Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre

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Le vicomte de Bragelonne, Tome III. - Dumas Alexandre

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m'étonnerait fort, repartit Anne d'Autriche, que mon rêve fût trompeur; cela m'est arrivé rarement.

      – Alors vous pouvez être prophète.

      – Je vous ai dit, ma fille, que je ne rêve presque jamais; mais c'est une coïncidence si étrange que celle de ce rêve avec mes idées! il entre si bien dans mes combinaisons!

      – Quelles combinaisons?

      – Celle-ci, par exemple, que vous gagnerez les bracelets.

      – Alors ce ne sera pas le roi.

      – Oh! dit Anne d'Autriche, il n'y a pas tellement loin du coeur de Sa Majesté à votre coeur… à vous qui êtes sa soeur chérie… Il n'y a pas, dis-je, tellement loin, qu'on puisse dire que le rêve est menteur. Voyez pour vous les belles chances; comptez-les bien.

      – Je les compte.

      – D'abord, celle du rêve. Si le roi gagne, il est certain qu'il vous donne les bracelets.

      – J'admets cela pour une.

      – Si vous les gagnez, vous les avez.

      – Naturellement; c'est encore admissible.

      – Enfin, si Monsieur les gagnait!

      – Oh! dit Madame en riant aux éclats, il les donnerait au chevalier de Lorraine.

      Anne d'Autriche se mit à rire comme sa bru, c'est-à-dire de si bon coeur, que sa douleur reparut et la fit blêmir au milieu de l'accès d'hilarité.

      – Qu'avez-vous? dit Madame effrayée.

      – Rien, rien, le point de côté… J'ai trop ri… Nous en étions à la quatrième chance.

      – Oh! celle-là, je ne la vois pas.

      – Pardonnez-moi, je ne me suis pas exclue des gagnants, et, si je gagne, vous êtes sûre de moi.

      – Merci! Merci! s'écria Madame.

      – J'espère que vous voilà favorisée, et qu'à présent le rêve commence à prendre les solides contours de la réalité.

      – En vérité, vous me donnez espoir et confiance, dit Madame, et les bracelets ainsi gagnés me seront cent fois plus précieux.

      – À ce soir donc!

      – À ce soir!

      Et les princesses se séparèrent.

      Anne d'Autriche, après avoir quitté sa bru, se dit en examinant les bracelets:

      «Ils sont bien précieux, en effet, puisque par eux, ce soir, je me serai concilié un coeur en même temps que j'aurai deviné un secret.»

      Puis, se tournant vers son alcôve déserte:

      – Est-ce ainsi que tu aurais joué, ma pauvre Chevreuse? dit-elle au vide… Oui, n'est-ce pas?

      Et, comme un parfum d'autrefois, toute sa jeunesse toute sa folle imagination, tout le bonheur lui revinrent avec l'écho de cette invocation.

      Chapitre CXXXIX – La loterie

      Le soir, à huit heures, tout le monde était rassemblé chez la reine mère.

      Anne d'Autriche, en grand habit de cérémonie, belle des restes de sa beauté et de toutes les ressources que la coquetterie peut mettre en des mains habiles, dissimulait, ou plutôt essayait de dissimuler à cette foule de jeunes courtisans qui l'entouraient et qui l'admiraient encore, grâce aux combinaisons que nous avons indiquées dans le chapitre précédent, les ravages déjà visibles de cette souffrance à laquelle elle devait succomber quelques années plus tard.

      Madame, presque aussi coquette qu'Anne d'Autriche, et la reine, simple et naturelle, comme toujours, étaient assises à ses côtés et se disputaient ses bonnes grâces.

      Les dames d'honneur, réunies en corps d'armée pour résister avec plus de force, et, par conséquent, avec plus de succès aux malicieux propos que les jeunes gens tenaient sur elles, se prêtaient, comme fait un bataillon carré, le secours mutuel d'une bonne garde et d'une bonne riposte.

      Montalais, savante dans cette guerre de tirailleur, protégeait toute la ligne par le feu roulant qu'elle dirigeait sur l'ennemi.

      De Saint-Aignan, au désespoir de la rigueur, insolente à force d'être obstinée, de Mlle de Tonnay-Charente, essayait de lui tourner le dos; mais, vaincu par l'éclat irrésistible des deux grands yeux de la belle, il revenait à chaque instant consacrer sa défaite par de nouvelles soumissions, auxquelles Mlle de Tonnay- Charente ne manquait pas de riposter par de nouvelles impertinences.

      De Saint-Aignan ne savait à quel saint se vouer.

      La Vallière avait non pas une cour, mais des commencements de courtisans.

      De Saint-Aignan, espérant par cette manoeuvre attirer les yeux d'Athénaïs de son côté, était venu saluer la jeune fille avec un respect qui, à quelques esprits retardataires avait fait croire à la volonté de balancer Athénaïs par Louise.

      Mais ceux-là, c'étaient ceux qui n'avaient ni vu ni entendu raconter la scène de la pluie. Seulement, comme la majorité était déjà informée, et bien informée, sa faveur déclarée avait attiré à elle les plus habiles comme les plus sots de la Cour.

      Les premiers, parce qu'ils disaient, les uns, comme Montaigne:

      «Que sais je?»

      Les autres, parce qu'ils disaient comme Rabelais: «Peut-être?»

      Le plus grand nombre avait suivi ceux-là, comme dans les chasses cinq ou six limiers habiles suivent seuls la fumée de la bête, tandis que tout le reste de la meute ne suit que la fumée des limiers.

      Mesdames et la reine examinaient les toilettes de leurs filles et de leurs dames d'honneur, ainsi que celles des autres dames; et elles daignaient oublier qu'elles étaient reines pour se souvenir qu'elles étaient femmes.

      C'est-à-dire qu'elles déchiraient impitoyablement tout porte-jupe, comme eût dit Molière.

      Les regards des deux princesses tombèrent simultanément sur La Vallière qui, ainsi que nous l'avons dit était fort entourée en ce moment. Madame fut sans pitié.

      – En vérité, dit-elle en se penchant vers la reine mère, si le sort était juste, il favoriserait cette pauvre petite La Vallière.

      – Ce n'est pas possible, dit la reine mère en souriant.

      – Comment cela?

      – Il n'y a que deux cents billets, de sorte que tout le monde n'a pu être porté sur la liste.

      – Elle n'y est pas alors?

      – Non.

      – Quel dommage! Elle eût pu les gagner et les vendre.

      – Les vendre? s'écria la reine.

      – Oui, cela

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