Les mille et un fantômes. Dumas Alexandre
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En effet, la gauche était rouge jusqu'au-dessus du poignet, la droite jusqu'au coude.
En outre, à la main droite, un filet de sang frais coulait tout le long du pouce, provenant d'une morsure que la victime, en se débattant, avait, selon toute probabilité, faite à son assassin.
Pendant ce temps, les deux gendarmes s'étaient rapprochés, avaient fait halte à dix pas du principal acteur de cette scène et regardaient du haut de leurs chevaux.
Le maire leur fit un signe; ils descendirent, jetant la bride de leur monture à un gamin coiffé d'un bonnet de police et qui paraissait être un enfant de troupe.
Après quoi ils s'approchèrent de Jacquemin et le soulevèrent par-dessous les bras.
Il se laissa faire sans résistance aucune, et avec l'atonie d'un homme dont l'esprit est absorbé par une unique pensée.
Au même instant, le commissaire de police et le médecin arrivèrent; ils venaient d'être prévenus de ce qui se passait.
– Ah! venez, monsieur Robert! – Ah! venez, monsieur Cousin! dit le maire.
M. Robert était le médecin, M. Cousin était le commissaire de police.
– Venez; j'allais vous envoyer chercher.
– Eh bien! voyons, qu'y a-t-il? demanda le médecin de l'air le plus jovial du monde; un petit assassinat, à ce qu'on dit.
Jacquemin ne répondit rien.
– Dites donc, père Jacquemin, continua le docteur, est-ce que c'est vrai que c'est vous qui avez tué votre femme?
Jacquemin ne souffla pas le mot.
– Il vient au moins de s'en accuser lui-même, dit le maire; cependant, j'espère encore que c'est un moment d'hallucination et non pas un crime réel qui le fait parler.
– Jacquemin, dit le commissaire de police, répondez. Est-il vrai que vous ayez tué votre femme?
Même silence.
– En tout cas, nous allons bien voir, dit le docteur Robert; ne demeure-t-il pas impasse des Sergents?
– Oui, répondirent les deux gendarmes.
– Eh bien! monsieur Ledru, dit le docteur en s'adressant au maire, allons impasse des Sergents.
– Je n'y vais pas! – je n'y vais pas! s'écria Jacquemin en s'arrachant des mains des gendarmes avec un mouvement si violent, que, s'il eût voulu fuir, il eût été, certes, à cent pas avant que personne songeât à le poursuivre.
– Mais pourquoi n'y veux-tu pas venir? demanda le maire.
– Qu'ai-je besoin d'y aller, puisque j'avoue tout, – puisque je vous dis que je l'ai tuée, tuée avec cette grande épée à deux mains que j'ai prise au Musée d'artillerie l'année dernière? Conduisez-moi en prison; je n'ai rien à faire là-bas, conduisez-moi en prison!
Le docteur et M. Ledru se regardèrent.
– Mon ami, dit le commissaire de police, qui, comme M. Ledru, espérait encore que Jacquemin était sous le poids de quelque dérangement d'esprit momentané, – mon ami, la confrontation est d'urgence; d'ailleurs il faut que vous soyez là pour guider la justice.
– En quoi la justice a-t-elle besoin d'être guidée? dit Jacquemin; vous trouverez le corps dans la cave, et, près du corps, dans un sac de plâtre, la tête; quant à moi, conduisez-moi en prison.
– Il faut que vous veniez, dit le commissaire de Police.
– Oh! mon Dieu! mon Dieu! s'écria Jacquemin, en proie à la plus effroyable terreur; oh! mon Dieu! mon Dieu! si j'avais su…
– Eh bien! qu'aurais-tu fait? demanda le commissaire de police.
– Eh bien! je me serais tué.
M. Ledru secoua la tête, et, s'adressant du regard au commissaire de police, il sembla lui dire: Il y a quelque chose là-dessous. – Mon ami, reprit-il en s'adressant au meurtrier, voyons, explique-moi cela, à moi.
– Oui, à vous, tout ce que vous voudrez, monsieur Ledru, demandez, interrogez.
– Comment se fait-il, puisque tu as eu le courage de commettre le meurtre, que tu n'aies pas celui de te retrouver en face de ta victime? Il s'est donc passé quelque chose que tu ne nous dis pas?
– Oh! oui, quelque chose de terrible.
– Eh bien! voyons, raconte.
– Oh! non; vous diriez que ce n'est pas vrai, vous diriez que je suis fou.
– N'importe! que s'est-il passé? dis-le-moi.
– Je vais vous le dire, mais à vous. Il s'approcha de M. Ledru.
Les deux gendarmes voulurent le retenir; mais le maire leur fit un signe, ils laissèrent le prisonnier libre.
D'ailleurs, eût-il voulu se sauver, la chose était devenue impossible; la moitié de la population de Fontenay-aux-Roses encombrait la rue de Diane et la Grande-Rue.
Jacquemin, comme je l'ai dit, s'approcha de l'oreille de M. Ledru. – Croyez-vous, monsieur Ledru, demanda Jacquemin à demi-voix, croyez-vous qu'une tête puisse parler, une fois séparée du corps?
M. Ledru poussa une exclamation qui ressemblait à un cri, et pâlit visiblement.
– Le croyez-vous? dites, répéta Jacquemin.
M. Ledru fit un effort. – Oui, dit-il, je le crois.
– Eh bien!.. eh bien!.. elle a parlé.
– Qui?
– La tête… la tête de Jeanne.
– Tu dis?
– Je dis qu'elle avait les yeux ouverts, – je dis qu'elle a remué les lèvres. Je dis qu'elle m'a regardé. Je dis qu'en me regardant elle m'a appelé: Misérable!
En disant ces mots, qu'il avait l'intention de dire à M. Ledru tout seul, et qui cependant pouvaient être entendus de tout le monde, Jacquemin était effrayant.
– Oh! la bonne charge! s'écria le docteur en riant; elle a parlé… une tête coupée a parlé. Bon, bon, bon!
Jacquemin se retourna. – Quand je vous le dis! fit-il.
– Eh bien! dit le commissaire de police, raison de plus pour que nous nous rendions à l'endroit où le crime a été commis. Gendarmes, emmenez le prisonnier.
Jacquemin jeta un cri en se tordant. – Non, non, dit-il vous me couperez en morceaux si vous voulez, mais je n'irai pas.
– Venez, mon ami, dit M. Ledru. S'il est vrai que vous ayez commis le crime terrible dont vous vous accusez, ce sera déjà une expiation. D'ailleurs, ajouta-t-il en lui parlant bas, la résistance est inutile; si vous n'y voulez pas venir de bonne volonté,