La vie de Rossini, tome II. Stendhal
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Après la tempête vient le charmant sestetto,
Quest'è un nodo inviluppato;
si frappant d'originalité: je l'admirais davantage autrefois; il me semble aujourd'hui avoir des longueurs vers la fin de la partie chantée sotto voce. Ce sestetto peut disputer la qualité de chef-d'œuvre de la pièce au charmant duetto du premier acte entre Ramire et Dandini,
Zitto, zitto; piano, piano;
et si le duetto l'emporte, c'est par l'admirable rapidité, c'est parce qu'il est une des choses les plus entraînantes que Rossini ait écrites dans le style vif et rapide, où il est supérieur à tous les grands maîtres, et qui forme le trait saillant de son génie.
Le grand air de la fin, chanté par la Cenerentola, est un peu plus qu'un air de bravoure ordinaire; on y trouve quelques lueurs de sentiment:
Perchè tremar, perchè?
Figlia, sorella, amica,
Padre, sposo, amiche! oh istante!
A la vérité, la mélodie de ces traits de sentiment est assez commune. C'est un des airs que j'ai entendus le mieux chanter par madame Pasta; elle y portait un accent digne de la situation (un bon cœur qui triomphe et pardonne après de longues années de misère), et éloignait ainsi l'idée importune d'un air de bravoure et fait pour les concerts. Au contraire, dans la bouche de mademoiselle Esther Mombelli, à Florence, en 1818, cet air n'était plus qu'un air de bravoure supérieurement chanté. Rien n'était plus net et plus perlé que le son de cette belle voix conduite avec toute la grâce naïve de la méthode antique. On croyait assister à un concert; personne ne songeait au sentiment qui aurait pu animer Cendrillon, et qui n'animait pas la musique. Quand madame Pasta chante Rossini, elle lui prête précisément les qualités qui lui manquent.
On peut remarquer que voilà trois de ses opéras que Rossini finit par un grand air de la prima donna: Sigillara, l'Italiana in Algeri et la Cenerentola.
Je dois répéter ici que je suis tout à fait juge incompétent pour la Cenerentola. Cette protestation est dans mon intérêt; l'on douterait de mon extrême sensibilité pour la musique, et je puis faire de la modestie sur tout, excepté sur l'extrême sensibilité. La Cenerentola est une des partitions qui a eu le plus de succès en France et je ne doute pas que si le caprice des directeurs avait engagé pour ce rôle mademoiselle Mombelli, mademoiselle Schiassetti, ou telle autre bonne chanteuse, cet opéra n'eût atteint le succès du Barbier. Il n'y a peut-être pas, dans toute la Cenerentola, dix mesures qui me rappellent les folies aimables ou plutôt dignes d'être aimées, qui accourent de toutes parts à mon imagination quand j'ai le bonheur de rencontrer Sigillara ou les Pretendenti delusi14. Il n'y a peut-être pas dans la Cenerentola dix mesures de suite qui ne rappellent l'arrière-boutique de la rue Saint-Denis, ou le gros financier ivre d'or et d'idées prosaïques, qui, dans le monde, me fait déserter un salon lorsqu'il y entre. Ces choses, qui me choquent comme grossières, auraient plu à Paris comme comiques, si elles eussent été bien chantées. On peut dire que le public de Paris ne les a pas vues; autrement ce public, qui encourage par son suffrage la Marchande de Goujons, l'Enfant de Paris et les Cuisinières, eût aussi donné un succès fou à la Cenerentola. Cet opéra eût eu en sa faveur, tout le mécanisme du double vote; il eût été applaudi et par les amateurs de la musique italienne, et par ceux de la grosse joie des Variétés.
