Paris. Emile Zola

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Paris - Emile Zola страница 3

Paris - Emile Zola

Скачать книгу

plus que le cri du peuple, du grand muet, demandant justice, grondant et menaçant de reprendre sa part, qu'on détenait par la force et la ruse. Plus rien ne pouvait retarder la catastrophe inévitable, la guerre fratricide des classes qui emporterait le vieux monde, condamné à disparaître sous l'amas de ses crimes. A chaque heure, il en attendait l'effondrement, Paris noyé de sang, Paris en flamme, dans une tristesse affreuse. Et son horreur de la violence le glaçait, il ne savait où prendre la croyance nouvelle qui devait conjurer le péril, ayant bien conscience que le problème social et religieux ne faisait qu'un, était seul en question dans l'effroyable et quotidien labeur de Paris, mais trop troublé lui-même, trop mis à l'écart par la prêtrise, trop déchiré de doute et d'impuissance, pour dire encore où était la vérité, la santé, la vie. Ah! être sain, vivre, contenter enfin sa raison et son cœur, dans la paix, dans la besogne certaine, simplement honnête, que l'homme est venu accomplir sur la terre!

      La messe était dite, et Pierre descendait de l'autel, quand la mère en larmes, près de laquelle il passait, saisit de ses mains tremblantes un coin de la chasuble et la baisa éperdument, comme on baise la relique du saint dont on attend le salut. Elle le remerciait du miracle qu'il avait dû faire, certaine de retrouver son enfant guéri. Il fut profondément ému de cet amour, de cette foi brûlante, malgré la brusque détresse qu'il éprouva plus affreuse, à n'être pas le ministre souverain que cette femme croyait, capable d'obtenir un sursis de la mort. Mais il la renvoyait consolée, raffermie, et ce fut d'un vœu ardent qu'il supplia la Force ignorée et consciente, s'il en existait une, de venir en aide à la pauvre créature. Puis, lorsqu'il se fut dévêtu, dans la sacristie, et qu'il se retrouva dehors, devant la basilique, fouetté par la bise d'hiver, un frisson mortel le reprit et le glaça, tandis qu'il regardait, au travers de la brume, si l'ouragan de colère et de justice n'avait pas balayé Paris, la catastrophe attendue qui devait l'engloutir un matin, en ne laissant, sous le ciel de plomb, que le marais empesté de ses décombres.

      Tout de suite, Pierre voulut faire la commission de l'abbé Rose. Il suivit la rue de Norvins, sur la crête de Montmartre, gagna la rue des Saules, dont il descendit la pente raide, entre des murs moussus, de l'autre côté de Paris. Les trois francs qu'il tenait dans sa main, au fond de la poche de sa soutane, l'emplissaient à la fois d'une émotion attendrie et d'une sourde colère contre l'inutile charité. Mais, à mesure qu'il dévalait, par les raidillons, par les étages d'escaliers interminables, des coins de misère entrevus le reprenaient, une infinie pitié lui serrait le cœur. Il y avait là tout un quartier neuf en construction, le long des larges voies ouvertes, depuis les grands travaux du Sacré-Cœur. De hautes et bourgeoises maisons se dressaient déjà, au milieu des jardins éventrés, parmi des terrains vagues, entourés encore de palissades. Et, avec leurs façades cossues, d'une blancheur neuve, elles ne faisaient que rendre plus sombres, plus lépreuses, les vieilles bâtisses branlantes restées debout, des guinguettes louches aux murs sang de bœuf, des cités de souffrance aux bâtiments noirs et souillés, où du bétail humain s'entassait. Ce jour-là, sous le ciel bas, la boue noyait le pavé défoncé par les charrois, le dégel trempait les murs d'une humidité glaciale, tandis qu'une tristesse atroce montait de tant de saleté et de souffrance.

      Pierre, qui était allé jusqu'à la rue Marcadet, revint sur ses pas. Il entra, rue des Saules, certain de ne pas se tromper, dans la cour d'une sorte de caserne ou d'hôpital, que trois bâtiments irréguliers entouraient. Cette cour était un cloaque, où les ordures avaient dû s'amasser pendant les deux mois de terrible gelée; et tout fondait maintenant, une abominable odeur s'exhalait du lac de fange immonde. Les bâtiments croulaient à demi, des vestibules béants s'ouvraient comme des trous de cave, des taies de papier bariolaient les vitres crasseuses, des loques pendaient infâmes, telles que des drapeaux de mort. Au fond de l'échoppe qui servait de loge au concierge, Pierre n'aperçut qu'un homme infirme, roulé dans le lambeau sans nom d'une ancienne couverture de cheval.

