Le Collier de la Reine, Tome I. Dumas Alexandre
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– En vérité, monsieur de Cagliostro, continua le comte, avertissez-moi, et je vous remercierai.
– Vous voudriez que je vous dise, à vous, ce que je n'ai point voulu dire à M. de La Pérouse?
– Oui, je le voudrais.
Cagliostro fit un mouvement comme s'il allait parler; puis, s'arrêtant:
– Oh! non, dit-il, monsieur le comte, non.
– Je vous en supplie.
Cagliostro détourna la tête.
– Jamais! murmura-t-il.
– Prenez garde, dit le comte avec un sourire, vous allez encore me rendre incrédule.
– Mieux vaut l'incrédulité que l'angoisse.
– Monsieur de Cagliostro, dit gravement le comte, vous oubliez une chose.
– Laquelle? demanda respectueusement le prophète.
– C'est que, s'il est certains hommes qui, sans inconvénient, peuvent ignorer leur destinée, il en est d'autres qui auraient besoin de connaître l'avenir, attendu que leur destinée importe non seulement à eux, mais à des millions d'hommes.
– Alors, dit Cagliostro, un ordre. Non, je ne ferai rien sans un ordre.
– Que voulez-vous dire?
– Que Votre Majesté commande, dit Cagliostro à voix basse, et j'obéirai.
– Je vous commande de me révéler ma destinée, monsieur de Cagliostro, reprit le roi avec une majesté pleine de courtoisie.
En même temps, comme le comte de Haga s'était laissé traiter en roi et avait rompu l'incognito en donnant un ordre, M. de Richelieu se leva, vint humblement saluer le prince, et lui dit:
– Merci pour l'honneur que le roi de Suède a fait à ma maison, sire; que Votre Majesté veuille prendre la place d'honneur. À partir de ce moment, elle ne peut plus appartenir qu'à vous.
– Restons, restons comme nous sommes, monsieur le maréchal, et ne perdons pas un mot de ce que M. le comte de Cagliostro va me dire.
– Aux rois on ne dit pas la vérité, sire.
– Bah! je ne suis pas dans mon royaume. Reprenez votre place, monsieur le duc; parlez, monsieur de Cagliostro, je vous en conjure.
Cagliostro jeta les yeux sur son verre; des globules pareils à ceux qui traversent le vin de champagne montaient du fond à la surface; l'eau semblait, attirée par son regard puissant, s'agiter sous sa volonté.
– Sire, dites-moi ce que vous voulez savoir, dit Cagliostro; me voilà prêt à vous répondre.
– Dites-moi de quelle mort je mourrai.
– D'un coup de feu, Sire.
Le front de Gustave rayonna.
– Ah! dans une bataille, dit-il, de la mort d'un soldat. Merci, monsieur de Cagliostro, cent fois merci. Oh! je prévois des batailles, et Gustave-Adolphe et Charles XII m'ont montré comment l'on mourait lorsqu'on est roi de Suède.
Cagliostro baissa la tête sans répondre.
Le comte de Haga fronça le sourcil.
– Oh! oh! dit-il, n'est-ce pas dans une bataille que le coup de feu sera tiré?
– Non, Sire.
– Dans une sédition; oui, c'est encore possible.
– Ce n'est point dans une sédition.
– Mais où sera-ce donc?
– Dans un bal, Sire.
Le roi devint rêveur.
Cagliostro, qui s'était levé, se rassit et laissa tomber sa tête dans ses deux mains où elle s'ensevelit.
Tous pâlissaient autour de l'auteur de la prophétie et de celui qui en était l'objet.
M. de Condorcet s'approcha du verre d'eau dans lequel le devin avait lu le sinistre augure, le prit par le pied, le souleva à la hauteur de son œil, et en examina soigneusement les facettes brillantes et le contenu mystérieux.
On voyait cet œil intelligent, mais froid, scrutateur, demander au double cristal solide et liquide la solution d'un problème que sa raison à lui réduisait à la valeur d'une spéculation purement physique.
En effet, le savant supputait la profondeur, les réfractions lumineuses et les jeux microscopiques de l'eau. Il se demandait, lui qui voulait une cause à tout, la cause et le prétexte de ce charlatanisme exercé sur des hommes de la valeur de ceux qui entouraient cette table, par un homme auquel on ne pouvait refuser une portée extraordinaire.
Sans doute il ne trouva point la solution de son problème, car il cessa d'examiner le verre, le replaça sur la table et, au milieu de la stupéfaction résultant du pronostic de Cagliostro:
– Eh bien! moi aussi, dit-il, je prierai notre illustre prophète d'interroger son miroir magique. Malheureusement, moi, ajouta-t-il, je ne suis pas un seigneur puissant, je ne commande pas, et ma vie obscure n'appartient point à des millions d'hommes.
– Monsieur, dit le comte de Haga, vous commandez au nom de la science, et votre vie importe non seulement à un peuple, mais à l'humanité.
– Merci, monsieur le comte; mais peut-être votre avis sur ce point n'est-il point celui de M. de Cagliostro.
Cagliostro releva la tête, comme fait un coursier sous l'aiguillon.
– Si fait, marquis, dit-il avec un commencement d'irritabilité nerveuse, que dans les temps antiques on eût attribué à l'influence du dieu qui le tourmentait. Si fait, vous êtes un seigneur puissant dans le royaume de l'intelligence. Voyons, regardez-moi en face; vous aussi, souhaitez-vous sérieusement que je vous fasse une prédiction?
– Sérieusement, monsieur le comte, reprit Condorcet, sur l'honneur! on ne peut plus sérieusement.
– Eh bien! marquis, dit Cagliostro d'une voix sourde et en abaissant la paupière sur son regard fixe, vous mourrez du poison que vous portez dans la bague que vous avez au doigt. Vous mourrez…
– Oh! mais si je la jetais? interrompit Condorcet.
– Jetez-la.
– Enfin, vous avouez que c'est bien facile?
– Alors, jetez-la, vous dis-je.
– Oh! oui, marquis! s'écria Mme du Barry, par grâce, jetez ce vilain poison; jetez-le, ne fût-ce que pour faire mentir un peu ce prophète malencontreux qui nous afflige tous de ses prophéties. Car, enfin, si vous le jetez, il est certain que vous ne serez pas empoisonné par celui-là; et comme c'est par celui-là que M. de Cagliostro prétend que vous le serez, alors, bon gré mal gré, M. de Cagliostro aura menti.
– Mme