Le Docteur Pascal. Emile Zola

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Le Docteur Pascal - Emile Zola

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amoureuse, quelque ambitieuse courant à sa passion. De face, dons son visage séché, ses yeux gardaient leur flamme, et elle souriait d'un joli sourire, quand elle le voulait bien.

      – Comment, c'est toi, grand'mère! s'écria Clotilde, en marchant à sa rencontre. Mais il y a de quoi être cuit, par ce terrible soleil!

      Félicité, qui la baisait au front, se mit à rire.

      – Oh! le soleil, c'est mon ami!

      Puis, trottant à petits pas rapides, elle alla tourner l'espagnolette d'un des volets.

      – Ouvrez donc un peu! c'est trop triste, de vivre ainsi dans le noir…

      Chez moi, je laisse le soleil entrer.

      Par l'entre-bâillement, un jet d'ardente lumière, un flot de braises dansantes pénétra. Et l'on aperçut, sous le ciel d'un bleu violâtre d'incendie, la vaste campagne brûlée, comme endormie et morte dans cet anéantissement de fournaise; tandis que, sur la droite, au-dessus des toitures roses, se dressait le clocher de Saint-Saturnin, une tour dorée, aux arêtes d'os blanchis, dans l'aveuglante clarté.

      – Oui, continuait Félicité, j'irai sans doute tout à l'heure aux Tulettes, et je voulais savoir si vous aviez Charles, afin de l'y mener avec moi… Il n'est pas ici, je vois ça. Ce sera pour un autre jour.

      Mais, tandis qu'elle donnait ce prétexte à sa visite, ses yeux fureteurs faisaient le tour de la pièce. D'ailleurs, elle n'insista pas, parla tout de suite de son fils Pascal, en entendant le bruit rythmique du pilon qui n'avait pas cessé dans la chambre voisine.

      – Ah! il est encore à sa cuisine du diable!.. Ne le dérangez pas, je n'ai rien à lui dire.

      Martine, qui s'était remise à son fauteuil, hocha la tête, pour déclarer qu'elle n'avait nulle envie de déranger son maître; et il y eut un nouveau silence, tandis que Clotilde essuyait à un linge ses doigts tachés de pastel, et que Félicité reprenait sa marche de petits pas, d'un air d'enquête.

      Depuis bientôt deux ans, la vieille madame Rougon était veuve. Son mari, devenu si gros, qu'il ne se remuait plus, avait succombé, étouffé par une indigestion, le 3 septembre 1870, dans la nuit du jour où il avait appris la catastrophe de Sedan. L'écroulement du régime, dont il se flattait d'être un des fondateurs, semblait l'avoir foudroyé. Aussi Félicité affectait-elle de ne plus s'occuper de politique, vivant désormais comme une reine retirée du trône. Personne n'ignorait que les Rougon, en 1851, avaient sauvé Plassans de l'anarchie, en y faisant triompher le coup d'État du 2 décembre, et que, quelques années plus tard, ils l'avaient conquis de nouveau, sur les candidats légitimistes et républicains, pour le donner à un député bonapartiste. Jusqu'à la guerre, l'empire y était resté tout-puissant, si acclamé, qu'il y avait obtenu, au plébiscite, une majorité écrasante. Mais, depuis les désastres, la ville devenait républicaine, le quartier Saint-Marc était retombé dans ses sourdes intrigues royalistes, tandis que le vieux quartier et la ville neuve avaient envoyé à la Chambre un représentant libéral, vaguement teinté d'orléanisme, tout prêt à se ranger du côté de la République, si elle triomphait. Et c'était pourquoi Félicité, en femme très intelligente, se désintéressait et consentait à n'être plus que la reine détrônée d'un régime déchu.