      – Vous avez ici un vieil ouvrier du nom de Laveuve. Quel escalier, quel étage?

      L'homme ne répondit pas, arrondit des yeux inquiets d'idiot qui s'effare. Sans doute la concierge était dans le voisinage. Un instant, le prêtre attendit; puis, apercevant une petite fille au fond de la cour, il se hasarda, traversa le cloaque sur la pointe des pieds.

      – Mon enfant, connais-tu, dans la maison, un vieil ouvrier qui s'appelle Laveuve?

      La petite fille, dont le maigre corps n'était vêtu que d'une robe de toile rose, en guenilles, grelottait, les mains couvertes d'engelures. Elle leva son fin visage, joli sous les morsures du froid.

      – Laveuve, non, sais pas, sais pas…

      Et, de son geste inconscient de mendiante, elle tendit l'une de ses pauvres mains, gourdes et massacrées. Puis, lorsqu'il lui eut donné une petite pièce blanche, elle se mit à galoper, telle qu'une chèvre joyeuse, au travers de la boue, en chantant d'une voix aiguë:

      – Sais pas, sais pas, sais pas…

      Il prit le parti de la suivre. Elle avait disparu dans un des vestibules béants, et il monta derrière elle un escalier sombre et fétide, aux marches à demi rompues, rendues si glissantes par des épluchures de légumes, qu'il dut s'aider de la corde graisseuse, grâce à laquelle on se hissait. Mais toutes les portes étaient closes, il frappa inutilement à plusieurs, il n'obtint à la dernière que des grognements étouffés, comme si quelque animal désespéré était enfermé là. Redescendu dans la cour, il hésita, puis s'engagea dans un autre escalier. Et, cette fois, il fut assourdi par des cris perçants, des cris d'enfant qu'on égorge. Il monta au bruit, il finit par se trouver devant une chambre grande ouverte, dans laquelle un enfant, laissé seul, attaché sur sa petite chaise, sans doute pour qu'il ne tombât pas, hurlait sans reprendre haleine. Il redescendit de nouveau, bouleversé, le sang glacé par tant de dénuement et d'abandon.

      Mais une femme rentrait, rapportant trois pommes de terre dans son tablier; et, comme il la questionnait, elle regarda sa soutane avec méfiance.

      – Laveuve, Laveuve, je ne peux pas dire. Si la concierge était là, elle vous dirait peut-être… Vous comprenez, il y a cinq escaliers, on ne se connaît pas tous, et puis ça change si souvent… Voyez tout de même là, au fond.

      Cet escalier du fond était plus abominable que les autres, les marches déjetées, les murs gluants, comme trempés d'une sueur d'angoisse. A chaque palier, les plombs soufflaient une haleine de peste, et de chaque logement sortaient des plaintes, des querelles, un affreux dégoût de misère. Une porte battit, un homme apparut, traînant une femme par les cheveux, pendant que trois mioches pleuraient. A l'étage supérieur, ce fut, dans une pièce entrevue, la vision d'une fille chétive et toussant, la gorge flétrie déjà, qui promenait violemment un poupon, pour le faire taire, désespérée de n'avoir plus de lait. Puis, ce fut encore, dans un logement d'à côté, la vue poignante de trois êtres, à demi vêtus de haillons, sans sexe ni âge, qui, au milieu de la nudité absolue de la chambre, mangeaient gloutonnement, à la même terrine, une pâtée dont les chiens n'auraient pas voulu. Ils levèrent à peine la tête, grondèrent, ne répondirent pas aux questions.

      Pierre allait redescendre, lorsque, tout en haut, à l'entrée d'un couloir, il tenta une dernière fois de frapper à une porte. Une femme ouvrit, dont les cheveux dépeignés grisonnaient déjà, bien qu'elle ne dût pas avoir plus de quarante ans; et ses lèvres pâlies, ses yeux meurtris, dans sa face jaune, exprimaient une lassitude extrême, un air d'effacement et de continuelle crainte, sous l'acharnée misère. Elle se troubla, à la vue de la soutane, elle balbutia, inquiète:

      – Entrez, entrez, monsieur l'abbé.

      Mais un homme, que Pierre n'avait pas vu d'abord, un ouvrier d'une quarantaine d'années aussi, grand, maigre, chauve, un roux décoloré, les moustaches et la barbe rares, eut un geste de violence, la sourde menace de jeter le prêtre à l'a porte. Il se calma, s'assit près d'une table boiteuse, affecta de tourner le dos.

Скачать книгу