Le Docteur Pascal. Emile Zola

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Le Docteur Pascal - Emile Zola

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ma pauvre fille, il le tue… Et, voyez-vous, c'est une crime, au point de vue de la religion, que de le laisser se damner ainsi. Vous ne l'aimez pas, ma parole d'honneur! non, vous ne l'aimez pas, vous deux qui avez le bonheur de croire, puisque vous ne faites rien pour qu'il rentre dans la vraie route… Ah! moi, à votre place, je fendrais plutôt cette armoire à coups de hache, je ferais un fameux feu de joie avec toutes les insultes au bon Dieu qu'elle contient!

      Elle s'était plantée devant l'immense armoire, elle la mesurait de son regard de feu, comme pour la prendre d'assaut, la saccager, l'anéantir, malgré la maigreur desséchée de ses quatre-vingts ans. Puis, avec un geste d'ironique dédain:

      – Encore, avec sa science, s'il pouvait tout savoir!

      Clotilde était restée absorbée, les yeux perdus. Elle reprit à demi-voix, oubliant des deux autres, se parlant, à elle-même:

      – C'est vrai, il ne peut tout savoir… Toujours, il y a autre chose, là-bas… C'est ce qui me fâche, c'est ce qui nous fait nous quereller parfois; car je ne puis pas, comme lui, mettre le mystère à part: je m'en inquiète, jusqu'à en être torturée… Là-bas, tout ce qui veut et agit dans le frisson de l'ombre, toutes les forces inconnues…

      Sa voix s'était ralentie peu à peu, tombée à un murmure indistinct.

      Alors, Martine, l'air sombre depuis un moment, intervint à son tour.

      – Si c'était vrai pourtant, mademoiselle, que monsieur se damnât avec tous ces vilains papiers! Dites, est-ce que nous le laisserions faire?.. Moi, voyez-vous, il me dirait de me jeter en bas de la terrasse, je fermerais les yeux et je me jetterais, parce que je sais qu'il a toujours raison. Mais, à son salut, oh! si je le pouvais, j'y travaillerais malgré lui. Par tous les moyens, oui! je le forcerais, ça m'est trop cruel de penser qu'il ne sera pas dans le ciel avec nous.

      – Voilà qui est très bien, ma fille, approuva Félicité. Vous aimez au moins votre maître d'une façon intelligente.

      Entre elles deux, Clotilde semblait encore irrésolue. Chez elle, la croyance ne se pliait pas à la règle stricte du dogme, le sentiment religieux ne se matérialisait pas dans l'espoir d'un paradis, d'un lieu de délices, où l'on devait retrouver les siens. C'était simplement, en elle, un besoin d'au delà, une certitude que le vaste monde ne s'arrête point à la sensation, qu'il y a tout un autre monde inconnu, dont il faut tenir compte. Mais sa grand'mère si vieille, cette servante si dévouée, l'ébranlaient, dans sa tendresse inquiète pour son oncle. Ne l'aimaient-elles pas davantage, d'une façon plus éclairée et plus droite, elles qui le voulaient sans tache, dégagé de ses manies de savant, assez pur pour être parmi les élus? Des phrases de livres dévots lui revenaient, la continuelle bataille livrée à l'esprit du mal, la gloire des conversions emportées de haute lutte. Si elle se mettait à cette besogne sainte, si pourtant, malgré lui, elle le sauvait! Et une exaltation, peu à peu, gagnait son esprit, tourné volontiers aux entreprises aventureuses.

      – Certainement, finit-elle par dire, je serais très heureuse qu'il ne se cassât pas la tête, à entasser ces bouts de papier, et qu'il vint avec nous à l'église.

      En la voyant près de céder, madame Rougon s'écria qu'il fallait agir, et Martine elle-même pesa de toute sa réelle autorité. Elles s'étaient rapprochées, elles endoctrinaient la jeune fille, baissant la voix, comme pour un complot, d'où sortirait un miraculeux bienfait, une joie divine dont la maison entière serait parfumée. Quel triomphe, si l'on réconciliait le docteur avec Dieu! et quelle douceur ensuite, à vivre ensemble, dans la communion céleste d'une même foi!

