Les compagnons de Jéhu. Dumas Alexandre

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Les compagnons de Jéhu - Dumas Alexandre

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le village, de détruire les buttes, de faire couper la tête aux hommes, de mettre les têtes dans des sacs, et d'amener au Caire le reste de la population, c'est-à-dire les femmes et les enfants.

      Croisier exécuta ponctuellement l'ordre; on amena au Caire toute la population de femmes et d'enfants que l'on put prendre, et, parmi cette population, un Arabe vivant, lié et garrotté sur son cheval.

      – Pourquoi cet homme vivant? demanda Bonaparte; j'avais dit de trancher la tête à tout ce qui était en état de porter les armes.

      – Général, dit Croisier, qui, lui aussi, baragouinait quelques mots d'arabe, au moment où j'allais faire couper la tête de cet homme, j'ai cru comprendre qu'il offrait d'échanger sa vie contre celle d'un prisonnier. J'ai pensé que nous aurions toujours le temps de lui couper la tête, et je l'ai amené. Si je me suis trompé, la cérémonie qui aurait dû avoir lieu là-bas se fera ici même; ce qui est différé n'est pas perdu.

      On fit venir l'interprète Ventura et l'on interrogea le Bédouin.

      Le Bédouin répondit qu'il avait sauvé la vie à un officier français, grièvement blessé à la porte de la Victoire; que cet officier, qui parlait un peu larabe, s'était dit aide de camp du général Bonaparte; qu'il lavait envoyé à son frère, qui exerçait la profession de médecin dans la tribu voisine; que l'officier était prisonnier dans cette tribu, et que, si on voulait lui promettre la vie, il écrirait à son frère de renvoyer le prisonnier au Caire.

      C'était peut-être une fable pour gagner du temps, mais c'était peut-être aussi la vérité; on ne risquait rien d'attendre.

      On plaça lArabe sous bonne garde, on lui donna un thaleb qui écrivit sous sa dictée, il scella la lettre de son cachet, et un Arabe du Caire partit pour mener la négociation.

      Il y avait, si le négociateur réussissait, la vie pour le Bédouin, cinq cents piastres pour le négociateur.

      Trois jours après, le négociateur revint ramenant Roland.

      Bonaparte avait espéré ce retour, mais il n'y avait pas cru. Ce coeur de bronze, qui avait paru insensible à la douleur, se fondit dans la joie. Il ouvrit ses bras à Roland comme au jour où il lavait retrouvé, et deux larmes, deux perles – les larmes de Bonaparte étaient rares – coulèrent de ses yeux.

      Quant à Roland, chose étrange! il resta sombre au milieu de la joie qu'occasionnait son retour, confirma le récit de lArabe, appuya sa mise en liberté, mais refusa de donner aucun détail personnel sur la façon dont il avait été pris par les bédouins et traité par le thaleb: quant à Sulkowsky, il avait été tué et décapité sous ses yeux; il n'y fallait donc plus songer.

      Seulement, Roland reprit son service d'habitude, et l'on remarqua que ce qui, jusque-là, avait été du courage chez lui, était devenu de la témérité; que ce qui avait été un besoin de gloire, semblait être devenu un besoin de mort.

      Dun autre côté, comme il arrive à ceux qui bravent le fer et le feu, le fer et le feu s'écartèrent miraculeusement de lui; devant, derrière Roland, à ses côtés, les hommes tombaient: lui restait debout, invulnérable comme le démon de la guerre.

      Lors de la campagne de Syrie, on envoya deux parlementaires sommer Djezzar-Pacha de rendre Saint-Jean d'Acre; les deux parlementaires ne reparurent plus: ils avaient eu la tête tranchée.

      On dut en envoyer un troisième: Roland se présenta, insista pour y aller, en obtint, à force d'instances, la permission du général en chef, et revint.

      Il fut de chacun des dix-neuf assauts qu'on livra à la forteresse; à chaque assaut on le vit parvenir sur la brèche: il fut un des dix hommes qui pénétrèrent dans la tour Maudite; neuf y restèrent, lui revint sans une égratignure.

      Pendant la retraite, Bonaparte ordonna à ce qui restait de cavaliers dans l'armée de donner leurs chevaux aux blessés et aux malades; c'était à qui ne donnerait pas son cheval aux pestiférés, de peur de la contagion.

      Roland donna le sien de préférence à ceux-ci: trois tombèrent de son cheval à terre; il remonta son cheval après eux, et arriva sain et sauf au Caire.

      À Aboukir, il se jeta au milieu de la mêlée, pénétra jusqu'au pacha en forçant la ceinture de noirs qui l'entouraient, l'arrêta par la barbe, et essuya le feu de ses deux pistolets, dont l'un brûla l'amorce seulement; la balle de l'autre passa sous son bras et alla tuer un guide derrière lui.

      Quand Bonaparte prit la résolution de revenir en France, Roland fut le premier à qui le général en chef annonça ce retour. Tout autre eût bondi de joie; lui resta triste et sombre, disant:

      – J'aurais mieux aimé que nous restassions ici, général; j'avais plus de chance d'y mourir.

      Cependant, c'eût été une ingratitude à lui de ne pas suivre le général en chef; il le suivit.

      Pendant toute la traversée, il resta morne et impassible. Dans les mers de Corse, on aperçut la flotte anglaise; là seulement, il sembla se reprendre à la vie. Bonaparte avait déclaré à l'amiral Gantheaume que l'on combattrait jusqu'à la mort, et avait donné lordre de faire sauter la frégate plutôt que d'amener le pavillon.

      On passa sans être vu au milieu de la flotte, et, le 8 octobre 1799, on débarqua à Fréjus.

      Ce fut à qui toucherait le premier la terre de France; Roland descendit le dernier.

      Le général en chef semblait ne faire attention à aucun de ces

      détails, pas un ne lui échappait; il fit partir Eugène, Berthier,

      Bourrienne, ses aides de camp, sa suite, par la route de Gap et de

      Draguignan.

      Lui prit incognito la route d'Aix, afin de juger par ses yeux de l'état du Midi, ne gardant avec lui que Roland.

      Dans l'espoir qu'à la vue de la famille, la vie rentrerait dans ce tueur brisé d'une atteinte inconnue, il lui avait annoncé, en arrivant à Aix, qu'il le laisserait à Lyon, et lui donnait trois semaines de congé à titre de gratification pour lui et de surprise à sa mère et à sa soeur.

      Roland avait répondu:

      – Merci, général; ma soeur et ma mère seront bien heureuses de me revoir.

      Autrefois Roland aurait répondu: «Merci, général, je serai bien heureux de revoir ma mère et ma soeur.»

      Nous avons assisté à ce qui s'était passé à Avignon; nous avons vu avec quel mépris profond du danger, avec quel dégoût amer de la vie Roland avait marché à un duel terrible. Nous avons entendu la raison qu'il avait donnée à sir John de son insouciance en face de la mort: la raison était-elle bonne ou mauvaise, vraie ou fausse? Sir John dut se contenter de celle-là; évidemment, Roland n'était point disposé à en donner d'autre.

      Et maintenant, nous lavons dit, tous deux dormaient ou faisaient semblant de dormir, rapidement emportés par le galop de deux chevaux de poste sur la route d'Avignon à Orange.

      VI – MORGAN

      Il faut que nos lecteurs nous permettent d'abandonner un instant Roland et sir John, qui, grâce à la disposition physique et morale dans laquelle nous les avons laissés, ne doivent leur inspirer aucune inquiétude, et de nous occuper sérieusement d'un personnage qui n'a fait qu'apparaître dans cette

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