La vie de Rossini, tome II. Stendhal
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Velluti au contraire déclame bien une suite de vers qui appartiennent tous au même rôle.
CHAPITRE XXII
LA GAZZA LADRA
Ce vrai drame noir et plat a été arrangé pour Rossini par M. Gherardini de Milan, d'après le mélodrame du boulevard, qui a pour auteurs MM. Daubigny et Caigniez. Pour comble de disgrâce, il paraît que cette vilaine histoire est fondée sur la réalité: une pauvre servante fut dans le fait pendue jadis à Palaiseau, en mémoire de quoi l'on fonda une messe appelée la messe de la pie.
Les Allemands, pour qui ce monde est un problème non résolu, et qui aiment à employer les trente ou quarante ans pour lesquels le hasard les a placés dans cette triste cage, à en compter les barreaux; les Allemands, qui préfèrent le drame de Calas, provenant également de notre boulevard, au don Carlos ou au Guillaume Tell de Schiller, qui leur semblent trop classiques; les Allemands, qui, en 1823, croient aux revenants et aux miracles du prince de Hohenlohe, seraient ravis du degré de noirceur que la réalité ajoute au triste drame de la Pie voleuse.
Le Français, homme de goût, se dit: Ce monde est si vilain, que c'est porter de l'eau à la mer et se donner le plus triste des rôles, que d'examiner les s***** de celui qui l'a fait; fuyons la triste réalité. Et il demande aux arts du beau idéal qui lui fasse oublier bien vite, et pour le plus longtemps possible, ce monde de bassesses, où
Le grand Ajax est mort, et Thersite respire.
L'Italien, dès qu'il peut être délivré du prêtre qui a tourmenté sa jeunesse, ne s'embarrasse pas de si longs raisonnements; il ne s'en tirerait jamais, et la police de son pays l'empêche, depuis des siècles, d'apprendre la logique; il a des passions, il s'y livre en aveugle. Rossini lui fait de belle musique sur un sujet abominable; il jouit de cette musique sans trop s'arrêter au sujet, et fuirait bien vite comme un seccatore le triste critique qui viendrait lui faire voir les défauts de son plaisir. L'Italien n'admet tout au plus qu'une sorte de discussion, celle qui tend à doubler ses plaisirs tout de suite et argent comptant.
La Gazza ladra est un des chefs-d'œuvre de Rossini. Il l'écrivit à Milan en 1817, pour la saison nommée primavera (le printemps)16.
Quatorze ans du despotisme d'un homme de génie avaient fait de Milan, grande ville renommée autrefois pour sa gourmandise, la capitale intellectuelle de l'Italie; ce public comptait encore dans son sein, en 1817, quatre ou cinq cents hommes d'esprit supérieurs à leur siècle, reste de ceux que Napoléon avait recrutés de Bologne à Novare, et de la Ponteffa à Ancône, pour remplir les emplois de son royaume d'Italie. Ces anciens employés, que la crainte des persécutions et l'amour des capitales retenaient à Milan, n'étaient nullement disposés à reconnaître une supériorité quelconque dans le public de Naples. On arriva donc à la Scala, le soir de la première représentation de la Gazza ladra, avec la bonne intention de siffler l'auteur du Barbier, d'Elisabeth et d'Otello, pour peu que sa musique déplût. Rossini n'ignorait pas cette disposition défavorable, et il avait grand'peur.
Le succès fut tellement fou, la pièce fit une telle fureur, car j'ai besoin ici de toute l'énergie de la langue italienne, qu'à chaque instant le public, en masse, se levait debout pour couvrir Rossini d'acclamations. Cet homme aimable racontait le soir, au café de l'Académie, qu'indépendamment de la joie du succès, il était abîmé de fatigue pour les centaines de révérences qu'il avait été obligé de faire au public, qui, à tous moments, interrompait le spectacle par des bravo maestro! e viva Rossini!
Le succès fut donc immense, et l'on peut dire que jamais maestro n'a mieux rempli son objet. Les applaudissements étaient d'autant plus flatteurs que, comme je l'ai déjà dit, ce public, en 1817, était encore composé de l'élite des gens d'esprit de toute la Lombardie. Aussi est-ce à cette époque que Milan a été illustré par les chefs-d'œuvre de Viganò. Ce beau moment s'est terminé vers 1820, par les arrestations et le carbonarisme.
J'étais à la première représentation de la Gazza ladra. C'est un des succès les plus unanimes et les plus brillants que j'aie jamais vus, et il se soutint pendant près de trois mois au même degré d'enthousiasme. Rossini fut heureux en acteurs; Galli avait alors la plus belle voix de basse d'Italie, la voix la plus forte et la plus accentuée; il joua le rôle du soldat d'une manière digne de Kean ou de De'Marini. Madame Belloc chanta celui de la pauvre Ninetta avec sa voix magnifique et pure qui semble rajeunir tous les ans; elle jouait ce rôle facile avec infiniment d'esprit. Je me souviens qu'elle l'ennoblissait beaucoup; ce n'était pas tant une servante vulgaire que la fille d'un brave soldat que les malheurs de son père ont forcée à chercher de l'emploi. Monelli, ténor agréable, faisait le jeune soldat Giannetto qui revient à la maison paternelle; et Boticelli, le vieux paysan Fabrizio Vingradito, rôle si bien joué à Paris par Barilli. Ambrosi, avec sa voix superbe et son jeu tout d'une pièce, représentait fort bien le méchant Podestà; enfin, les grâces de mademoiselle Galianis, dans le rôle de Pippo, étaient inimitables et donnaient un effet charmant au duetto du second acte entre Pippo et Ninetta. Tous les acteurs cherchaient comme de concert à ennoblir la pièce. Madame Fodor, au contraire, l'a rendue bien vulgaire.
Que dire de l'ouverture de la Gazza ladra? A qui cette symphonie si pittoresque n'est-elle pas présente?
L'introduction du tambour comme partie principale lui donné une réalité, si j'ose m'exprimer ainsi, dont je n'ai trouvé la sensation dans aucune autre musique17, il est comme impossible de ne pas faire attention à celle-ci. Il me le serait également de rendre les transports et la folie du parterre de Milan à l'apparition de ce chef-d'œuvre. Après avoir applaudi à outrance, crié et fait tout le tapage imaginable pendant cinq minutes, quand la force nécessaire pour crier n'exista plus, je remarquai que chacun parlait à son voisin, chose fort contraire à la méfiance italienne. Les gens les plus froids et les plus âgés s'écriaient dans les loges: O bello! o bello! et ce mot était répété vingt fois de suite: on ne l'adressait à personne, une telle répétition eût été ridicule; on avait perdu toute idée d'avoir des voisins, chacun se parlait à soi-même. Ces transports avaient toute la vivacité, tout le charme d'un
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Cette
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Voir les dissertations imprimées à Berlin sur cette ouverture en 1819.