Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre
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Regagnons-nous les carrosses, mon cher d'Herblay?
Aramis leva les yeux en l'air et interrogea le temps.
– Oh! dit-il, rien ne presse encore.
Puis, reprenant la conversation où il l'avait sans doute laissée:
– Vous dites donc que la lettre que nous avons écrite hier au soir doit être à cette heure parvenue à destination?
– Je dis qu'elle l'est certainement.
– Par qui l'avez-vous fait remettre?
– Par mon grison, ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire.
– A-t-il rapporté la réponse?
– Je ne l'ai pas revu; sans doute la petite était à son service près de Madame ou s'habillait chez elle, elle l'aura fait attendre. L'heure de partir est venue et nous sommes partis. Je ne puis, en conséquence, savoir ce qui s'est passé là-bas.
– Vous avez vu le roi avant le départ?
– Oui.
– Comment l'avez-vous trouvé?
– Parfait ou infâme, selon qu'il aurait été vrai ou hypocrite.
– Et la fête?
– Aura lieu dans un mois.
– Il s'y est invité?
– Avec une insistance où j'ai reconnu Colbert.
– C'est bien.
– La nuit ne vous a point enlevé vos illusions?
– Sur quoi?
– Sur le concours que vous pouvez m'apporter en cette circonstance.
– Non, j'ai passé la nuit à écrire, et tous les ordres sont donnés.
– La fête coûtera plusieurs millions, ne vous le dissimulez pas.
– J'en ferai six… Faites-en de votre côté deux ou trois à tout hasard.
– Vous êtes un homme miraculeux, mon cher d'Herblay.
Aramis sourit.
– Mais, demanda Fouquet avec un reste d'inquiétude, puisque vous remuez ainsi les millions, pourquoi, il y a quelques jours, n'avez-vous pas donné de votre poche les cinquante mille francs à Baisemeaux?
– Parce que, il y a quelques jours, j'étais pauvre comme Job.
– Et aujourd'hui?
– Aujourd'hui, je suis plus riche que le roi.
– Très bien, fit Fouquet, je me connais en hommes. Je sais que vous êtes incapable de me manquer de parole; je ne veux point vous arracher votre secret: n'en parlons plus.
En ce moment, un grondement sourd se fit entendre qui éclata tout à coup en un violent coup de tonnerre.
– Oh! oh! fit Fouquet, je vous le disais bien.
– Allons, dit Aramis, rejoignons les carrosses.
– Nous n'aurons pas le temps, dit Fouquet, voici la pluie.
En effet, comme si le ciel se fût ouvert, une ondée aux larges gouttes fit tout à coup résonner le dôme de la forêt.
– Oh! dit Aramis, nous avons le temps de regagner les voitures avant que le feuillage soit inondé.
– Mieux vaudrait, dit Fouquet, nous retirer dans quelque grotte.
– Oui, mais où y a-t-il une grotte? demanda Aramis.
– Moi, dit Fouquet avec un sourire, j'en connais une à dix pas d'ici.
Puis s'orientant:
– Oui, dit-il, c'est bien cela.
– Que vous êtes heureux d'avoir si bonne mémoire! dit Aramis en souriant à son tour; mais ne craignez-vous pas que, ne nous voyant pas reparaître, votre cocher ne croie que vous avons pris une route de retour et ne suive les voitures de la Cour?
– Oh! dit Fouquet, il n'y a pas de danger; quand je poste mon cocher et ma voiture à un endroit quelconque, il n'y a qu'un ordre exprès du roi qui puisse les faire déguerpir, et encore; d'ailleurs, il me semble que nous ne sommes pas les seuls qui nous soyons si fort avancés. J'entends des pas et un bruit de voix.
Et, en disant ces mots, Fouquet se retourna, ouvrant de sa canne une masse de feuillage qui lui masquait la route.
Le regard d'Aramis plongea en même temps que le sien par l'ouverture.
– Une femme! dit Aramis.
– Un homme! dit Fouquet.
– La Vallière!
– Le roi!
– Oh! oh! dit Aramis, est-ce que le roi aussi connaîtrait votre caverne? Cela ne m'étonnerait pas; il me paraît en commerce assez bien réglé avec les nymphes de Fontainebleau.
– N'importe, dit Fouquet, gagnons-la toujours; s'il ne la connaît pas, nous verrons ce qu'il devient; s'il la connaît, comme elle a deux ouvertures, tandis qu'il entrera par l'une, nous sortirons par l'autre.
– Est-elle loin? demanda Aramis, voici la pluie qui filtre.
– Nous y sommes.
Fouquet écarta quelques branches, et l'on put apercevoir une excavation de roche que des bruyères, du lierre et une épaisse glandée cachaient entièrement.
Fouquet montra le chemin.
Aramis le suivit.
Au moment d'entrer dans la grotte, Aramis se retourna.
– Oh! oh! dit-il, les voilà qui entrent dans le bois les voilà qui se dirigent de ce côté.
– Eh bien! cédons-leur la place, fit Fouquet souriant et tirant Aramis par son manteau; mais je ne crois pas que le roi connaisse ma grotte.
– En effet, dit Aramis, ils cherchent, mais un arbre plus épais, voilà tout.
Aramis ne se trompait pas, le roi regardait en l'air et non pas autour de lui.
Il tenait le bras de La Vallière sous le sien, il tenait sa main sur la sienne.
La Vallière commençait à glisser sur l'herbe humide.
Louis regarda encore avec plus d'attention autour de lui, et, apercevant un chêne énorme au feuillage touffu, il entraîna La Vallière sous l'abri de ce chêne.
La pauvre enfant regardait autour d'elle; elle semblait à la fois craindre et désirer d'être suivie.