Paris. Emile Zola

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Paris - Emile Zola

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D'ailleurs, sans aucun prestige, il avait l'air d'un vieil herboriste. Mais le front était beau, large, uni, et sous les cheveux blancs ébouriffés luisaient encore des yeux de flamme.

      Quand il aperçut la main bandée, il s'écria:

      – Quoi donc, Guillaume, vous êtes blessé?

      Pierre se taisait, laissant son frère conter l'histoire, telle qu'il lui plairait de la dire. Celui-ci avait compris qu'il devait avouer la vérité, simplement, en omettant les circonstances.

      – Oui, dans une explosion, et je crois bien que j'ai le poignet cassé.

      Bertheroy l'examinait, remarquait ses moustaches brûlées, ses yeux de stupeur, où passait l'effarement des catastrophes. Il devint sérieux, circonspect, sans chercher par des questions à forcer les confidences.

      – Ah! bah! une explosion… Me permettez-vous de voir la plaie? Vous savez qu'avant de me laisser séduire par la chimie, j'ai fait mes études de médecine, et que je suis un peu chirurgien.

      Pierre ne put retenir ce cri de son cœur:

      – Oui, oui! maître, voyez la blessure… J'étais bien inquiet, c'est une chance inespérée que vous vous trouviez là.

      Le savant le regarda, sentit la gravité des circonstances qu'on lui cachait. Et, comme Guillaume consentait, avec un sourire, en pâlissant de faiblesse, il voulut d'abord qu'on le couchât. La servante revenait dire que le lit était prêt, tous passèrent dans la chambre voisine, où le blessé fut déshabillé et mis au lit.

      – Eclairez-moi, Pierre, prenez la lampe, et que Sophie me donne une cuvette pleine d'eau, avec des linges.

      Puis, lorsqu'il eut doucement lavé la plaie:

      – Diable! diable!.. Le poignet n'est pas cassé, mais c'est une vilaine affaire tout de même. Je crains qu'il n'y ait une lésion de l'os… Ce sont des clous qui ont traversé les chairs, n'est-ce pas?

      Ne recevant pas de réponse, il se tut. Sa surprise croissait, il se mit à examiner avec attention la main que la flamme avait noircie, il finit même par flairer la manche de la chemise, pour mieux se rendre compte. Evidemment, il reconnaissait les effets d'un de ces explosifs nouveaux, que lui-même avait si savamment étudiés et pour ainsi dire créés. Mais, pourtant, celui-ci devait le dérouter, car il y avait là des traces, des caractères, dont l'inconnu lui échappait.

      – Alors, se décida-t-il à demander enfin, emporté par sa curiosité de savant, c'est dans une explosion de laboratoire que vous vous êtes arrangé de cette belle façon?.. Quelle diablesse de poudre étiez-vous donc en train de fabriquer?

      Malgré sa souffrance, Guillaume, depuis qu'il le voyait étudier ainsi sa blessure, témoignait une contrariété, une agitation croissante, comme si le vrai secret qu'il voulait garder eût été là, dans cette poudre dont le premier essai venait de si cruellement l'atteindre. Il coupa court, il dit de son air de passion contenue, les yeux droits et francs:

      – Je vous en prie, maître, ne me questionnez pas. Je ne puis vous répondre… Je sais que vous êtes un assez noble esprit pour me soigner et m'aimer encore, sans exiger ma confession.

      – Ah! certes, mon ami, s'écria Bertheroy, gardez votre secret. Votre découverte est à vous, si vous en avez fait une, et je vous sais capable de l'employer au plus généreux usage. D'ailleurs, vous devez me savoir, vous aussi, bien trop passionné de vérité, résolu à ne jamais juger les actes des autres, quels qu'ils soient, avant d'en connaître toutes les raisons.

      Et, d'un geste, il acheva de dire sa large tolérance, son esprit souverain, dégagé des ignorances et des superstitions, qui faisait de lui, sous les ordres dont il était chamarré, sous ses titres universitaires et académiques de savant officiel, l'intelligence la plus hardie, la plus libre, uniquement passionnée de vérité, comme il le disait.

