Les enfants des bois. Reid Mayne

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Les enfants des bois - Reid Mayne

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avait déjà fait quatre fois ce chemin. Quoique l'obscurité l'empêchât d'en voir la superficie, il remarquait de loin en loin des buissons qui lui étaient connus, et dont la vue le confirmait dans l'opinion qu'il était dans la bonne voie.

      Surpris au dernier point, il aurait examiné le sol avec attention, s'il n'avait eu hâte d'arriver à la source. L'eau des gourdes était épuisée depuis longtemps; hommes et chevaux souffraient encore une fois de la soif.

      D'ailleurs, Von Bloom n'était pas sans inquiétude sur le sort de ses enfants, dont il était séparé depuis un jour et demi. Plus d'un changement pouvait être survenu pendant l'intervalle. Pourquoi les avoir laissés seuls, exposés à des dangers imprévus? Il aurait mieux valu abandonner le bétail à sa malheureuse destinée.

      Telles étaient les tardives réflexions du porte-drapeau. Un pressentiment lui disait qu'il était arrivé quelque malheur.

      Les voyageurs s'avançaient en silence; ce fut Hendrick qui entama de nouveau la conversation en disant:

      – Je suis d'avis que nous nous sommes égarés.

      – Rassure-toi, répondit Von Bloom; nous suivons la bonne direction.

      – Baas, dit à son tour le Bosjesman, je ne m'y reconnais plus.

      – Va toujours, reprit le fermier; nous nous rapprochons de notre camp.

      Cependant, un mille plus loin, il avoua qu'il commençait à sentir le premier trouble de l'incertitude. Au bout d'un autre mille, il déclara qu'il était perdu.

      Ce qu'il y avait de mieux à faire en pareil cas, c'était de s'en rapporter à la sagacité instinctive des chevaux; mais ils avaient faim, et quand on les abandonnait à eux-mêmes, ils se ruaient sur les mimosas. On était obligé de les presser à coups de fouet et d'éperons, de sorte qu'il était difficile de conserver à leur marche quelque régularité.

      Nos voyageurs calculaient qu'ils devaient être près de leur camp; mais n'en voyant pas briller le feu, ils résolurent de faire halte. Ils attachèrent leurs chevaux à des buissons, s'enveloppèrent dans leur kaross et se couchèrent. Hendrick et Swartboy furent bientôt endormis. Von Bloom était assez fatigué pour les imiter; mais les angoisses de son cœur paternel l'empêchèrent de fermer les yeux.

      Il attendit l'aurore avec impatience, et dès les premières clartés promena ses regards sur les environs. Ils s'étaient par hasard arrêtés sur une éminence d'où l'on dominait une grande étendue de pays; mais il n'eut pas la peine de faire le tour de ce panorama. Du premier coup d'œil il aperçut la tente blanche de sa charrette.

      Le cri de joie qu'il poussa réveilla les dormeurs. Ils se levèrent aussitôt et partagèrent la satisfaction de Von Bloom; mais peu à peu elle fit place à la surprise. Etait-ce bien leur charette? Etait-ce bien la place où il l'avait laissée?

      La vallée où ils avaient campé était de forme oblongue, resserrée entre deux pentes douces, et arrosée par une source qui alimentait un étang. Ils voyaient l'eau étinceler à la lumière du soleil; il leur semblait reconnaître les monticules qui bordaient le vallon; mais ils cherchaient vainement le verdoyant tapis dont ils l'avaient vu couvert. Le sol qu'ils avaient sous les yeux était nu. Les buissons qui croissaient çà et là n'avaient point de feuilles et les arbres seuls conservaient un peu de verdure. Le paysage n'offrait qu'une vague analogie avec celui qui environnait leur camp.

      – Cette charrette doit appartenir à d'autres voyageurs, se dirent Hendrick et Von Bloom.

      – Attendez! s'écria Swartboy en se baissant brusquement.

      Le Bosjesman étudia le terrain, sur lequel il appela l'attention de ses compagnons. Ils y remarquèrent avec stupéfaction les traces de plusieurs milliers de sabots. La terre avait l'aspect d'un vaste parc à moutons; si vaste qu'elle était foulée de toutes parts à perte de vue.

