Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.. Dumas Alexandre
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Mais dans cet intervalle, si court qu'il fût, Raoul avait eu le temps de se remettre.
– Vous, mademoiselle? dit-il.
Puis, avec un accent indéfinissable:
– Vous ici? ajouta-t-il.
– Oui, Raoul, répéta la jeune fille; oui, moi, qui vous attendais.
– Pardon; lorsque je suis rentré, j'ignorais…
– Oui, et j'avais recommandé à Olivain de vous laisser ignorer…
Elle hésita; et, comme Raoul ne se pressait pas de lui répondre, il se fit un silence d'un instant, silence pendant lequel on eût pu entendre le bruit de ces deux coeurs qui battaient, non plus à l'unisson l'un de l'autre, mais aussi violemment l'un que l'autre.
C'était à Louise de parler. Elle fit un effort.
– J'avais à vous parler, dit-elle; il fallait absolument que je vous visse… moi-même… seule… Je n'ai point reculé devant une démarche qui doit rester secrète; car personne, excepté vous, ne la comprendrait, monsieur de Bragelonne.
– En effet, mademoiselle, balbutia Raoul, tout effaré, tout haletant, et moi même, malgré la bonne opinion que vous avez de moi, j'avoue…
– Tout à l'heure, dit-elle, M. de Saint-Aignan est venu chez moi de la part du roi.
Elle baissa les yeux.
De son côté, Raoul détourna les siens pour ne rien voir.
– M. de Saint-Aignan est venu chez moi de la part du roi, répéta- t-elle, et il m'a dit que vous saviez tout.
Et elle essaya de regarder en face celui qui recevait cette blessure après tant d'autres blessures; mais il lui fut impossible de rencontrer les yeux de Raoul.
– Il m'a dit que vous aviez conçu contre moi une légitime colère.
Cette fois, Raoul regarda la jeune fille, et un sourire dédaigneux retroussa ses lèvres.
– Oh! continua-t-elle, je vous en supplie, ne dites pas que vous avez ressenti contre moi autre chose que de la colère. Raoul, attendez que je vous aie tout dit, attendez que je vous aie parlé jusqu'à la fin.
Le front de Raoul se rasséréna par la force de sa volonté; le pli de sa bouche s'effaça.
– Et d'abord, dit La Vallière, d'abord, les mains jointes, le front courbé, je vous demande pardon comme au plus généreux, comme au plus noble des hommes. Si je vous ai laissé ignorer ce qui se passait en moi, jamais du moins je n'eusse consenti à vous tromper. Oh! je vous en supplie, Raoul, je vous le demande à genoux, répondez-moi, fût-ce une injure. J'aime mieux une injure de vos lèvres qu'un soupçon de votre coeur.
– J'admire votre sublimité, mademoiselle, dit Raoul en faisant un effort sur lui-même pour rester calme. Laisser ignorer que l'on trompe, c'est loyal; mais tromper, il paraît que ce serait mal, et vous ne le feriez point.
– Monsieur, longtemps, j'ai cru que je vous aimais avant toute chose, et, tant que j'ai cru à mon amour pour vous, je vous ai dit que je vous aimais. À Blois, je vous aimais. Le roi passa à Blois; je crus que je vous aimais encore. Je l'eusse juré sur un autel; mais un jour est venu qui m'a détrompée.
– Eh bien! ce jour-là, mademoiselle, voyant que je vous aimais toujours, moi, la loyauté devait vous ordonner de me dire que vous ne m'aimiez plus.
– Ce jour-là, Raoul, le jour où j'ai lu jusqu'au fond de mon coeur le jour où je me suis avoué à moi-même que vous ne remplissiez pas toute ma pensée, le jour où j'ai vu un autre avenir que celui d'être votre amie, votre amante, votre épouse, ce jour-là, Raoul, hélas! vous n'étiez plus près de moi.
– Vous saviez où j'étais, mademoiselle; il fallait écrire.
– Raoul, je n'ai point osé. Raoul, j'ai été lâche. Que voulez- vous, Raoul! je vous connaissais si bien, je savais si bien que vous m'aimiez, que j'ai tremblé à la seule idée de la douleur que j'allais vous faire; et cela est si vrai, Raoul, qu'en ce moment où je vous parle, courbée devant vous, le coeur serré, des soupirs plein la voix, des larmes plein les yeux, aussi vrai que je n'ai d'autre défense que ma franchise, je n'ai pas non plus d'autre douleur que celle que je lis dans vos yeux.
Raoul essaya de sourire.
– Non, dit la jeune fille avec une conviction profonde, non, vous ne me ferez pas cette injure de vous dissimuler devant moi. Vous m'aimiez, vous; vous étiez sûr de m'aimer; vous ne vous trompiez pas vous-même, vous ne mentiez pas à votre propre coeur, tandis que moi, moi!..
Et toute pâle, les bras tendus au-dessus de sa tête, elle se laissa tomber sur les genoux.
– Tandis que vous, dit Raoul, vous me disiez que vous m'aimiez, et vous en aimiez un autre!
– Hélas! oui, s'écria la pauvre enfant; hélas! oui, j'en aime un autre; et cet autre… mon Dieu! laissez-moi dire, car c'est ma seule excuse, Raoul; cet autre, je l'aime plus que je n'aime ma vie, plus que je n'aime Dieu. Pardonnez-moi ma faute ou punissez ma trahison, Raoul. Je suis venue ici, non pour me défendre, mais pour vous dire: Vous savez ce que c'est qu'aimer? Eh bien, j'aime! J'aime à donner ma vie, à donner mon âme à celui que j'aime! S'il cesse de m'aimer jamais, je mourrai de douleur, à moins que Dieu ne me secoure, à moins que le Seigneur ne me prenne en miséricorde. Raoul, je suis ici pour subir votre volonté, quelle qu'elle soit; pour mourir si vous voulez que je meure. Tuez-moi donc, Raoul, si, dans votre coeur, vous croyez que je mérite la mort.
– Prenez-y garde, mademoiselle, dit Raoul, la femme qui demande la mort est celle qui ne peut plus donner que son sang à l'amant trahi.
– Vous avez raison dit-elle.
Raoul poussa un profond soupir.
– Et vous aimez sans pouvoir oublier? s'écria Raoul.
– J'aime sans vouloir oublier, sans désir d'aimer jamais ailleurs, répondit La Vallière.
– Bien! fit Raoul. Vous m'avez dit, en effet, tout ce que vous aviez à me dire, tout ce que je pouvais désirer savoir. Et maintenant, mademoiselle, c'est moi qui vous demande pardon, c'est moi qui ai failli être un obstacle dans votre vie, c'est moi qui ai eu tort, c'est moi qui, en me trompant, vous aidais à vous tromper.
– Oh! fit La Vallière, je ne vous demande pas tant, Raoul.
– Tout cela est ma faute, mademoiselle, continua Raoul; plus instruit que vous dans les difficultés de la vie, c'était à moi de vous éclairer; je devais ne pas me reposer sur l'incertain, je devais faire parler votre coeur, tandis que j'ai fait à peine parler votre bouche. Je vous le répète, mademoiselle, je vous demande pardon.
– C'est impossible, c'est impossible! s'écria-t-elle. Vous me raillez!
– Comment, impossible?
– Oui, il est impossible d'être bon, d'être excellent, d'être parfait à ce point.
– Prenez garde! dit Raoul avec un sourire amer; car tout à l'heure vous allez peut-être dire que je ne vous aimais pas.
– Oh!