CHAPITRE XXI
VELLUTI
Jai à faire une communication pénible à la partie la plus bienveillante du public que la présente biographie peut espérer. Il m'en coûte infiniment; je sens tout ce que je hasarde: plusieurs opinions singulières à Paris, qu'on voulait bien me passer jusqu'ici comme des écarts sans conséquence, vont se changer tout à coup en paradoxes intolérables, peut-être odieux, et surtout amenés sans à-propos. Mais enfin, l'auteur ayant fait le vœu singulier de dire, sur tout, ce qui lui semble la vérité, au risque de déplaire, et au seul public qui puisse le lire, et au grand artiste dont il écrit la vie, il faut bien continuer ainsi qu'on a commencé. Un homme du monde qui est allé deux cents fois en sa vie aux Bouffes, qui commence à ne plus aimer l'Académie royale de musique que pour les ballets, et qui néglige Feydeau, est assurément le lecteur le plus éclairé et le plus bienveillant que je puisse espérer. Cet homme du monde se souvient peut-être d'avoir vu jadis, quand la censure était indulgente, la brillante comédie du Mariage de Figaro. Figaro se vante de savoir le fond de la langue anglaise: il sait goddam. Eh bien! puisqu'il faut risquer de me perdre par un seul mot, voilà justement le point où en est un amateur de Paris, à l'égard d'une des parties principales du chant, les fioriture ou agréments. Il faudrait que cet amateur eût entendu pendant six mois Velluti ou Davide, pour avoir quelque idée de cette région de la musique, entièrement neuve pour des oreilles parisiennes. En arrivant dans un pays nouveau, après le premier coup d'œil, qui n'est pas sans agréments, on est bien vite choqué du grand nombre de choses étranges et insolites qui vous assiègent de toutes parts. Le voyageur le plus bienveillant et le moins sujet à l'humeur, a grande peine à se défendre de certains mouvements d'impatience. Tel serait l'effet que la délicieuse méthode de Velluti produirait d'abord sur l'amateur de Paris. Je propose à cet amateur d'entendre, le plus tôt qu'il pourra, la romance de l'Isolina chantée par Velluti15.
Une femme jolie, et surtout remarquable par une taille superbe, qui se promène à la terrasse des Feuillants, enveloppée dans sa fourrure, par un beau soleil du mois de décembre, est un objet fort agréable aux yeux; mais si un instant après cette femme entre dans un joli salon garni de fleurs, et où des bouches de chaleur artistement ménagées font régner une température douce et égale, elle quitte sa fourrure et paraît dans toute la fraîcheur brillante d'une toilette de printemps. Faites venir d'Italie la romance de l'Isolina, entendez-la chanter par une jolie voix de ténor, vous verrez apparaître la jeune femme de la terrasse des Feuillants, mais vous ne pourrez guère juger que de l'élégance des mouvements et des formes; la fraîcheur et le fini des contours seront invisibles pour vous. Que ce soit au contraire la délicieuse voix de Velluti qui chante sa romance favorite, vos yeux seront déssillés, et bientôt ravis à la vue des contours délicats dont le charme voluptueux viendra les séduire.
Le ténor a chanté trois mesures; ce sont des prières adressées par un amant à sa maîtresse irritée. Ce petit morceau finit par un éclat de voix: l'amant, maltraité par ce qu'il aime, implore son pardon au nom du souvenir charmant des premiers temps de leur bonheur. Velluti remplit les deux premières mesures de fioriture, exprimant d'abord l'extrême timidité, et bientôt le profond découragement; il prodigue les gammes descendantes par demi-tons, les scale trillate, et part tout à coup à la troisième mesure par un éclat de voix simple, fort, soutenu, et, les jours où il jouit de tous ses moyens, abandonné. Il est impossible qu'une femme qui aime résiste à ce cri du cœur.
Ce style peut sembler trop efféminé, et ne pas plaire d'abord; mais tout amateur français de bonne foi conviendra que cette manière de chanter est pour lui une région inconnue, une terre étrangère, dont les chants de Paris ne lui avaient donné aucune idée. Nous avons bien ici des gens qui font des ornements et qui les exécutent avec justesse, mais les sons de cette voix ne sont pas agréables en eux-mêmes et indépendamment de la place qu'ils occupent. Ensuite cette voix
14
L'un des cent opéras de Joseph Mosca.
15
En septembre 1823, Velluti chante à Livourne l'opéra de Morlacchi, intitulé