Le vicomte de Bragelonne, Tome II.. Dumas Alexandre

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Le vicomte de Bragelonne, Tome II. - Dumas Alexandre

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de galanterie auprès des illustres voyageuses et de politesse entre eux.

      Les Anglais envoyèrent aux Français des fleurs dont ils avaient fait provision pour fêter l'arrivée de la jeune princesse; les Français invitèrent les Anglais à un souper qu'ils devaient donner le lendemain. Madame recueillit donc sur son passage d'unanimes félicitations. Elle apparaissait comme une reine, à cause du respect de tous; comme une idole, à cause de l'adoration de quelques-uns. La reine mère fit aux Français l'accueil le plus affectueux. La France était son pays, à elle, et elle avait été trop malheureuse en Angleterre pour que l'Angleterre lui pût faire oublier la France. Elle apprenait donc à sa fille, par son propre amour, l'amour du pays où toutes deux avaient trouvé l'hospitalité, et où elles allaient trouver la fortune d'un brillant avenir.

      Lorsque l'entrée fut faite et les spectateurs un peu disséminés, lorsqu'on n'entendit plus que de loin les fanfares et le bruissement de la foule, lorsque la nuit tomba, enveloppant de ses voiles étoilés la mer, le port, la ville et la campagne encore émue de ce grand événement, de Guiche rentra dans sa tente, et s'assit sur un large escabeau, avec une telle expression de douleur, que Bragelonne le suivit du regard jusqu'à ce qu'il l'eût entendu soupirer; alors il s'approcha. Le comte était renversé en arrière, l'épaule appuyée à la paroi de la tente, le front dans ses mains, la poitrine haletante et le genou inquiet.

      – Tu souffres, ami? lui demanda Raoul.

      – Cruellement.

      – Du corps, n'est-ce pas?

      – Du corps, oui.

      – La journée a été fatigante, en effet, continua le jeune homme, les yeux fixés sur celui qu'il interrogeait.

      – Oui, et le sommeil me rafraîchirait.

      – Veux-tu que je te laisse?

      – Non, j'ai à te parler.

      – Je ne te laisserai parler qu'après avoir interrogé, moi-même, de Guiche.

      – Interroge.

      – Mais sois franc.

      – Comme toujours.

      – Sais-tu pourquoi Buckingham était si furieux?

      – Je m'en doute.

      – Il aime Madame, n'est-ce pas?

      – Du moins on en jurerait, à le voir.

      – Eh bien! il n'en est rien.

      – Oh! cette fois, tu te trompes, Raoul, et j'ai bien lu sa peine dans ses yeux, dans son geste, dans toute sa vie depuis ce matin.

      – Tu es poète, mon cher comte, et partout tu vois de la poésie.

      – Je vois surtout l'amour.

      – Où il n'est pas.

      – Où il est.

      – Voyons, de Guiche, tu crois ne pas te tromper?

      – Oh! j'en suis sûr! s'écria vivement le comte.

      – Dis-moi, comte, demanda Raoul avec un profond regard, qui te rend si clairvoyant?

      – Mais, répondit de Guiche en hésitant, l'amour-propre.

      – L'amour-propre! c'est un mot bien long, de Guiche.

      – Que veux-tu dire?

      – Je veux dire, mon ami, que d'ordinaire tu es moins triste que ce soir.

      – La fatigue.

      – La fatigue?

      – Oui.

      – Écoute, cher ami, nous avons fait campagne ensemble, nous nous sommes vus à cheval pendant dix-huit heures; trois chevaux, écrasés de lassitude ou mourant de faim, tombaient sous nous, que nous riions encore. Ce n'est point la fatigue qui te rend triste, comte.

      – Alors, c'est la contrariété.

      – Quelle contrariété?

      – Celle de ce soir.

      – La folie de lord Buckingham?

      – Eh! sans doute; n'est-il point fâcheux, pour nous Français représentant notre maître, de voir un Anglais courtiser notre future maîtresse, la seconde dame du royaume?

      – Oui, tu as raison; mais je crois que lord Buckingham n'est pas dangereux.

      – Non, mais il est importun. En arrivant ici, n'a-t-il pas failli tout troubler entre les Anglais et nous, et sans toi, sans ta prudence si admirable et ta fermeté si étrange, nous tirions l'épée en pleine ville.

      – Il a changé, tu vois.

      – Oui, certes; mais de là même vient ma stupéfaction. Tu lui as parlé bas; que lui as-tu dit? Tu crois qu'il l'aime; tu le dis, une passion ne cède pas avec cette facilité; il n'est donc pas amoureux d'elle!

      Et de Guiche prononça lui-même ces derniers mots avec une telle expression, que Raoul leva la tête.

      Le noble visage du jeune homme exprimait un mécontentement facile à lire.

      – Ce que je lui ai dit, comte, répondit Raoul, je vais le répéter à toi. Écoute bien, le voici: «Monsieur, vous regardez d'un air d'envie, d'un air de convoitise injurieuse, la soeur de votre prince, laquelle ne vous est pas fiancée, laquelle n'est pas, laquelle ne peut pas être votre maîtresse; vous faites donc affront à ceux qui, comme nous, viennent chercher une jeune fille pour la conduire à son époux.»

      – Tu lui as dit cela? demanda de Guiche en rougissant.

      – En propres termes; j'ai même été plus loin.

      De Guiche fit un mouvement.

      – Je lui ai dit: «De quel oeil nous regarderiez-vous, si vous aperceviez parmi nous un homme assez insensé, assez déloyal, pour concevoir d'autres sentiments que le plus pur respect à l'égard d'une princesse destinée à notre maître?»

      Ces paroles étaient tellement à l'adresse de de Guiche, que de Guiche pâlit, et, saisi d'un tremblement subit, ne put tendre que machinalement une main vers Raoul, tandis que de l'autre il se couvrait les yeux et le front.

      – Mais, continua Raoul sans s'arrêter à cette démonstration de son ami, Dieu merci! les Français, que l'on proclame légers, indiscrets, inconsidérés, savent appliquer un jugement sain et une saine morale à l'examen des questions de haute convenance. «Or, ai-je ajouté, sachez, monsieur de Buckingham, que nous autres, gentilshommes de France, nous servons nos rois en leur sacrifiant nos passions aussi bien que notre fortune et notre vie; et quand, par hasard, le démon nous suggère une de ces mauvaises pensées qui incendient le coeur, nous éteignons cette flamme, fût-ce en l'arrosant de notre sang. De cette façon, nous sauvons trois honneurs à la fois: celui de notre pays, celui de notre maître et le nôtre. Voilà, monsieur de Buckingham, comme nous agissons; voilà comment tout homme de coeur doit agir.» Et voilà, mon cher de Guiche, continua Raoul, comment j'ai parlé à M. de Buckingham; aussi s'est-il rendu sans

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