      – Qu'est-ce que cela signifie? demanda Hendrik.

      – Je n'y comprends rien, dit Von Bloom.

      – Je vais vous l'expliquer, dit Swartboy. C'est bien notre charrette dans la même vallée, au bord de la même source, mais seulement il y a eu un trek-boken.

      – Un trek-boken! s'écrièrent Von Bloom et Hendrik.

      – Oui, baas, et il a été très-grand. Voyez plutôt les traces des antilopes!

      Von Bloom se rendit compte alors de la nudité du pays, de l'absence des feuilles dans les buissons et des milliers d'empreintes dont le sol était couvert. Un trek-boken avait eu lieu, c'est-à-dire que des troupeaux d'antilopes springboks avaient traversé la contrée dans une de leurs émigrations.

      Les alarmes de Von Bloom se dissipèrent en partie; cependant il s'empressa de débrider son cheval et de descendre dans la vallée. En approchant, il vit autour de la charrette les deux chevaux et la vache attachés aux roues de la charrette, sous laquelle s'allongeait une masse informe. Le feu du camp brûlait derrière le véhicule. Le cœur palpitant, les yeux fixes, les deux voyageurs s'avancèrent précipitamment, sans que personne vînt à leur rencontre. Leur souffrance était au comble, lorsque les deux chevaux attachés à la charette hennirent avec bruit. La masse noire qui était dessous s'agita et se dressa brusquement: c'était Totty. Les rideaux qui fermaient la tente s'écartèrent pour livrer passage à trois jeunes têtes. Peu de temps après le petit Jan et Gertrude sautaient dans les bras de leur père, tandis que Hans et Hendrik, Swartboy et Totty échangeaient de joyeuses félicitations.

      CHAPITRE XIV

      LE TREK-BOKEN

      Ceux qui étaient restés au camp avaient eu leurs aventures. Leur récit fut de nature à troubler la satisfaction générale, car ils révélèrent un fâcheux événement. Les moutons et les chèvres avaient été entraînés de la manière la plus singulière, et on avait peu d'espoir de les revoir jamais. Voici quel fut le rapport de Hans:

      «Le jour de votre départ, il ne se passa rien de particulier. Dans l'après-midi, je travaillai à couper des faisceaux d'épines pour faire un kraal; Totty m'aida à les ranger, tandis que Jan et Gertrude surveillaient le troupeau. Fatigué d'une longue course et trouvant de l'herbe à discrétion, il ne s'écarta pas de la vallée. Avec le concours de Totty je parvins à établir le kraal que vous voyez. On y mit les moutons, les chèvres et la vache, qu'on eut soin de traire. Nous étions là, et nous dormions tous jusqu'au matin sans nous déranger. Les chacals et les hyènes vinrent rôder autour de nous, mais il leur fut impossible de franchir la haie épineuse. Au point du jour nous déjeunâmes avec du lait et les restes de la veille. Les moutons, les chèvres, la vache et les deux chevaux furent cachés dans le vallon, sous la surveillance de Totty. J'enjoignis à Jan et à Gertrude de ne pas s'écarter de la charrette, et prenant mon fusil, je me mis en devoir d'aller chercher de quoi dîner. Je ne me souciais pas de tuer encore un mouton.

      «Je ne montai point à cheval. Il me semblait avoir aperçu des antilopes dans la plaine, et il était plus facile de s'en approcher à pied. Quand je fus sorti de la vallée, j'eus devant les yeux un spectacle qui m'étonna, je puis vous l'assurer. Du côté de l'est, toute la plaine disparaissait sous une multitude innombrable d'animaux. A leurs flancs d'un jaune éclatant, aux poils blancs de leur croupe, je reconnus des antilopes springboks. Elles étaient dans une vive agitation. Tandis que les unes broutaient en marchant, d'autres faisaient en l'air des bonds prodigieux et retombaient sur le dos de leurs camarades. Jamais je n'avais rien vu de plus bizarre et de plus agréable à la fois. Je jouissais paisiblement de ce spectacle, car je savais que ces petites gazelles étaient parfaitement inoffensives. J'allais m'avancer

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