La Comédie humaine - Volume 08. Scènes de la vie de Province - Tome 04. Honore de Balzac

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La Comédie humaine - Volume 08. Scènes de la vie de Province - Tome 04 - Honore de Balzac

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style="font-size:15px;">      — Mon ami, dit-elle d'un son de voix triste et joyeux en même temps, je vais à Paris, et mon père emmène Bargeton à l'Escarbas, où il restera pendant mon absence. Madame d'Espard, une demoiselle de Blamont-Chauvry, à qui nous sommes alliés par les d'Espard, les aînés de la famille des Nègrepelisse, est en ce moment très-influente par elle-même et par ses parents. Si elle daigne nous reconnaître, je veux la cultiver beaucoup: elle peut nous obtenir par son crédit une place pour Bargeton. Mes sollicitations pourront le faire désirer par la Cour pour député de la Charente, ce qui aidera sa nomination ici. La députation pourra plus tard favoriser mes démarches à Paris. C'est toi, mon enfant chéri, qui m'as inspiré ce changement d'existence. Le duel de ce matin me force à fermer ma maison pour quelque temps, car il y aura des gens qui prendront parti pour les Chandour contre nous. Dans la situation où nous sommes, et dans une petite ville, une absence est toujours nécessaire pour laisser aux haines le temps de s'assoupir. Mais ou je réussirai et ne reverrai plus Angoulême, ou je ne réussirai pas et veux attendre à Paris le moment où je pourrai passer tous les étés à l'Escarbas et les hivers à Paris. C'est la seule vie d'une femme comme il faut, j'ai trop tardé à la prendre. La journée suffira pour tous nos préparatifs, je partirai demain dans la nuit et vous m'accompagnerez, n'est-ce pas? Vous irez en avant. Entre Mansle et Ruffec, je vous prendrai dans ma voiture, et nous serons bientôt à Paris. Là, cher, est la vie de gens supérieurs. On ne se trouve à l'aise qu'avec ses pairs, partout ailleurs on souffre. D'ailleurs Paris, capitale du monde intellectuel, est le théâtre de vos succès! franchissez promptement l'espace qui vous en sépare! Ne laissez pas vos idées se rancir en province, communiquez promptement avec les grands hommes qui représenteront le dix-neuvième siècle. Rapprochez-vous de la cour et du pouvoir. Ni les distinctions ni les dignités ne viennent trouver le talent qui s'étiole dans une petite ville. Nommez-moi d'ailleurs les belles œuvres exécutées en province! Voyez au contraire le sublime et pauvre Jean-Jacques invinciblement attiré par ce soleil moral, qui crée les gloires en échauffant les esprits par le frottement des rivalités. Ne devez-vous pas vous hâter de prendre votre place dans la pléiade qui se produit à chaque époque? Vous ne sauriez croire combien il est utile à un jeune talent d'être mis en lumière par la haute société. Je vous ferai recevoir chez madame d'Espard; personne n'a facilement l'entrée de son salon, où vous trouverez tous les grands personnages, les ministres, les ambassadeurs, les orateurs de la chambre, les pairs les plus influents, des gens riches ou célèbres. Il faudrait être bien maladroit pour ne pas exciter leur intérêt, quand on est beau, jeune et plein de génie. Les grands talents n'ont pas de petitesse, ils vous prêteront leur appui. Quand on vous saura haut placé, vos œuvres acquerront une immense valeur. Pour les artistes, le grand problème à résoudre est de se mettre en vue. Il se rencontrera donc là pour vous mille occasions de fortune, des sinécures, une pension sur la cassette. Les Bourbons aiment tant à favoriser les lettres et les arts! aussi soyez à la fois poète religieux et poète royaliste. Non seulement ce sera bien, mais vous ferez fortune. Est-ce l'Opposition, est-ce le libéralisme qui donne les places, les récompenses, et qui fait la fortune des écrivains? Ainsi prenez la bonne route et venez là où vont tous les hommes de génie. Vous avez mon secret, gardez le plus profond silence, et disposez-vous à me suivre. Ne le voulez-vous pas? ajouta-t-elle étonnée de la silencieuse attitude de son amant.

