Œuvres complètes de Gustave Flaubert, tome I (of 8). Gustave Flaubert

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Œuvres complètes de Gustave Flaubert, tome I (of 8) - Gustave Flaubert

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la main.

      Emma, d'autre part, savait conduire sa maison. Elle envoyait aux malades le compte des visites, dans des lettres bien tournées qui ne sentaient pas la facture. Quand ils avaient, le dimanche, quelque voisin à dîner, elle trouvait moyen d'offrir un plat coquet, s'entendait à poser sur des feuilles de vigne les pyramides de reines-Claude, servait renversés les pots de confitures dans une assiette, et même elle parlait d'acheter des rince-bouches pour le dessert. Il rejaillissait de tout cela beaucoup de considération sur Bovary.

      Charles finissait par s'estimer davantage de ce qu'il possédait une pareille femme. Il montrait avec orgueil, dans la salle, deux petits croquis d'elle à la mine de plomb, qu'il avait fait encadrer de cadres très larges et suspendus contre le papier de la muraille à de longs cordons verts. Au sortir de la messe, on le voyait sur sa porte avec de belles pantoufles en tapisserie.

      Il rentrait tard, à dix heures, minuit quelquefois. Alors il demandait à manger; et, comme la bonne était couchée, c'était Emma qui le servait. Il retirait sa redingote pour dîner plus à son aise. Il disait l'un après l'autre tous les gens qu'il avait rencontrés, les villages où il avait été, les ordonnances qu'il avait écrites; et, satisfait de lui-même, il mangeait le reste du miroton, épluchait son fromage, croquait une pomme, vidait sa carafe, puis s'allait mettre au lit, se couchait sur le dos et ronflait.

      Comme il avait eu longtemps l'habitude du bonnet de coton, son foulard ne lui tenait pas aux oreilles; aussi ses cheveux, le matin, étaient rabattus pêle-mêle sur sa figure et blanchis par le duvet de son oreiller, dont les cordons se dénouaient pendant la nuit. Il portait toujours de fortes bottes, qui avaient au cou-de-pied deux plis épais obliquant vers les chevilles, tandis que le reste de l'empeigne se continuait en ligne droite, tendu comme par un pied de bois. Il disait que c'était bien assez bon pour la campagne.

      Sa mère l'approuvait en cette économie; car elle le venait voir comme autrefois, lorsqu'il y avait eu chez elle quelque bourrasque un peu violente; et cependant Mme Bovary mère semblait prévenue contre sa bru. Elle lui trouvait un genre trop relevé pour leur position de fortune; le bois, le sucre et la chandelle filaient comme dans une grande maison, et la quantité de braise qui se brûlait à la cuisine aurait suffi pour vingt-cinq plats! Elle rangeait son linge dans les armoires et lui apprenait à surveiller le boucher quand il apportait la viande. Emma recevait ces leçons, Mme Bovary les prodiguait; et les mots de ma fille et de ma mère s'échangeaient tout le long du jour, accompagnés d'un petit frémissement des lèvres, chacune lançant des paroles douces d'une voix tremblante de colère.

      Du temps de Mme Dubuc, la vieille femme se sentait encore la préférée; mais, à présent, l'amour de Charles pour Emma lui semblait une désertion de sa tendresse, un envahissement sur ce qui lui appartenait; et elle observait le bonheur de son fils avec un silence triste, comme quelqu'un de ruiné qui regarde à travers les carreaux des gens attablés dans son ancienne maison. Elle lui rappelait, en manière de souvenirs, ses peines et ses sacrifices, et, les comparant aux négligences d'Emma, concluait qu'il n'était point raisonnable de l'adorer d'une façon si exclusive.

      Charles ne savait que répondre; il respectait sa mère, et il aimait infiniment sa femme; il considérait le jugement de l'une comme infaillible, et cependant il trouvait l'autre irréprochable. Quand Mme Bovary était partie, il essayait de hasarder timidement, et dans les mêmes termes, une ou deux des plus anodines observations qu'il avait entendu faire à sa maman; Emma, lui prouvant d'un mot qu'il se trompait, le renvoyait à ses malades.

      Cependant, d'après des théories qu'elle croyait bonnes, elle voulut se donner de l'amour. Au clair de lune, dans le jardin, elle lui récitait tout ce qu'elle savait par cœur de rimes passionnées, et lui chantait en soupirant des adagios mélancoliques; mais elle se trouvait ensuite aussi calme qu'auparavant, et Charles n'en paraissait ni plus amoureux ni plus remué.

