Une page d'amour. Emile Zola

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Une page d'amour - Emile Zola

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diable est-elle allée? Il y a un quart d'heure qu'elle est sortie pour ce pot-au-feu.

      Hélène vit alors que la porte était fermée. Cela ne la blessa pas tout de suite. Elle parlait de madame Deberle, dont elle faisait un vif éloge à son mari. Mais, comme le docteur tournait continuellement la tête du côté de là porte, elle finit par se sentir gênée.

      – C'est bien singulier qu'elle ne revienne pas, murmura-t-elle à son tour.

      Leur conversation tomba. Hélène, ne sachant que faire, ouvrit la Lucarne; et quand elle se retourna, ils évitèrent de se regarder. Des rires d'enfant entraient par la lucarne, qui taillait une lune bleue, très-haut, dans le ciel. Ils étaient bien seuls, cachés à tous les regards, n'ayant que cette trouée ronde qui les voyait. Les enfants se turent, au loin; un silence frissonnant régna. Personne ne serait venu les chercher dans ce grenier perdu. Leur embarras grandissait. Hélène alors, mécontente d'elle, regarda fixement le docteur.

      – Je suis accablé de visites, dit-il aussitôt. Puisqu'elle ne reparaît pas, je me sauve.

      Et il s'en alla. Hélène s'était assise. La mère Fétu rentra immédiatement, avec un flot de paroles.

      – Ah! je ne puis pas me traîner, j'ai eu une faiblesse… Il est donc parti, le cher monsieur? Bien sûr, il n'y a pas de commodités ici. Vous êtes tous les deux des anges du ciel, de passer votre temps avec une malheureuse comme moi. Mais le bon Dieu vous rendra tout ça… C'est descendu dans les pieds, aujourd'hui. J'ai dû m'asseoir sur une marche. Et je ne savais plus, parce que vous ne faisiez pas de bruit… Enfin, je voudrais des chaises. Si j'avais seulement un fauteuil! Mon matelas est bien mauvais. J'ai honte quand vous venez… Toute la maison est à vous, et je me jetterais dans le feu, s'il le fallait. Le bon Dieu le sait, je le lui dis assez souvent… O mon Dieu! faites que le bon monsieur et la bonne dame soient satisfaits dans tous leurs désirs. Au nom du Père, du Fils, du Saint- Esprit, ainsi soit-il!

      Hélène l'écoutait, et elle éprouvait une singulière gêne. Le visage bouffi de la mère Fétu l'inquiétait. Jamais non plus elle n'avait ressenti un pareil malaise dans l'étroite pièce. Elle en voyait la pauvreté sordide, elle souffrait du manque d'air, de toutes les déchéances de la misère enfermées là. Elle se hâta de s'éloigner, blessée par les bénédictions dont la mère Fétu la poursuivait.

      Une autre tristesse l'attendait dans le passage des Eaux. Au milieu de ce passage, à droite en descendant, se trouve dans le mur une sorte d'excavation, quelque puits abandonné, fermé par une grille. Depuis deux jours, en passant, elle entendait, au fond de ce trou, les miaulements d'un chat. Comme elle montait, les miaulements recommencèrent, mais si lamentables, qu'ils exhalaient une agonie. La pensée que la pauvre bête, jetée dans l'ancien puits, y mourait longuement de faim, brisa tout d'un coup le coeur d'Hélène. Elle pressa le pas, avec la pensée qu'elle n'oserait de longtemps se risquer le long de l'escalier, de peur d'y entendre ce miaulement de mort.

      Justement, on était au mardi. Le soir, à sept heures, comme Hélène achevait une petite brassière, les deux coups de sonnette habituels retentirent, et Rosalie ouvrit la porte, en disant:

      – C'est monsieur l'abbé qui arrive le premier, aujourd'hui… Ah! voici monsieur Rambaud.

      Le dîner fut très-gai, Jeanne allait mieux encore, et les deux frères, qui la gâtaient, obtinrent qu'elle mangerait un peu de salade, qu'elle adorait, malgré la défense formelle du docteur Bodin. Puis, lorsqu'on passa dans la chambre, l'enfant encouragée se pendit au cou de sa mère en murmurant:

      – Je t'en prie, petite mère, mène-moi demain avec toi chez la vieille femme.

