Les chasseurs de chevelures. Reid Mayne
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Читать онлайн книгу Les chasseurs de chevelures - Reid Mayne страница 11
Sans plus d'explications, Saint-Vrain se glissa a travers la foule et disparut.
Depuis mon entree, j'etais demeure assis sur une banquette, pres de Saint-Vrain, dans un coin ecarte de la salle. Un homme d'un aspect tout particulier occupait la place voisine de mon compagnon, et etait plonge dans l'ombre d'un rideau. J'avais remarque cet homme tout en entrant, et j'avais remarque aussi que Saint-Vrain avait cause avec lui; mais je n'avais pas ete presente, et l'interposition de mon ami avait empeche un examen plus attentif de ma part, jusqu'a ce que Saint-Vrain se fut retire. Nous etions maintenant l'un pres de l'autre, et je commencai a pousser une sorte de reconnaissance angulaire de la figure et de la tournure qui avaient frappe mon attention par leur etrangete. Ce n'etait pas un Americain; on le reconnaissait a son vetement, et cependant sa figure n'etait pas mexicaine. Ses traits etaient trop accentues pour un Espagnol, quoique son teint, hale par l'air et le soleil, fut brun et bronze. La figure etait rasee, a l'exception du menton, qui etait garni d'une barbe noire taillee en pointe. L'oeil, autant que je pus le voir sous l'ombre d'un chapeau rabattu, etait bleu et doux. Les cheveux noirs et ondules, marques ca et la d'un fil d'argent. Ce n'etaient point la les traits caracteristiques d'un Espagnol, encore moins d'un Hispano-Americain; et, n'eut ete son costume, j'aurais assigne a mon voisin une toute autre origine. Mais il etait entierement vetu a la mexicaine, enveloppe d'une manga pourpre, rehaussee de broderies de velours noir le long des bords et autour des ouvertures. Comme ce vetement le couvrait presque en entier, je ne faisais qu'entrevoir en dessous une paire de calzoneros de velours vert, avec des boutons jaunes et des aiguillettes de rubans blancs comme la neige, pendant le long des coutures. La partie interieure des calzoneros etait garnie de basane noire gaufree, et venait joindre les tiges d'une paire de bottes jaunes munies de forts eperons en acier. La large bande de cuir pique qui soutenait les eperons et passait sur le cou-de-pied donnait a cette partie le contour particulier que l'on remarque dans les portraits des anciens chevaliers armes de toutes pieces. Il portait un sombrero noir a larges bords, entoure d'un large galon d'or. Une paire de ferrets, egalement en or, depassait la bordure; mode du pays. Cet homme avait son sombrero penche du cote de la lumiere, et paraissait vouloir cacher sa figure. Cependant, il n'etait pas disgracie sous ce rapport. Sa physionomie, au contraire, etait ouverte et attrayante; ses traits avaient du etre beaux autrefois, avant d'avoir ete alteres, et couverts d'un voile de profonde melancolie par des chagrins que j'ignorais. C'etait l'expression de cette tristesse qui m'avait frappe au premier aspect. Pendant que je faisais toutes ces remarques, en le regardant de cote, je m'apercus qu'il m'observait de la meme maniere, et avec un interet qui semblait egal au mien. Il fit sans doute la meme decouverte, et nous nous retournames en meme temps de maniere a nous trouver face a face; alors l'etranger tira de sa manga un petit cigarero brode de perles et me le presenta gracieusement en disant:
– Quiere a fumar, caballero? (Desirez-vous fumer, monsieur?)
– Volontiers, je vous remercie, – repondis-je en espagnol.
Et en meme temps je tirai une cigarette de l'etui.
A peine avions-nous allume, que cet homme, se tournant de nouveau vers moi, m'adressa a brule-pourpoint cette question inattendue:
– Voulez-vous vendre votre cheval?
– Non.
– Pour un bon prix?
– A aucun prix.
– Je vous en donnerai cinq cents dollars.
– Je ne le donnerais pas pour le double.
– Je vous en donnerai le double.
