Les mille et un fantômes. Dumas Alexandre

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Les mille et un fantômes - Dumas Alexandre

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une forêt d'orangers; Fontenay est un bouquet de roses. Chaque maison a son rosier qui monte le long de la muraille, protégé au pied par un étui de planches; arrivé à une certaine hauteur, le rosier s'épanouit en gigantesque éventail; l'air qui passe est embaumé, et, lorsqu'au lieu d'air il fait du vent, il pleut des feuilles de roses comme il en pleuvait à la Fête-Dieu quand Dieu avait une fête.

      De l'extrémité du jardin, nous eussions eu une vue immense s'il eût fait jour. – Les lumières seules semées dans l'espace indiquaient les villages de Sceaux, de Bagneux, de Châtillon et de Montrouge; au fond s'étendait une grande ligne roussâtre d'où sortait un bruit sourd semblable au souffle de Léviathan: – c'était la respiration de Paris.

      On fut obligé de nous envoyer coucher de force, comme on fait aux enfants. Sous ce beau ciel tout brodé d'étoiles, au contact de cette brise parfumée, nous eussions volontiers attendu le jour.

      A cinq heures du matin, nous nous mîmes en chasse, guidés par le fils de notre hôte, qui nous avait promis monts et merveilles, et qui, il faut le dire, continua à nous vanter la fécondité giboyeuse de son territoire avec une persistance digne d'un meilleur sort.

      A midi, nous avions vu un lapin et quatre perdrix. – Le lapin avait été manqué par mon compagnon de droite, une perdrix avait été manquée par mon compagnon de gauche, et, sur les trois autres perdrix, deux avaient été tuées par moi.

      A midi, à Brassoire, j'eusse déjà envoyé à la ferme trois ou quatre lièvres et quinze ou vingt perdrix.

      J'aime la chasse, mais je déteste la promenade, surtout la promenade à travers champs. Aussi, sous prétexte d'aller explorer un champ de luzerne situé à mon extrême gauche, et dans lequel j'étais bien sûr de ne rien trouver, je rompis la ligne et fis un écart.

      Mais ce qu'il y avait dans ce champ, ce que j'y avais avisé dans le désir de retraite qui s'était déjà emparé de moi depuis plus de deux heures, c'était un chemin creux qui, me dérobant aux regards des autres chasseurs, devait me ramener par la route de Sceaux droit à Fontenay-aux-Roses.

      Je ne me trompais pas. – A une heure sonnant au clocher de la paroisse, j'atteignais les premières maisons du village.

      Je suivais un mur qui me paraissait clore une assez belle propriété, lorsque, en arrivant à l'endroit où la rue de Diane s'embranche avec la Grande-Rue, je vis venir à moi, du côté de l'église, un homme d'un aspect si étrange, que je m'arrêtai et qu'instinctivement j'armai les deux coups de mon fusil, mû que j'étais par le simple sentiment de la conservation personnelle.

      Mais, pâle, les cheveux hérissés, les yeux hors de leur orbite, les vêtements en désordre et les mains ensanglantées, cet homme passa près de moi sans me voir. – Son regard était fixe et atone à la fois. – Sa course avait l'emportement invincible d'un corps qui descendrait une montagne trop rapide, et cependant sa respiration râlante indiquait encore plus d'effroi que de fatigue.

      A l'embranchement des deux voies, il quitta la Grande-Rue pour se jeter dans la rue de Diane, sur laquelle s'ouvrait la propriété dont, pendant sept ou huit minutes, j'avais suivi la muraille. Cette porte, sur laquelle mes yeux s'arrêtèrent à l'instant même, était peinte en vert et était surmontée du numéro 2. La main de l'homme s'étendit vers la sonnette bien avant de pouvoir la toucher; puis il l'atteignit, l'agita violemment, et, presque aussitôt, tournant sur lui-même, il se trouva assis sur l'une des deux bornes qui servent d'ouvrage avancé à cette porte. Une fois là, il demeura immobile, les bras pendants et la tête inclinée sur la poitrine.