      Mais le prêtre et M. Rambaud furent les premiers à la gronder. On ne pouvait pas la mener chez les malheureux, puisqu'elle ne savait pas s'y conduire. La dernière fois, elle avait eu deux évanouissements, et durant trois jours, même pendant son sommeil, ses yeux gonflés ruisselaient.

      – Non, non, répéta-t-elle, je ne pleurerai pas, je le promets.

      Alors, sa mère l'embrassa, en disant:

      – C'est inutile, ma chérie, la vieille femme se porte bien… Je ne sortirai plus, je resterai toute la journée avec toi.

      IV

      La semaine suivante, lorsque madame Deberle rendit à madame Grandjean sa visite, elle se montra d'une amabilité pleine de caresses. Et, sur le seuil, comme elle se retirait:

      – Vous savez ce que vous m'avez promis… Le premier jour de beau temps, vous descendez au jardin et vous amenez Jeanne. C'est une ordonnance du docteur.

      Hélène souriait.

      – Oui, oui, la chose est entendue. Comptez sur nous.

      Trois jours plus tard, par une claire après-midi de février, elle descendit en effet avec sa fille. La concierge leur ouvrit la porte de communication. Au fond du jardin, dans une sorte de serre transformée en pavillon japonais, elles trouvèrent madame Deberle, ayant auprès d'elle sa soeur Pauline, toutes deux les mains abandonnées, avec des ouvrages de broderie sur une petite table, qu'elles avaient posés là et oubliés.

      – Ah! que c'est donc aimable à vous! dit Juliette. Tenez, mettez-vous ici… Pauline, pousse cette table… Vous voyez, il fait encore un peu frais, lorsqu'on reste assis, et de ce pavillon nous surveillerons très-bien les enfants… Allons, jouez, mes enfants. Surtout, prenez garde de tomber. La large baie du pavillon était ouverte, et de chaque côté on avait tiré dans leurs châssis des glaces mobiles; de sorte que le jardin se développait de plain-pied, comme au seuil d'une tente. C'était un jardin bourgeois, avec une pelouse centrale, flanquée de deux corbeilles. Une simple grille le fermait sur la rue Vineuse; seulement, un tel rideau de verdure avait grandi là, que de la rue aucun regard ne pouvait pénétrer; des lierres, des clématites, des chèvrefeuilles se collaient et s'enroulaient à la grille, et, derrière ce premier mur de feuillage, s'en haussait un second, fait de lilas et de faux ébéniers. Même l'hiver, les feuilles persistantes des lierres et l'entrelacement des branches suffisaient à barrer la vue. Mais le grand charme était, au fond, quelques arbres de haute futaie, des ormes superbes qui masquaient la muraille noire d'une maison à cinq étages. Ils mettaient, dans cet étranglement des constructions voisines, l'illusion d'un coin de parc et semblaient agrandir démesurément ce jardinet parisien, que l'on balayait comme un salon. Entre deux ormes pendait une balançoire, dont l'humidité avait verdi la planchette.

      Hélène regardait, se penchait pour mieux voir.

      – Oh! c'est un trou, dit négligemment madame Deberle. Mais, à Paris, les arbres sont si rares… On est bien heureux d'en avoir une demi- douzaine à soi.

      – Non, non, vous êtes très-bien, murmurait Hélène. C'est charmant.

      Ce jour-là, dans le ciel pâle, le soleil mettait une poussière de lumière blonde. C'était, entre les branches sans feuilles, une pluie lente de rayons. Les arbres rougissaient, on voyait les fins bourgeons violâtres attendrir le ton gris de l'écorce. Et sur la pelouse, le long des allées, les herbes et les graviers avaient des pointes de clarté, qu'une brume légère, au ras du sol, noyait et fondait. Il n'y avait pas une fleur, la gaieté seule du soleil sur la terre nue annonçait le printemps.

      – Maintenant, c'est encore un peu triste, reprit madame Deberle. Vous verrez en juin, on est dans un vrai nid. Les arbres empêchent les gens d'à côté d'espionner, et nous sommes alors complètement chez nous…

      Mais elle s'interrompit pour crier:

      – Lucien,

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