      Il n'avait pas les outils nécessaires, il se contenta de panser la plaie avec soin, après s'être assuré qu'aucune parcelle des projectiles n'était restée dans les chairs. Enfin, il partit, en promettant d'être là, le lendemain, de bonne heure. Et, comme le prêtre l'accompagnait jusqu'à la porte de la rue, il le rassura: si l'os n'avait pas été atteint trop profondément, tout irait bien.

      Pierre, de retour près du lit, y trouva son frère assis encore sur son séant, puisant une énergie dernière dans son désir d'écrire aux siens, pour les rassurer. Il dut reprendre la lampe et l'éclairer de nouveau, après lui avoir donné du papier et un crayon. Heureusement, Guillaume avait le libre usage de sa main droite. Il put, en quelques lignes, annoncer qu'il ne rentrerait pas à madame Leroi, sa belle-mère, qui était restée chez lui, après la mort de sa femme, et qui avait élevé ses trois grands fils. En outre, Pierre savait qu'il y avait, dans la maison, une jeune fille de vingt-cinq à vingt-six ans, la fille d'un ancien ami de Guillaume, recueillie par celui-ci à la mort du père, et qu'il devait épouser prochainement, malgré la grande différence d'âges. Mais c'étaient là, pour le prêtre, des choses vagues et troublantes, tout un côté de désordre condamnable, qu'il avait toujours feint d'ignorer.

      – Alors, tu veux qu'on porte tout de suite cette lettre à Montmartre?

      – Oui, tout de suite. Il n'est guère plus de sept heures, elle sera là-bas vers huit heures… Et un homme sûr, n'est-ce pas?

      – Le mieux est que Sophie prenne un fiacre. Avec elle, on peut être sans crainte, elle ne bavardera pas… Attends, je vais arranger cela.

      Sophie, appelée, comprit, promit de dire là-bas, si on la questionnait, que monsieur Guillaume était venu passer la nuit chez son frère, pour des raisons qu'elle ignorait. Et, sans faire aucune réflexion elle-même, elle s'en alla, après avoir dit simplement:

      – Le dîner de monsieur l'abbé est servi, il n'aura qu'à prendre le bouillon et le ragoût sur le fourneau.

      Mais, cette fois, quand Pierre revint s'asseoir près du lit, Guillaume y était retombé sur le dos, la tête soutenue par deux oreillers, très las, très pâle, envahi par la fièvre. La lampe brûlait doucement au coin d'un meuble, la paix était si profonde, qu'on entendait battre la grosse horloge, dans la salle à manger voisine. Un instant, ce grand silence régna autour des deux frères, enfin réunis et seuls, après tant d'années de séparation. Puis, le blessé avança au bord du drap sa bonne main, que le prêtre saisit, serra tendrement dans la sienne. Et cette étreinte se prolongea, et les deux mains fraternelles restèrent l'une dans l'autre.

      – Mon pauvre petit Pierre, murmura très bas Guillaume, pardonne-moi de tomber ici de la sorte. J'envahis la maison, je prends ton lit, je t'empêche de dîner…

      – Ne parle pas, ne te fatigue pas davantage, interrompit Pierre. Où veux-tu donc aller, si ce n'est ici, quand tu es dans la peine?

      La main fiévreuse du blessé eut une pression plus chaude, tandis que ses yeux se mouillaient.

      – Merci, mon petit Pierre. Je te retrouve, tu es doux et tendre comme autrefois… Ah! tu ne peux savoir combien cela m'est délicieux en ce moment!

      A leur tour, les yeux du prêtre s'obscurcirent. Les deux frères, au milieu de ce grand calme, de ce grand bien-être succédant à des émotions si violentes, éprouvaient un charme infini à se retrouver de la sorte, dans la maison de leur enfance. C'était là que leur père et leur mère étaient morts, le père tragiquement, foudroyé par une explosion de laboratoire, la mère, très pieuse, en véritable sainte. C'était là, dans ce même lit, que Guillaume avait soigné Pierre, lorsque, leur

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