– Je lui suis attache. Ce n'est pas une question d'argent.
– J'en suis desole. J'ai fait deux cents milles pour acheter ce cheval.
Je regardai mon interlocuteur avec etonnement et repetai machinalement ses derniers mots.
– Vous nous avez donc suivis depuis l'Arkansas?
– Non, je viens du Rio-Abajo.
– Du Rio-Abajo! du bas du Del-Norte?
– Oui.
– Alors, mon cher monsieur, il y a erreur. Vous croyez parler a un autre et traiter de quelque autre cheval.
– Oh! non; c'est bien du votre qu'il s'agit, un etalon noir, avec le nez roux, et a tous crins; demi-sang arabe. Il a une petite marque au-dessus de l'oeil gauche.
Ce signalement etait assurement celui de Moro, et je commencai a eprouver une sorte de crainte superstitieuse a l'endroit de mon mysterieux voisin.
– En verite, repliquai-je, c'est tout a fait cela; mais j'ai achete cet etalon, il y a plusieurs mois, a un planteur louisianais. Si vous arrivez de deux cents milles au-dessous de Rio-Grande, comment, je vous le demande, avez-vous pu avoir la moindre connaissance de moi ou de mon cheval?
– Dispensadme, caballero! je ne pretends rien de semblable. Je viens de loin au-devant de la caravane pour acheter un cheval americain. Le votre est le seul dans toute la cavalcade qui puisse me convenir, et, a ce qu'il parait, le seul que je ne puisse me procurer a prix d'argent.
– Je le regrette vivement; mais j'ai eprouve les qualites de l'animal. Nous sommes devenus amis, et il faudrait un motif bien puissant pour que je consentisse a m'en separer.
– Ah! senor, c'est un motif bien puissant qui me rend si desireux de l'acheter. Si vous saviez pourquoi, peut-etre… – Il hesita un moment. – Mais non, non, non!
Apres avoir murmure quelques paroles incoherentes au milieu desquelles je pus distinguer les mots buenas noches, caballero! l'etranger se leva en conservant les allures mysterieuses qui le caracterisaient, et me quitta. J'entendis le cliquetis de ses eperons pendant qu'il se frayait lentement un chemin a travers la foule joyeuse, et il disparut dans l'ombre.
Le siege vacant fut immediatement occupe par une manola tout en noir, dont la brillante nagua, la chemisette brodee, les fines chevilles et les petits pieds chausses de pantoufles bleues attirerent mon attention. C'etait tout ce que je pouvais apercevoir de sa personne; de temps en temps, l'eclair d'un grand oeil noir m'arrivait a travers l'ouverture du rebozo tapado (mantille fermee). Peu a peu le rebozo devint moins discret, l'ouverture s'agrandit, et il me fut permis d'admirer les contours d'une petite figure charmante et pleine de malice. L'extremite de la mantille fut adroitement rejetee par-dessus l'epaule gauche, et decouvrit un bras nu, arrondi, termine par une grappe de petits doigts charges de bijoux, et pendant nonchalamment. Je suis passablement timide; mais, a la vue de cette attrayante partenaire, je ne pus y tenir plus longtemps, et, me penchant vers elle, je lui dis dans mon meilleur espagnol:
– Voulez-vous bien, mademoiselle, m'accorder la faveur d'une valse?
La malicieuse petite manola baissa d'abord la tete en rougissant; puis, relevant les longs cils de ses yeux noirs, me regarda et me repondit avec une douce voix de canari:
– Con gusto, senor (avec plaisir, monsieur).
– Allons! m'ecriai-je, enivre de mon triomphe.
Et, saisissant la taille de ma brillante danseuse, je m'elancai dans le tourbillonnement du bal.
Nous revinmes a nos places, et, apres nous etre rafraichis avec un verre d'Albuquerque, un massepain et une cigarette, nous reprimes notre elan. Cet agreable programme fut repete a peu pres une demi-douzaine de fois; seulement, nous alternions la valse avec la polka, car ma manola dansait la polka aussi bien que