      Mais il y avait encore là une haute position, environnée de toute une poésie mélancolique. Pendant dix-huit années, elle avait régné. La légende de ses deux salons, le salon jaune où avait mûri le coup d'État, le salon vert, plus tard, le terrain neutre où la conquête de Plassans s'était achevée, s'embellissait du recul des époques disparues. Elle était, d'ailleurs, très riche. Puis, on la trouvait très digne dans la chute, sans un regret ni une plainte, promenant, avec ses quatre-vingts ans, une si longue suite de furieux appétits, d'abominables manoeuvres et d'assouvissements démesurés, qu'elle en devenait auguste. La seule de ses joies, maintenant, était de jouir en paix de sa grande fortune et de sa royauté passée, et elle n'avait plus qu'une passion, celle de défendre son histoire, en écartant tout ce qui, dans la suite des âges, pourrait la salir. Son orgueil, qui vivait du double exploit dont les habitants parlaient encore, veillait avec un soin jaloux, résolu à ne laisser debout que les beaux documents, cette légende qui la faisait saluer comme une majesté tombée, quand elle traversait la ville.

      Elle était allée jusqu'à la porte de la chambre, elle écouta le bruit du pilon. Puis, le front soucieux, elle revint vers Clotilde.

      – Que fabrique-t-il donc, mon Dieu! Tu sais qu'il se fait le plus grand tort, avec sa drogue nouvelle. On m'a raconté que, l'autre jour, il avait encore failli tuer un de ses malades.

      – Oh! grand'mère! s'écria la jeune fille.

      Mais elle était lancée.

      – Oui, parfaitement! les bonnes femmes en disent bien d'autres… Va les questionner, au fond du faubourg. Elles te diront qu'il pile des os de mort dans du sang de nouveau-né.

      Cette fois, pendant que Martine protestait elle-même, Clotilde se fâcha, blessée dans sa tendresse.

      – Oh! grand'mère, ne répète pas ces abominations!.. Maître qui a un si grand coeur, qui ne songe qu'au bonheur de tous!

      Alors, quand elle les vit l'une et l'autre s'indigner, Félicité, comprenant qu'elle brusquait trop les choses, redevint très câline.

      – Mais, mon petit chat, ce n'est pas moi qui dis ces choses affreuses. Je te répète les bêtises qu'on fait courir, pour que tu comprennes que Pascal a tort de ne pas tenir compte de l'opinion publique… Il croit avoir trouvé un nouveau remède, rien de mieux! et je veux même admettre qu'il va guérir tout le monde, comme il l'espère. Seulement, pourquoi affecter ces allures mystérieuses, pourquoi n'en pas parler tout haut, pourquoi surtout ne l'essayer que sur cette racaille du vieux quartier et de la campagne, au lieu de tenter, parmi les gens comme il faut de la ville, des cures éclatantes qui lui feraient honneur?.. Non, vois-tu, mon petit chat, ton oncle n'a jamais rien pu faire comme les autres.

      Elle avait pris un ton peiné, baissant la voix pour étaler cette plaie secrète de son coeur.

      – Dieu merci! ce ne sont pas les hommes de valeur qui manquent dans notre famille, mes autres fils m'ont donné assez de satisfaction! N'est-ce pas? ton oncle Eugène est monté assez haut, ministre pendant douze ans, presque empereur! et ton père lui-même a remué assez de millions, a été mêlé à d'assez grands travaux qui ont refait Paris! Je ne parle pas de ton frère Maxime, si riche, si distingué, ni de tes cousins, Octave Mouret, un des conquérants du nouveau commerce, et notre cher abbé Mouret, un saint celui-là!.. Eh bien! pourquoi Pascal, qui aurait pu marcher sur leurs traces à tous, vit-il obstinément dans son trou, en vieil original à demi fêlé?

      Et, la jeune fille s'étant révoltée encore, elle lui ferma la bouche d'un geste caressant de la main.

      – Non, non! laisse-moi finir… Je sais bien que Pascal n'est pas une bête, qu'il a fait des travaux remarquables, que ses envois à l'Académie de médecine lui ont même acquis une réputation parmi les savants… Mais cela peut-il compter, à côté de ce que j'avais rêvé pour lui? oui! toute la belle clientèle de la ville, une grosse fortune, la décoration, enfin des honneurs, une position digne de la famille… Ah! vois-tu, mon petit chat, c'est de cela que je me plains: il n'en est pas, il n'a pas voulu en être, de la famille. Ma parole! je le lui disais, quand il était enfant: «Mais d'où sors-tu? Tu n'es pas à nous!» Moi, j'ai tout sacrifié à la famille, je me ferais hacher pour que la famille fût à jamais grande et glorieuse!

      Elle redressait sa petite taille, elle devenait très haute, dans l'unique passion de jouissance et

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