La vie de Rossini, tome II. Stendhal
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу La vie de Rossini, tome II - Stendhal страница 9
On ne peut pas dépenser son bien de deux manières. Le Parisien, dès l'instant qu'il sort le matin, trouve cent affaires et cent petites émotions. Depuis la chute de Napoléon, rien ne trouble la tranquillité de mort de la petite ville d'Italie; tout au plus, tous les six mois, quelque arrestation de carbonaro. Voilà, ce me semble, la raison philosophique des succès fous que l'on voit si souvent au delà des Alpes, et jamais en France. Non-seulement il y a plus de feu dans les âmes, mais encore ce feu y est accumulé par l'économie. En France, nous avons dix plaisirs d'espèces différentes pour amuser nos soirées; en Italie, un seul, la musique. Un succès fou au théâtre c'est chez le public de Paris la curiosité de porter un jugement sur une pièce dont on va parler pendant un mois; on y court pour la juger et non pour avoir des transports et des larmes32.
Ce sont, au contraire, des larmes et des transports qu'il y avait chez les bons Milanais après le finale du premier acte de la Gazza. Ils pensaient beaucoup à leur plaisir et à leur émotion, et fort peu à la gloire qui en pourrait revenir à Rossini. Le commencement du second acte parut un peu pâle. Le rôle de Pippo était cependant joué par mademoiselle Gallianis, jeune actrice de la figure la plus noble et dont la jolie voix de contr'alto rendit fort bien le duetto
E ben, per mia memoria,
Lo serberai tu stesso,
que Pippo vient chanter dans la prison avec Ninetta.
Fin che mi batte il cor…
Vedo in quegli occhi il pianto,
sont des passages touchants; mais on remarque avec peine certaines batteries fort déplacées, vers la fin du duetto; elles font souvenir du métier dans un moment où le spectateur ne voudrait que jouir de sa douleur. Ce duetto me rappelle toujours les gens peu sensibles, qui tombent dans l'air pleureur, quand absolument ils veulent être tristes, et que l'occasion le requiert.
En entendant mademoiselle Stephens, à Londres, je pensais que Rossini aurait dû écrire ce morceau dans le genre de la musique vocale anglaise. Cette musique abjure presque tout à fait l'empire de la mesure; elle ressemble à des sons de cor entendus de fort loin pendant la nuit, et dont on perd souvent quelques notes intermédiaires: rien de plus touchant, et surtout rien de plus opposé à tout le reste de la musique de la Gazza ladra.
L'air du podestat et surtout le chœur qui le termine, auraient fait la réputation d'un compositeur moins riche que Rossini. Il n'en est pas de même du duetto de Gianetto:
Forse un di conoscerete.
On dirait, à la vulgarité qui paraît dans quelques cantilènes que Rossini a voulu tout à fait se transformer en compositeur allemand et écrire comme Weigl ou Winter. Aussi est-ce en Allemagne que la Gazza réussit le plus; ses défauts sont invisibles à Darmstadt et peut-être des qualités, tandis qu'on méprise Tancrède comme de petite musique. Il faut frapper fort ces bons Allemands. L'arrivée du soldat vient rendre à ce deuxième acte le feu sombre qui anime le premier. Galli joue toute cette fin du drame mieux que de'Marini ou Iffland. Nous n'avons aucun acteur en France qui approche de ce genre de talent; Talma lui-même est bien médiocre dans Falkland et dans le Meinau de Misanthropie et Repentir.
L'air de Galli,
Oh colpo impensato!
est assez commun. Rossini, voyant Galli avoir peu de succès à Naples, se réconcilia avec cet ancien rival, et lui fit cet air tout à fait écrit dans ses cordes.
Le commencement du récitatif:
Che vuol dire quel pianto?
est bien. Il y a du sentiment tragique et sombre dans
M'investe, m'assale.
Nous sommes attendris par un rayon de beau idéal sur
Per te, dolce figlia;
mais perche amica spemè? est détestable; c'est du mauvais Rossini, des agréments de concert au lieu de pathétique, et, pour comble de misère, des agréments qui ne sont que des réminiscences d'opéra buffa33.
L'air finit par de beaux accents tragiques sur
Scoperto, avvilito,
Proscritto, inseguito.
Zuchelli chante cet air d'une manière admirable; c'est bien là le désespoir d'une âme tendre. Le public n'a pas encore été averti du mérite de ce chanteur.
A la manière dont Rossini a écrit, pour Galli, cet air de réconciliation, je croirais qu'il boudait encore. Les savants remarquent, comme une chose nouvelle, que vers la fin l'orchestre va beaucoup plus haut34 que le chant et cependant ne le couvre pas; on sent à tous moments, en voyant célébrer comme des nouveautés des choses aussi simples, que la science de la musique est encore au berceau.
Le chœur des juges,
Tremate, o popoli,
est superbe. Voilà le triomphe du style magnifique, la terreur35. Ce chœur est tellement imposant, que je n'ai jamais vu rire à Louvois, à l'aspect de tout un tribunal de première instance, la toque en tête, qui se met à chanter. On dit que ce morceau ressemble un peu à un chœur de l'Orfeo de Gluck; je le croirais plutôt imité de Haydn, s'il est imité.
L'arrivée de Ninetta, la lecture de la sentence de mort, sont des moments terribles que je ne chercherai pas à rappeler au lecteur; heureux si je pouvais terminer ici l'analyse de la Gazza ladra, mais je serais trop injuste envers Rossini.
Gia d'intorno
Ulular la morte ascolto,
glace le sang, surtout le mot ulular; c'est à faire trouver mal les gens nerveux. L'entrée de Galli est sublime
O là! fermate.
A l'exception de mademoiselle Mars, la scène française ne nous a rien offert de comparable depuis Monvel. En Italie, j'ai vu à de'Marini, et surtout à la Pallerini, des moments au moins aussi beaux. Iffland, à Berlin, en 1807, avait une ou deux entrées comparables à celles de Galli.
Dans les situations extrêmes, il n'y a plus lieu à cantilène, le récitatif suffit. Les paroles suivantes de Galli sont une preuve de cette vérité singulière et si contraire aux théories vulgaires:
Son vostro prigioniero,
32
Le plaisir
33
Exemple frappant du défaut de Rossini dans sa
34
Artifice fréquent chez Rossini, et au moyen duquel l'accompagnement, quoique fort surchargé, ne couvre pas la voix. Mozart n'a pas su éviter cet inconvénient en mille endroits, et, par exemple, dans l'air:
35
Les gens communs sont accessibles à cette passion. Voir les phrases de Bossuet. En 1520 pour un homme qui goûtait Raphaël, il y en avait cent à qui Michel-Ange faisait peur. Canova n'eût joui d'aucun succès en 1520.