malheureuse créature un papier que celle-ci éleva joyeusement au-dessus de sa tête en criant:
– Venez, venez, citoyens municipaux. J'ai le papier; prenez-le, et rendez-moi mon enfant.
– Vous sacrifiez nos amis, ma sœur, dit Madame Élisabeth.
– Non,