      Quand elle eut ainsi un peu battu le briquet sur son cœur, sans en faire jaillir une étincelle, incapable d'ailleurs de comprendre ce qu'elle n'éprouvait pas, comme de croire à tout ce qui ne se manifestait point par des formes convenues, elle se persuada sans peine que la passion de Charles n'avait plus rien d'exorbitant. Ses expansions étaient devenues régulières; il l'embrassait à de certaines heures. C'était une habitude parmi les autres, et comme un dessert prévu d'avance, après la monotonie du dîner.

      Un garde-chasse, guéri par Monsieur d'une fluxion de poitrine, avait donné à Madame une petite levrette d'Italie; elle la prenait pour se promener, car elle sortait quelquefois, afin d'être seule un instant et de n'avoir plus sous les yeux l'éternel jardin et la route poudreuse.

      Elle allait jusqu'à la hêtrée de Banneville, près du pavillon abandonné qui fait l'angle du mur, du côté des champs. Il y a dans le saut-de-loup, parmi les herbes, de longs roseaux à feuilles coupantes.

      Elle commençait par regarder tout à l'entour, pour voir si rien n'avait changé depuis la dernière fois qu'elle était venue. Elle retrouvait aux mêmes places les digitales et les ravenelles, les bouquets d'orties entourant les gros cailloux, et les plaques de lichens le long des trois fenêtres, dont les volets toujours clos s'égrenaient de pourriture, sur leurs barres de fer rouillées. Sa pensée, sans but d'abord, vagabondait au hasard, comme sa levrette qui faisait des cercles dans la campagne, jappait après les papillons jaunes, donnait la chasse aux musaraignes, ou mordillait les coquelicots sur le bord d'une pièce de blé. Puis ses idées peu à peu se fixaient; et assise sur le gazon, qu'elle fouillait à petits coups avec le bout de son ombrelle, Emma se répétait: «Pourquoi, mon Dieu! me suis-je mariée?» Elle se demandait s'il n'y aurait pas eu moyen, par d'autres combinaisons du hasard, de rencontrer un autre homme; et elle cherchait à imaginer quels eussent été ces événements non survenus, cette vie différente, ce mari qu'elle ne connaissait pas. Tous, en effet, ne ressemblaient pas à celui-là. Il aurait pu être beau, spirituel, distingué, attirant, tels qu'ils étaient sans doute, ceux qu'avaient épousés ses anciennes camarades du couvent. Que faisaient-elles maintenant? A la ville, avec le bruit des rues, le bourdonnement des théâtres et les clartés du bal, elles avaient des existences où le cœur se dilate, où les sens s'épanouissent. Mais elle, sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne est au nord, et l'ennui, araignée silencieuse, filait sa toile dans l'ombre, à tous les coins de son cœur. Elle se rappelait les jours de distribution de prix, où elle montait sur l'estrade pour aller chercher ses petites couronnes. Avec ses cheveux en tresse, sa robe blanche et ses souliers de prunelle découverts, elle avait une façon gentille, et les messieurs, quand elle regagnait sa place, se penchaient pour lui faire des compliments; la cour était pleine de calèches, on lui disait adieu par les portières; le maître de musique passait en saluant, avec sa boîte à violon. Comme c'était loin, tout cela! comme c'était loin!

      Elle appelait Djali, la prenait entre ses genoux, passait ses doigts sur sa longue tête fine et lui disait: «Allons, embrassez maîtresse, vous qui n'avez pas de chagrins!» Puis, considérant la mine mélancolique du svelte animal qui bâillait avec lenteur, elle s'attendrissait et, le comparant à elle-même, lui parlait tout haut, comme à quelqu'un d'affligé que l'on console.

      Il arrivait parfois des rafales de vent, brises de la mer, qui, roulant d'un bond sur tout le plateau du pays de Caux, apportaient, jusqu'au loin dans les champs, une fraîcheur salée. Les joncs sifflaient à ras de terre, et les feuilles des hêtres bruissaient en un frisson rapide, tandis que les cimes, se balançant toujours, continuaient leur grand murmure. Emma serrait son châle contre ses épaules et se levait.

      Dans l'avenue, un jour vert, rabattu par le feuillage, éclairait la mousse rase qui craquait doucement sous ses pieds. Le soleil se couchait; le ciel était rouge entre les branches, et les troncs pareils des arbres plantés en ligne droite semblaient une colonnade brune, se détachant sur un fond d'or; une peur la prenait, elle appelait Djali, s'en retournait vite à Tostes par la grande route, s'affaissait dans un fauteuil, et de toute la soirée ne

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