Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre

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Le vicomte de Bragelonne, Tome III. - Dumas Alexandre

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siège de La Rochelle quand j'y étais, quand tu y étais, quand nous y étions enfin, il y avait au siège de La Rochelle un Arabe qu'on renommait pour sa façon de pointer les couleuvrines. C'était un garçon d'esprit, quoiqu'il fût d'une singulière couleur, couleur de tes olives. Eh bien! cet Arabe, quand il avait mangé ou travaillé, se couchait comme je suis couché en ce moment, et fumait je ne sais quelles feuilles magiques dans un grand tube à bout d'ambre; et, si quelque chef, venant à passer, lui reprochait de toujours dormir, il répondait tranquillement: «Mieux vaut être assis que debout, couché qu'assis, mort que couché.»

      – C'était un Arabe lugubre et par sa couleur et par ses sentences, dit Planchet. Je me le rappelle parfaitement. Il coupait les têtes des protestants avec beaucoup de satisfaction.

      – Précisément, et il les embaumait quand elles en valaient la peine.

      – Oui, et quand il travaillait à cet embaumement avec toutes ses herbes et toutes ses grandes plantes, il avait l'air d'un vannier qui fait des corbeilles.

      – Oui, Planchet, oui, c'est bien cela.

      – Oh! moi aussi, j'ai de la mémoire.

      – Je n'en doute pas; mais que dis-tu de son raisonnement?

      – Monsieur, je le trouve parfait d'une part, mais stupide de l'autre.

      – Devise, Planchet, devise.

      – Eh bien! monsieur, en effet, mieux vaut être assis que debout, c'est constant surtout lorsqu'on est fatigué. Dans certaines circonstances – et Planchet sourit d'un air coquin – mieux vaut être couché qu'assis. Mais, quant à la dernière proposition: mieux vaut être mort que couché, je déclare que je la trouve absurde; que ma préférence incontestable est pour le lit, et que, si vous n'êtes point de mon avis, c'est que, comme j'ai l'honneur de vous le dire, vous vous ennuyez à crever.

      – Planchet, tu connais M. La Fontaine?

      – Le pharmacien du coin de la rue Saint-Médéric?

      – Non, le fabuliste.

      – Ah! maître corbeau?

      – Justement; eh bien! je suis comme son lièvre.

      – Il a donc un lièvre aussi?

      – Il a toutes sortes d'animaux.

      – Eh bien! que fait-il, son lièvre?

      – Il songe.

      – Ah! ah!

      – Planchet, je suis comme le lièvre de M. La Fontaine, je songe.

      – Vous songez? fit Planchet inquiet.

      – Oui; ton logis, Planchet, est assez triste pour pousser à la méditation; tu conviendras de cela, je l'espère.

      – Cependant, monsieur, vous avez vue sur la rue.

      – Pardieu! voilà qui est récréatif, hein?

      – Il n'en est pas moins vrai, monsieur, que, si vous logiez sur le derrière, vous vous ennuieriez… Non, je veux dire que vous songeriez encore plus.

      – Ma foi! je ne sais pas, Planchet.

      – Encore, fit l'épicier, si vos songeries étaient du genre de celle qui vous a conduit à la restauration du roi Charles II.

      Et Planchet fit entendre un petit rire qui n'était pas sans signification.

      – Ah! Planchet, mon ami, dit d'Artagnan, vous devenez ambitieux.

      – Est-ce qu'il n'y aurait pas quelque autre roi à restaurer, monsieur d'Artagnan, quelque autre Monck à mettre en boîte?

      – Non, mon cher Planchet, tous les rois sont sur leurs trônes… moins bien peut-être que je ne suis sur cette chaise; mais enfin ils y sont.

      Et d'Artagnan poussa un soupir.

      – Monsieur d'Artagnan, fit Planchet, vous me faites de la peine.

      – Tu es bien bon, Planchet.

      – J'ai un soupçon, Dieu me pardonne.

      – Lequel?

      – Monsieur d'Artagnan, vous maigrissez.

      – Oh! fit d'Artagnan frappant sur son thorax, qui résonna comme une cuirasse vide, c'est impossible, Planchet.

      – Ah! voyez-vous, dit Planchet avec effusion, c'est que si vous maigrissiez chez moi…

      – Eh bien!

      – Eh bien! je ferais un malheur.

      – Allons, bon!

      – Oui.

      – Que ferais-tu? Voyons.

      – Je trouverais celui qui cause votre chagrin.

      – Voilà que j'ai un chagrin, maintenant.

      – Oui, vous en avez un.

      – Non, Planchet, non.

      – Je vous dis que si, moi; vous avez un chagrin, et vous maigrissez.

      – Je maigris, tu es sûr?

      – À vue d'oeil… Malaga! si vous maigrissez encore, je prends ma rapière, et je m'en vais tout droit couper la gorge à M. d'Herblay.

      – Hein! fit d'Artagnan en bondissant sur sa chaise, que dites- vous là, Planchet? et que fait le nom de M. d'Herblay dans votre épicerie?

      – Bon! bon! fâchez-vous si vous voulez, injuriez-moi si vous voulez; mais, morbleu! je sais ce que je sais.

      D'Artagnan s'était, pendant cette seconde sortie de Planchet, placé de manière à ne pas perdre un seul de ses regards, c'est-à- dire qu'il s'était assis, les deux mains appuyées sur ses deux genoux, le cou tendu vers le digne épicier.

      – Voyons, explique-toi, dit-il, et dis-moi comment tu as pu proférer un blasphème de cette force. M. d'Herblay, ton ancien chef, mon ami, un homme d'Église, un mousquetaire devenu évêque, tu lèverais l'épée sur lui, Planchet?

      – Je lèverais l'épée sur mon père quand je vous vois dans ces états-là.

      – M. d'Herblay, un gentilhomme!

      – Cela m'est bien égal, à moi, qu'il soit gentilhomme. Il vous fait rêver noir, voilà ce que je sais. Et, de rêver noir, on maigrit. Malaga! Je ne veux pas que M. d'Artagnan sorte de chez moi plus maigre qu'il n'y est entré.

      – Comment me fait-il rêver noir? Voyons, explique, explique.

      – Voilà trois nuits que vous avez le cauchemar.

      – Moi?

      – Oui, vous, et que, dans votre cauchemar, vous répétez: «Aramis! sournois d'Aramis!»

      – Ah!

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