      Lucien, hébété par le rapide coup d'œil qu'il jeta sur Paris, en entendant ces séduisantes paroles, crut n'avoir jusqu'alors joui que de la moitié de son cerveau; il lui sembla que l'autre moitié se découvrait, tant ses idées s'agrandirent: il se vit, dans Angoulême, comme une grenouille sous sa pierre au fond d'un marécage. Paris et ses splendeurs, Paris, qui se produit dans toutes les imaginations de province comme un Eldorado, lui apparut avec sa robe d'or, la tête ceinte de pierreries royales, les bras ouverts aux talents. Les gens illustres allaient lui donner l'accolade fraternelle. Là tout souriait au génie. Là ni gentillâtres jaloux qui lançassent des mots piquants pour humilier l'écrivain, ni sotte indifférence pour la poésie. De là jaillissaient les œuvres des poètes, là elles étaient payées et mises en lumière. Après avoir lu les premières pages de l'Archer de Charles IX, les libraires ouvriraient leurs caisses et lui diraient: Combien voulez-vous? Il comprenait d'ailleurs qu'après un voyage où ils seraient mariés par les circonstances, madame de Bargeton serait à lui tout entière, qu'ils vivraient ensemble.

      A ces mots: — Ne le voulez-vous pas? il répondit par une larme, saisit Louise par la taille, la serra sur son cœur et lui marbra le cou par de violents baisers. Puis il s'arrêta tout à coup comme frappé par un souvenir, et s'écria: — Mon Dieu, ma sœur se marie après-demain!

      Ce cri fut le dernier soupir de l'enfant noble et pur. Les liens si puissants qui attachent les jeunes cœurs à leur famille, à leur premier ami, à tous les sentiments primitifs, allaient recevoir un terrible coup de hache.

      — Hé! bien, s'écria l'altière Nègrepelisse, qu'a de commun le mariage de votre sœur et la marche de notre amour? tenez-vous tant à être le coryphée de cette noce de bourgeois et d'ouvriers que vous ne puissiez m'en sacrifier les nobles joies? Le beau sacrifice! dit-elle avec mépris. J'ai envoyé ce matin mon mari se battre à cause de vous! Allez, monsieur, quittez-moi! je me suis trompée.

      Elle tomba pâmée sur son canapé. Lucien l'y suivit en demandant pardon, en maudissant sa famille, David et sa sœur.

      — Je croyais tant en vous! dit-elle. Monsieur de Cante-Croix avait une mère qu'il idolâtrait, mais pour obtenir une lettre où je lui disais: Je suis contente! il est mort au milieu du feu. Et vous, quand il s'agit de voyager avec moi, vous ne savez point renoncer à un repas de noces!

      Lucien voulut se tuer, et son désespoir fut si vrai, si profond, que Louise pardonna, mais en faisant sentir à Lucien qu'il aurait à racheter cette faute.

      — Allez donc, dit-elle enfin, soyez discret, et trouvez-vous demain soir à minuit à une centaine de pas après Mansle.

      Lucien sentit la terre petite sous ses pieds, il revint chez David suivi de ses espérances comme Oreste l'était par ses furies, car il entrevoyait mille difficultés qui se comprenaient toutes dans ce mot terrible: — Et de l'argent? La perspicacité de David l'épouvantait si fort, qu'il s'enferma dans son joli cabinet pour se remettre de l'étourdissement que lui causait sa nouvelle position. Il fallait donc quitter cet appartement si chèrement établi, rendre inutiles tant de sacrifices. Lucien pensa que sa mère pourrait loger là, David économiserait ainsi la coûteuse bâtisse qu'il avait projeté de faire au fond de la cour. Ce départ devait arranger sa famille, il trouva mille raisons péremptoires à sa fuite, car il n'y a rien de jésuite comme un désir. Aussitôt il courut à l'Houmeau chez sa sœur, pour lui apprendre sa nouvelle destinée et se concerter avec elle. En arrivant devant la boutique de Postel, il pensa que, s'il n'y avait pas d'autres moyens, il emprunterait au successeur de son père la somme nécessaire à son séjour durant un an.

      — Si je vis avec Louise, un écu par jour sera pour moi comme une fortune, et cela ne fait que mille francs pour un an, se dit-il. Or, dans six mois, je serai riche!

      Ève et sa mère entendirent, sous la promesse d'un profond secret, les confidences de Lucien. Toutes deux pleurèrent en écoutant l'ambitieux; et, quand il voulut savoir la cause de ce chagrin, elles lui apprirent que tout ce qu'elles possédaient avait été absorbé par le linge de table et de maison, par le trousseau d'Ève, par une multitude d'acquisitions auxquelles n'avait pas pensé David, et qu'elles étaient heureuses d'avoir faites, car l'imprimeur reconnaissait à Ève une dot de dix mille francs. Lucien leur fit part alors de son idée d'emprunt, et madame Chardon se chargea d'aller demander à monsieur Postel mille francs pour un an.

      — Mais, Lucien, dit Ève avec un serrement de cœur, tu n'assisteras donc pas à mon mariage? Oh! reviens, j'attendrai quelques jours! Elle te laissera bien revenir ici dans une quinzaine, une fois que tu l'auras accompagnée! Elle nous accordera bien huit jours, à nous qui

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