Dictionnaire érotique moderne. Alfred Delvau

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Dictionnaire érotique moderne - Alfred Delvau

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pudeurs, vaut cent fois mieux que notre phraséologie bégueule – et en même temps embrenée d’équivoques obscènes – dont ils se seraient si justement crevés de rire. Langue châtrée, peuple castrat. Où sont nos couilles du temps jadis? Qu’a-t-on fait du français médullaire, si substantiel et si savoureux, de Mathurin Régnier, d’Agrippa d’Aubigné, d’Amyot, de Rabelais, de Montaigne, de Brantôme, et de tant d’autres écrivains qui besognaient fort et dru? On l’a remplacé par le petit français d’un tas de petits écrivassiers, les uns membres – émasculés – de l’Académie, les autres dignes de le devenir. Et voilà pourquoi notre langue est muette, d’éloquente qu’elle était autrefois!

      C’est à ne s’y pas reconnaître dans cette tour de Babel moderne, où l’on est arrivé, par le bégueulisme, à la confusion du langage. Jamais on n’a aussi mal écrit, ni aussi mal parlé. L’hôtel de Rambouillet, qu’on pouvait croire exproprié et démoli pour cause de clarté publique, existe avec plus de locataires que du temps de la Guirlande de Julie; il y en a depuis le sous-sol jusqu’aux combles, maîtres et domestiques mêlés, Houssaye sur Lamartine, Musset sur Murger, Mérimée sur Aubryet, Janin sur Sainte-Beuve. Ces Précieuses mâles – du moins du sexe masculin, car mâles emporte avec soi une idée de vigueur que je ne veux pas attacher au nom de ces péronnelles en culottes, – ces Précieuses, à l’exemple de leurs aînées en jupons, fessées à tour de bras par Molière, ont frappé de proscription tous les mots virils de notre langue, toutes les expressions bien bâties, qui avaient jadis droit au respect général et qui en sont réduites aujourd’hui à faire le trottoir, comme de vulgaires prostituées.

      Ah! que cette horreur du mot propre est bête, dangereuse – et inutile! Qu’est indécent et saugrenu cet amour de la périphrase et du sous-entendu qui joue dans la conversation le rôle d’énigme dont tout le monde finit toujours par trouver la clef! «Vilains hypocrites! s’écrie Denis Diderot avec une indignation sincère; foutez comme des ânes débâtés, mais permettez-moi de dire foutre. Je vous passe l’action, passez-moi le mot. Vous prononcez hardiment tuer, voler, trahir, et l’autre, vous ne l’oseriez qu’entre les dents!.. Il est bon que les expressions les moins usitées, les moins écrites, les mieux tues, soient les mieux sues et les plus généralement connues. Aussi, cela est: aussi, le mot futuo n’est-il pas moins familier que le mot pain; nul âge ne l’ignore, nul idiome n’en est privé; il a mille synonymes dans toutes les langues, il s’imprime en chacune sans être exprimé… et le sexe qui le fait le plus, a usage de le taire le plus.»

      Que répondraient à cela nos Précieuses – si on les consultait? Que Diderot était un écrivain ordurier, qui aimait les vilains mots comme certaines gens aiment les mauvaises odeurs, et qu’aujourd’hui on le condamnerait à deux ou trois années de prison pour «outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs,» – sans compter deux ou trois autres années pour «outrage à la religion catholique.»

      J’y consens – pour un instant. Mais Michel de Montaigne? Oserez-vous, pécores, dire de ce gentilhomme périgourdin ce que vous avez niaisement reproché au fils de l’ouvrier coutelier de Langres? Montaigne a écrit la même chose, pourtant, et tout aussi clairement: «Qu’a fait l’action génitale aux hommes, si naturelle, si nécessaire et si juste, pour n’en oser parler sans vergongne, et pour l’exclure des propos sérieux et règlez? Nous prononçons hardiment tuer, desrobber, trahir; et cela, nous n’oserions qu’entre les dents. Est-ce à dire que moins nous en exhalons en paroles, d’autant nous avons loy d’en grossir la pensée? Car il est bon que les mots qui sont le moins en usage, moins escripts, et mieulx teus, soient les mieux sceus et plus generalement cogneus…»

      Vous les appelez des ordures

      Tous ces mots qui, ruisseaux de miel,

      Coulent avec de doux murmures

      Des lèvres en quête du ciel!

