Romans et contes. Gautier Théophile

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Romans et contes - Gautier Théophile

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palier de l’étage unique était pavé de mosaïques d’un précieux travail, et aux parois, des cordes de soie suspendaient quatre tableaux de Paris Bordone, de Bonifazzio, de Palma le Vieux et de Paul Véronèse, dont le style architectural et pompeux s’harmonisait avec la magnificence de l’escalier.

      Sur ce palier s’ouvrait une haute porte de serge relevée de clous dorés; Octave-Labinski la poussa et se trouva dans une vaste antichambre où sommeillaient quelques laquais en grande tenue, qui, à son approche, se levèrent comme poussés par des ressorts et se rangèrent le long des murs avec l’impassibilité d’esclaves orientaux.

      Il continua sa route. Un salon blanc et or, où il n’y avait personne, suivait l’antichambre. Octave tira une sonnette. Une femme de chambre parut.

      «Madame peut-elle me recevoir?

      – Madame la comtesse est en train de se déshabiller, mais tout à l’heure elle sera visible.»

      VII

      Resté seul avec le corps d’Octave de Saville, habité par l’âme du comte Olaf Labinski, le docteur Balthazar Cherbonneau se mit en devoir de rendre cette forme inerte à la vie ordinaire. Au bout de quelques passes Olaf-de Saville (qu’on nous permette de réunir ces deux noms pour désigner un personnage double) sortit comme un fantôme des limbes du profond sommeil, ou plutôt de la catalepsie qui l’enchaînait, immobile et roide, sur l’angle du divan; il se leva avec un mouvement automatique que la volonté ne dirigeait pas encore, et chancelant sous un vertige mal dissipé. Les objets vacillaient autour de lui, les incarnations de Wishnou dansaient la sarabande le long des murailles, le docteur Cherbonneau lui apparaissait sous la figure du sannyâsi d’Elephanta, agitant ses bras comme des ailerons d’oiseau et roulant ses prunelles bleues dans des orbes de rides brunes, pareils à des cercles de besicles; – les spectacles étranges auxquels il avait assisté avant de tomber dans l’anéantissement magnétique réagissaient sur sa raison, et il ne se reprenait que lentement à la réalité: il était comme un dormeur réveillé brusquement d’un cauchemar, qui prend encore pour des spectres ses vêtements épars sur les meubles, avec de vagues formes humaines, et pour des yeux flamboyants de cyclope les patères de cuivre des rideaux, simplement illuminées par le reflet de la veilleuse.

      Peu à peu cette fantasmagorie s’évapora; tout revint à son aspect naturel; M. Balthazar Cherbonneau ne fut plus un pénitent de l’Inde, mais un simple docteur en médecine, qui adressait à son client un sourire d’une bonhomie banale.

      «Monsieur le comte est-il satisfait des quelques expériences que j’ai eu l’honneur de faire devant lui? disait-il avec un ton d’obséquieuse humilité où l’on aurait pu démêler une légère nuance d’ironie; – j’ose espérer qu’il ne regrettera pas trop sa soirée et qu’il partira convaincu que tout ce qu’on raconte sur le magnétisme n’est pas fable et jonglerie, comme le prétend la science officielle.»

      Olaf-de Saville répondit par un signe de tête en manière d’assentiment, et sortit de l’appartement accompagné du docteur Cherbonneau, qui lui faisait de profonds saluts à chaque porte.

      Le brougham s’avança en rasant les marches, et l’âme du mari de la comtesse Labinska y monta avec le corps d’Octave de Saville sans trop se rendre compte que ce n’était là ni sa livrée ni sa voiture.

      Le cocher demanda où monsieur allait.