      – Enfin, que dois-je faire? demanda Clotilde, vaincue, conquise.

      Mais, à ce moment, dans le silence, le pilon du docteur reprit plus haut, de son rythme régulier. Et Félicité victorieuse, qui allait parler, tourna la tête avec inquiétude, regarda un instant la porte de la chambre voisine. Puis, à demi-voix:

      – Tu sais où est la clef de l'armoire?

      Clotilde ne répondit pas, eut un simple geste, pour dire toute sa répugnance à trahir ainsi son maître.

      – Que tu es enfant! Je te jure de ne rien prendre, je ne dérangerai même rien… Seulement, n'est-ce pas? puisque nous sommes seules, et que jamais Pascal ne reparaît avant le dîner, nous pourrions nous assurer de ce qu'il y a là dedans… Oh! rien qu'un coup d'oeil, ma parole d'honneur!

      La jeune fille, immobile, ne consentait toujours pas.

      – Et puis, peut-être que je me trompe, il n'y a sans doute là aucune des mauvaises choses que je t'ai dites.

      Ce fut décisif, elle courut prendre dans le tiroir la clef, elle ouvrit elle-même l'armoire toute grande.

      – Tiens! grand'mère, les dossiers sont là-haut.

      Martine, sans une parole, était allée se planter à la porte de la chambre, l'oreille au guet, écoutant le pilon, tandis que Félicité, clouée sur place par l'émotion, regardait les dossiers. Enfin, c'étaient eux, ces dossiers terribles, dont le cauchemar empoisonnait sa vie! elle les voyait, elle allait les toucher, les emporter! Et elle se dressait, dans un allongement passionné de ses courtes jambes.

      – C'est trop haut, mon petit chat, dit-elle. Aides-moi, donne-les-moi!

      – Oh! ça, non, grand'mère… Prends une chaise.

      Félicité prit une chaise, monta lestement dessus. Mais elle était encore trop petite. D'un effort extraordinaire, elle se haussait, arrivait à se grandir, jusqu'à toucher du bout de ses ongles les chemises de fort papier bleu; et ses doigts se promenaient, se crispaient, avec des égratignements de griffes. Brusquement, il y eut un fracas: c'était un échantillon géologique, un fragment de marbre, qui se trouvait sur une planche inférieure, et qu'elle venait de faire tomber.

      Aussitôt, le pilon s'arrêta, et Martine dit d'une voix étouffée:

      – Méfiez-vous, le voici!

      Mais Félicité, désespérée, n'entendait pas, ne lâchait pas, lorsque Pascal entra vivement. Il avait cru à un malheur, à une chute, et il demeura stupéfié devant ce qu'il voyait: sa mère sur la chaise, le bras encore en l'air, tandis que Martine s'était écartée, et que Clotilde debout, très pale, attendait, sans détourner les yeux. Quand il eut compris, lui-même devint d'une blancheur de linge. Une colère terrible montait en lui.

      La vieille madame Rougon, d'ailleurs, ne se troubla aucunement. Dès qu'elle vit l'occasion perdue, elle sauta de la chaise, ne fit aucune allusion à la vilaine besogne dans laquelle il la surprenait.

      – Tiens, c'est toi! Je ne voulais pas te déranger… J'étais venue embrasser Clotilde. Mais voici près de deux heures que je bavarde, et je file bien vite. On m'attend chez moi, on ne doit plus savoir ce que je suis devenue… Au revoir, à dimanche!

      Elle s'en alla, très à l'aise, après avoir souri à son fils, qui était resté muet devant elle, respectueux. C'était une attitude prise par lui, depuis longtemps, pour éviter une explication qu'il sentait devoir être cruelle et dont il avait toujours eu peur. Il la connaissait, il voulait tout lui pardonner, dans sa large tolérance de savant qui faisait la part de l'hérédité, du milieu et des circonstances. Puis, n'était-elle pas sa mère? et cela aurait suffi; car, au milieu des effroyables coups que ses recherches portaient à la famille, il gardait une grande tendresse de coeur pour les siens.

      Lorsque sa mère ne fut plus là, sa colère éclata, s'abattit sur Clotilde. Il avait détourné

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