La San-Felice, Tome 03. Dumas Alexandre
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– Comment cela?
– Votre Majesté a-t-elle eu la bonté de faire inviter, pour ce soir à Caserte, toutes les dames de la cour dont les noms de baptême commencent par un E, et qui ont eu l'honneur de lui faire cortége, lorsqu'elle a été au-devant de l'amiral Nelson?
– Oui, elles sont sept.
– Lesquelles, s'il vous plaît, madame?
– La princesse de Cariati, qui s'appelle Emilia; la comtesse de San-Marco, qui s'appelle Eleonora; la marquise San-Clemente, qui s'appelle Elena; la duchesse de Termoli, qui s'appelle Elisabetta; la duchesse de Tursi, qui s'appelle Elisa; la marquise d'Altavilla, qui s'appelle Eufrasia, et la comtesse de Policastro, qui s'appelle Eugenia. Je ne compte point lady Hamilton, qui s'appelle Emma; elle ne saurait être pour rien dans une pareille affaire. Donc, vous le voyez, nous avons sept personnes compromises.
– Oui; mais, sur ces sept personnes, répliqua Acton en riant, il y en a deux qui ne sont plus d'âge à signer des lettres par de simples initiales.
– C'est juste! Restent cinq. Après?
– Après, c'est bien simple, madame, et je ne sais pas même comment Votre Majesté se donne la peine d'écouter le reste de mon plan.
– Que voulez-vous, mon cher Acton! il y a des jours où je suis vraiment stupide, et il paraît que je suis dans un de ces jours-là.
– Votre Majesté a bonne envie de me dire à moi la grosse injure qu'elle vient de se dire à elle-même.
– Oui; car vous m'impatientez avec toutes vos circonlocutions.
– Hélas! madame, on n'est point diplomate pour rien.
– Achevons.
– Ce sera fait en deux mots.
– Dites-les alors, ces deux mots! fit la reine impatientée.
– Que Votre Majesté invente un moyen de mettre une plume aux mains de chacune de ces dames, et, en comparant les écritures…
– Vous avez raison, dit la reine en posant sa main sur celle d'Acton; la maîtresse connue, l'amant le sera bientôt. Rentrons.
Et elle se leva.
– Avec la permission de Votre Majesté, je lui demanderai encore dix minutes d'audience.
– Pour choses importantes?
– Pour affaires de la plus haute gravité.
– Dites, fit la reine en se rasseyant.
– La nuit où Votre Majesté me remit cette lettre, elle se rappelle avoir vu, à trois heures du matin, la chambre du roi éclairée?
– Oui, puisque je lui écrivis…
– Votre Majesté sait avec qui le roi s'entretenait si tard?
– Avec le cardinal Ruffo, mon huissier me l'a dit.
– Eh bien, à la suite de sa conversation avec le cardinal Ruffo, le roi a fait partir un courrier.
– J'ai, en effet, entendu le galop d'un cheval qui passait sous les voûtes. Quel était ce courrier?
– Son homme de confiance, Ferrari.
– D'où savez-vous cela?
– Mon palefrenier anglais Tom couche dans les écuries; il a vu, à trois heures du matin, Ferrari, en costume de voyage, entrer dans l'écurie, seller un cheval lui-même et partir. Le lendemain, en me tenant l'étrier, il m'a dit cela.
– Eh bien?
– Eh bien, madame, je me suis demandé à qui, après une conversation avec le cardinal, Sa Majesté pouvait envoyer un courrier, et j'ai pensé que ce n'était qu'à son neveu l'empereur d'Autriche.
– Le roi aurait fait cela sans m'en prévenir?
– Pas le roi! le cardinal, répondit Acton.
– Oh! oh! fit la reine Caroline en fronçant le sourcil, je ne suis pas Anne d'Autriche et M. Ruffo n'est point Richelieu; qu'il prenne garde!
– J'ai pensé que la chose était sérieuse.
– Êtes-vous sûr que Ferrari allait à Vienne?
– J'avais quelques doutes à ce sujet; mais ils ont été bientôt dissipés. J'ai envoyé Tom sur la route pour savoir si Ferrari avait pris la poste.
– Eh bien?
– Il l'a prise à Capoue, où il a laissé son cheval, en disant au maître de poste qu'il en eût bien soin, que c'était un cheval des écuries du roi, et qu'il le reprendrait à son retour, c'est-à-dire dans la nuit du 3 octobre, ou dans la matinée du 4.
– Onze ou douze jours.
– Juste le temps qu'il lui faut pour aller à Vienne et en revenir.
– Et, à la suite de toutes ces découvertes, qu'avez-vous résolu?
– D'en prévenir Votre Majesté d'abord, et c'est ce que je viens de faire; ensuite il me semble, pour nos plans de guerre, car Votre Majesté est toujours résolue à la guerre?..
– Toujours. Une coalition se prépare qui va chasser les Français de l'Italie; les Français chassés, mon neveu l'empereur d'Autriche va mettre la main non-seulement sur les provinces qu'il possédait avant le traité de Campo-Formio, mais encore sur les Romagnes. Dans ces sortes de guerres, chacun garde ce qu'il a pris, ou n'en rend que des portions; emparons-nous donc seuls, et avant personne, des États romains, et, en rendant au pape Rome, que nous ne pouvons point garder, eh bien, nous ferons nos conditions pour le reste.
– Alors, la reine étant toujours résolue à la guerre, il est important qu'elle sache ce que le roi, moins résolu à la guerre que Votre Majesté, a pu, par le conseil du cardinal Ruffo, écrire à l'empereur d'Autriche et ce que l'empereur d'Autriche lui a répondu.
– Vous savez une chose, général?
– Laquelle?
– C'est qu'il ne faut attendre aucune complaisance de Ferrari; c'est un homme entièrement au roi et que l'on assure incorruptible.
– Bon! Philippe, père d'Alexandre, disait qu'il n'y avait point de forteresse imprenable, tant qu'y pouvait entrer un mulet chargé d'or; nous verrons à combien le courrier Ferrari estimera son incorruptibilité.
– Et, si Ferrari refuse, quelle que soit la somme offerte; s'il dit au roi que la reine et son ministre ont tenté de le séduire, que pensera le roi, qui devient de plus en plus défiant?
– Votre Majesté sait qu'à mon avis le roi l'a toujours été, défiant; mais je crois qu'il y a un moyen qui met hors de cause Votre Majesté et moi.
– Lequel?
– Celui