      «Chez moi,» répondit Olaf-de Saville, confusément étonné de ne pas reconnaître la voix du chasseur vert qui, ordinairement, lui adressait cette question avec un accent hongrois des plus prononcés. Le brougham où il se trouvait était tapissé de damas bleu foncé; un satin bouton d’or capitonnait son coupé, et le comte s’étonnait de cette différence tout en l’acceptant comme on fait dans le rêve où les objets habituels se présentent sous des aspects tout autres sans pourtant cesser d’être reconnaissables; il se sentait aussi plus petit que de coutume; en outre, il lui semblait être venu en habit chez le docteur, et, sans se souvenir d’avoir changé de vêtement, il se voyait habillé d’un paletot d’été en étoffe légère qui n’avait jamais fait partie de sa garde-robe; son esprit éprouvait une gêne inconnue, et ses pensées, le matin si lucides, se débrouillaient péniblement. Attribuant cet état singulier aux scènes étranges de la soirée, il ne s’en occupa plus, il appuya sa tête à l’angle de la voiture, et se laissa aller à une rêverie flottante, à une vague somnolence qui n’était ni la veille ni le sommeil.

      Le brusque arrêt du cheval et la voix du cocher criant «La porte!» le rappelèrent à lui; il baissa la glace, mit la tête dehors et vit à la clarté du réverbère une rue inconnue, une maison qui n’était pas la sienne.

      «Où diable me mènes-tu, animal? s’écria-t-il; sommes-nous donc faubourg Saint-Honoré, hôtel Labinski?

      – Pardon, monsieur; je n’avais pas compris,» grommela le cocher en faisant prendre à sa bête la direction indiquée.

      Pendant le trajet, le comte transfiguré se fit plusieurs questions auxquelles il ne pouvait répondre. Comment sa voiture était-elle partie sans lui, puisqu’il avait donné ordre qu’on l’attendît? Comment se trouvait-il lui-même dans la voiture d’un autre? Il supposa qu’un léger mouvement de fièvre troublait la netteté de ses perceptions, ou que peut-être le docteur thaumaturge, pour frapper plus vivement sa crédulité, lui avait fait respirer pendant son sommeil quelque flacon de haschich ou de toute autre drogue hallucinatrice dont une nuit de repos dissiperait les illusions.

      La voiture arriva à l’hôtel Labinski; le suisse, interpellé, refusa d’ouvrir la porte, disant qu’il n’y avait pas de réception ce soir-là, que monsieur était rentré depuis plus d’une heure et madame retirée dans ses appartements.

      «Drôle, es-tu ivre ou fou? dit Olaf-de Saville en repoussant le colosse qui se dressait gigantesquement sur le seuil de la porte entre-bâillée, comme une de ces statues en bronze qui, dans les contes arabes défendent aux chevaliers errants l’accès des châteaux enchantés.

      «Ivre ou fou vous-même, mon petit monsieur,» répliqua le suisse, qui, de cramoisi qu’il était naturellement, devint bleu de colère.

      – Misérable! rugit Olaf-de Saville, si je ne me respectais…

      – Taisez-vous ou je vais vous casser sur mon genou et jeter vos morceaux sur le trottoir, répliqua le géant en ouvrant une main plus large et plus grande que la colossale main de plâtre exposée chez le gantier de la rue Richelieu; il ne faut pas faire le méchant avec moi, mon petit jeune homme parce qu’on a bu une ou deux bouteilles de vin de Champagne de trop.»

      Olaf-de Saville, exaspéré, repoussa le suisse si rudement, qu’il pénétra sous le porche. Quelques valets qui n’étaient pas couchés encore accoururent au bruit de l’altercation.

      «Je te chasse, bête brute, brigand, scélérat! je ne veux pas même que tu passes la nuit à l’hôtel; sauve-toi, ou je te tue comme un chien enragé. Ne me fais pas verser l’ignoble sang d’un laquais.»

      Et le comte, dépossédé de son corps, s’élançait les yeux injectés de rouge, l’écume aux lèvres, les poings crispés, vers l’énorme suisse, qui, rassemblant les deux mains de son agresseur dans une des siennes, les y maintint presque écrasées par l’étau de ses gros doigts courts, charnus et noueux comme ceux d’un tortionnaire du moyen âge.

      «Voyons, du calme, disait le géant, assez bonasse au fond, qui ne redoutait plus rien de son adversaire et lui imprimait quelques saccades pour le tenir en respect. – Y a-t-il du bon sens de se mettre dans des états pareils quand on est vêtu

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