      Vous vous signez lorsqu’on raconte

      Ce que signifie Être heureux!

      Vous vous cachez le front de honte

      D’avoir joui comme des dieux!

      Vous rougissez de vos ivresses

      Lorsque vous êtes dégrisés,

      Et vous reniez vos maîtresses

      Lorsque repus de leurs baisers!

      Quel mal trouvez-vous donc à dire

      Ce qu’à faire vous trouvez bon?

      Pourquoi crime un charmant délire?

      Comment caca votre bonbon?

      Ah! libertins de sacristie

      Dont le cœur à la bouche ment,

      Pourquoi recrachez-vous l’hostie

      Gobée à deux si goulûment?

      Ce cant que nous reprochons si maladroitement aux Anglais, nous l’avons au même degré qu’eux; nous rougissons pudiquement, jeunes vierges à barbe, des grossièretés de notre Rabelais, comme ils rougissent, ces pucelles à favoris rouges, de leur Shakespeare. Et plus nous allons, et plus notre cant s’aggrave – avec nos vices. Je me rappelle encore l’émotion générale qui accueillit, il y a deux ans, le chapitre des Misérables de Victor Hugo où s’étale superbement la réponse énergique de Cambronne à Waterloo. C’était un scandale à nul autre pareil. On ne voulait pas croire à tant d’audace, et, le nez même sur la page où cette shockinerie se trouve déposée, avec des commentaires aggravants tout autour, on se refusait encore à y croire. Des cris de paon étaient poussés dans les salons et dans les cafés à propos de cette incongruité littéraire. Les académiciens se cachaient la face et se couvraient de cendres. Arsène Houssaye mettait un crêpe à sa houlette de berger en chambre. Madame Louise Colet prenait le voile. Champfleury allumait des lampions sur sa fenêtre, au grand ébahissement des habitants de Montmartre – qui se croyaient déjà au 15 août…

Victor Hugo avait écrit Merde!

      Sans doute. Après? et pourquoi toutes ces clameurs de pies en délire? Que prouve cette sainte – et ridicule – indignation? Rien, sinon que depuis Boileau les lecteurs français veulent être respectés quoiqu’ils ne se respectent pas eux-mêmes. Rien, sinon que la chasteté de notre langage témoigne surabondamment du libertinage de nos mœurs. Rien, sinon que nous ne trouvons les mots ordes et puants que parce que nos actions sont malsaines et nidoreuses. Rien, sinon que notre âme est un fumier sur lequel poussent les fleurs – de rhétorique. Rien, sinon qu’au lieu de laisser aux femmes le bégueulisme des paroles, nous l’affichons comme la feuille de vigne de l’impudicité, faisant ainsi semblant d’ignorer que jamais la pureté de l’âme humaine n’a été entamée par les familiarités les plus stercoréennes du langage humain. Il ne nous manquait que cette hypocrisie-là pour être complets!

      Les questions morales que cela soulève sont de la plus haute importance, et j’aurais grande joie à les examiner ici avec détails, afin de vider une bonne fois sur la tête d’un public béotien le panier de mes colères et de mes ironies. Mais, par malheur, la place me manque, mon cadre me force à me borner: à peine me reste-t-il quelques lignes.

      J’abrège donc, ne voulant d’ailleurs prouver rien autre que mon droit à réunir en corps de livre une cohue d’expressions pittoresques auxquelles le Dictionnaire de l’Académie fera faire éternellement le pied de grue, sans daigner même entrebâiller un de ses feuillets pour en laisser entrer quelques-unes chez lui. «Toutes les langues roulent de l’or,» a dit Joubert, – et l’argot d’un peuple entier est une langue, spécialement l’argot érotique; s’il vit en marge du Dictionnaire officiel, comme les gens qui le parlent vivent en marge de la société officielle, il n’en finira pas moins, à un moment donné, par se confondre comme eux dans la circulation générale.

      Au

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