      Je revins sur mes pas, tant je comprenais que cet homme devait être l'acteur principal de quelque drame inconnu et terrible.

      Derrière lui, et aux deux côtés de la rue, quelques personnes, sur lesquelles il avait sans doute produit le même effet qu'à moi, étaient sorties de leurs maisons et le regardaient avec un étonnement pareil à celui que j'éprouvais moi-même.

      A l'appel de la sonnette qui avait résonné violemment, une petite porte percée près de la grande s'ouvrit, et une femme de quarante à quarante-cinq ans apparut. – Ah! c'est vous, Jacquemin, dit-elle, que faites-vous donc là?

      – M. le maire est-il chez lui? demanda d'une voix sourde l'homme auquel elle adressait la parole.

      – Oui.

      – Eh bien! mère Antoine, allez lui dire que j'ai tué ma femme, et que je viens me constituer prisonnier.

      La mère Antoine poussa un cri auquel répondirent deux ou trois exclamations arrachées par la terreur à des personnes qui se trouvaient assez près pour entendre ce terrible aveu.

      Je fis moi-même un pas en arrière, et rencontrai le tronc d'un tilleul, auquel je m'appuyai.

      Au reste, tous ceux qui se trouvaient à la portée de la voix étaient restés immobiles.

      Quant au meurtrier, il avait glissé de la borne à terre, comme si, après avoir prononcé les fatales paroles, la force l'eût abandonné.

      Cependant la mère Antoine avait disparu, laissant la petite porte ouverte. Il était évident qu'elle était allée accomplir près de son maître la commission dont Jacquemin l'avait chargée.

      Au bout de cinq minutes, celui qu'on était allé chercher parut sur le seuil de la porte.

      Deux autres hommes le suivaient.

      Je vois encore l'aspect de la rue.

      Jacquemin avait glissé à terre comme je l'ai dit Le maire de Fontenay-aux-Roses. que venait d'aller chercher la mère Antoine, se trouvait debout près de lui, le dominant de toute la hauteur de sa taille, qui était grande. Dans l'ouverture de la porte se pressaient les deux autres personnes dont nous parlerons plus longuement tout à l'heure. J'étais appuyé contre le tronc d'un tilleul planté dans la Grande-Rue, mais d'où mon regard plongeait dans la rue de Diane. A ma gauche était un groupe composé d'un homme, d'une femme et d'un enfant, l'enfant pleurant pour que sa mère le prît dans ses bras. Derrière ce groupe un boulanger passait sa tête par une fenêtre du premier, causant avec son garçon qui était en bas, et lui demandant si ce n'était pas Jacquemin, le carrier, qui venait de passer en courant; puis enfin apparaissait, sur le seuil de sa porte, un maréchal ferrant, noir par devant, mais le dos éclairé par la lumière de sa forge dont un apprenti continuait de tirer le soufflet.

      Voilà pour la Grande-Rue.

      Quant à la rue de Diane, – à part le groupe principal que nous avons décrit, – elle était déserte. Seulement à son extrémité l'on voyait poindre deux gendarmes qui venaient de faire leur tournée dans la plaine pour demander les ports d'armes, et qui, sans se douter de la besogne qui les attendait, se rapprochaient de nous en marchant tranquillement au pas. Une heure un quart sonnait.

      II

      L'IMPASSE DES SERGENTS

      A la dernière vibration du timbre se mêla le bruit de la première parole du maire. – Jacquemin, dit-il, j'espère que la mère Antoine est folle: elle vient de ta part me dire que ta femme est morte, et que c'est toi qui l'as tuée!

      – C'est la vérité pure, monsieur le maire, répondit Jacquemin. Il faudrait me faire conduire en prison et juger bien vite.

      Et, en disant ces mots, il essaya de se relever, s'accrochant au haut de la borne avec son coude; mais, après un effort, il retomba, comme si les os de ses jambes eussent été brisés.

      – Allons

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