Romans et contes. Gautier Théophile

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Romans et contes - Gautier Théophile

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mon moi, et je ne la rendrai qu’en pièces à son premier possesseur. Si je retournais à l’hôtel! Non! – Je ferais un scandale inutile, et le Suisse me jetterait à la porte, car je n’ai plus de vigueur dans cette robe de chambre de malade; voyons, cherchons, car il faut que je sache un peu la vie de cet Octave de Saville qui est moi maintenant. Et il essaya d’ouvrir le portefeuille. Le ressort touché par hasard céda, et le comte tira, des poches de cuir, d’abord plusieurs papiers, noircis d’une écriture serrée et fine, ensuite un carré de vélin; – sur le carré de vélin une main peu habile, mais fidèle, avait dessiné, avec la mémoire du cœur et la ressemblance que n’atteignent pas toujours les grands artistes, un portrait au crayon de la comtesse Prascovie Labinska, qu’il était impossible de ne pas reconnaître du premier coup d’œil.

      Le comte demeura stupéfait de cette découverte. A la surprise succéda un furieux mouvement de jalousie; comment le portrait de la comtesse se trouvait-il dans le portefeuille secret de ce jeune homme inconnu, d’où lui venait-il, qui l’avait fait, qui l’avait donné? Cette Prascovie si religieusement adorée serait-elle descendue de son ciel d’amour dans une intrigue vulgaire? Quelle raillerie infernale l’incarnait, lui, le mari, dans le corps de l’amant de cette femme, jusque-là crue si pure? – Après avoir été l’époux, il allait être le galant! Sarcastique métamorphose, renversement de position à devenir fou, il pourrait se tromper lui-même, être à la fois Clitandre et Georges Dandin!

      Toutes ces idées bourdonnaient tumultueusement dans son crâne; il sentait sa raison près de s’échapper, et il fit, pour reprendre un peu de calme, un effort suprême de volonté. Sans écouter Jean qui l’avertissait que le déjeuner était servi, il continua avec une trépidation nerveuse l’examen du portefeuille mystérieux.

      Les feuillets composaient une espèce de journal psychologique, abandonné et repris à diverses époques; en voici quelques fragments, dévorés par le comte avec une curiosité anxieuse:

      «Jamais elle ne m’aimera, jamais, jamais! J’ai lu dans ses yeux si doux ce mot si cruel, que Dante n’en a pas trouvé de plus dur pour l’inscrire sur les portes de bronze de la Cité Dolente: «Perdez tout espoir.» Qu’ai-je fait à Dieu pour être damné vivant? Demain, après-demain, toujours, ce sera la même chose! Les astres peuvent entre-croiser leurs orbes, les étoiles en conjonction former des nœuds, rien dans mon sort ne changera. D’un mot, elle a dissipé le rêve; d’un geste, brisé l’aile à la chimère. Les combinaisons fabuleuses des impossibilités ne m’offrent aucune chance; les chiffres, rejetés un milliard de fois dans la roue de la fortune, n’en sortiraient pas, – il n’y a pas de numéro gagnant pour moi!»

      «Malheureux que je suis! je sais que le paradis m’est fermé et je reste stupidement assis au seuil, le dos appuyé à la porte, qui ne doit pas s’ouvrir, et je pleure en silence, sans secousses, sans efforts, comme si mes yeux étaient des sources d’eau vive. Je n’ai pas le courage de me lever et de m’enfoncer au désert immense ou dans la Babel tumultueuse des hommes.»

      «Quelquefois, quand, la nuit, je ne puis dormir, je pense à Prascovie; – si je dors, j’en rêve; – oh! qu’elle était belle ce jour-là, dans le jardin de la villa Salviati, à Florence! – Cette robe blanche et ces rubans noirs, – c’était charmant et funèbre! Le blanc pour elle, le noir pour moi! – Quelquefois les rubans, remués par la brise, formaient une croix sur ce fond d’éclatante blancheur; un esprit invisible disait tout bas la messe de mort de mon cœur.»

      «Si quelque catastrophe inouïe mettait sur mon front la couronne des empereurs et des califes, si la terre saignait pour moi ses veines d’or, si les mines de diamant de Golconde et de Visapour me laissaient fouiller dans leurs gangues étincelantes, si la lyre de Byron résonnait sous mes doigts, si les plus parfaits chefs-d’œuvre de l’art antique et moderne me prêtaient leurs beautés, si je découvrais un monde, eh bien, je n’en serais pas plus avancé pour cela!»

      «A quoi tient la destinée! j’avais envie d’aller à Constantinople, je ne l’aurais pas rencontrée; je reste à Florence, je la vois et je meurs.»

      «Je me serais bien tué; mais elle respire dans cet air où nous vivons, et peut-être ma lèvre avide aspirera-t-elle – ô bonheur ineffable! – une effluve lointaine de ce souffle embaumé; et puis l’on assignerait à mon âme coupable une planète d’exil, et je n’aurais pas la chance de me faire aimer d’elle dans l’autre vie. – Être encore séparés là-bas, elle au paradis, moi en enfer: pensée accablante!»

      «Pourquoi faut-il que j’aime précisément la seule femme qui ne peut m’aimer! d’autres qu’on dit belles, qui étaient libres, me souriaient de leur sourire le plus tendre et semblaient appeler un aveu qui ne venait pas. Oh! qu’il est heureux, lui! Quelle sublime vie antérieure Dieu récompense-t-il en lui par le don magnifique de cet amour?»

      …Il était inutile d’en lire davantage. Le soupçon que le comte avait pu concevoir à l’aspect du portrait de Prascovie s’était évanoui dès les premières lignes de ces tristes confidences. Il comprit que l’image chérie, recommencée mille fois, avait été caressée loin du modèle avec cette patience infatigable de l’amour malheureux, et que c’était la madone d’une petite chapelle mystique, devant laquelle s’agenouillait l’adoration sans espoir.

      «Mais si cet Octave avait fait un pacte avec le diable pour me dérober mon corps et surprendre sous ma forme l’amour de Prascovie!»

      L’invraisemblance, au dix-neuvième siècle, d’une pareille supposition, la fit bientôt abandonner au comte, qu’elle avait cependant étrangement troublé.

      Souriant lui-même de sa crédulité, il mangea, refroidi, le déjeuner servi par Jean, s’habilla et demanda la voiture. Lorsqu’on eut attelé, il se fit conduire chez le docteur Balthazar Cherbonneau; il traversa ces salles où la veille il était entré s’appelant encore le comte Olaf Labinski, et d’où il était sorti salué par tout le monde du nom d’Octave de Saville. Le docteur était assis, comme à son ordinaire, sur le divan de la pièce du fond, tenant son pied dans sa main, et paraissait plongé dans une méditation profonde.

      Au bruit des pas du comte, le docteur releva la tête.

      «Ah! c’est vous, mon cher Octave; j’allais passer chez vous; mais c’est bon signe quand le malade vient voir le médecin.

      – Toujours Octave! dit le comte, je crois que j’en deviendrai fou de rage!» Puis, se croisant les bras, il se plaça devant le docteur, et, le regardant avec une fixité terrible:

      «Vous savez bien, monsieur Balthazar Cherbonneau, que je ne suis pas Octave, mais le comte Olaf Labinski, puisque hier soir vous m’avez, ici même, volé ma peau au moyen de vos sorcelleries exotiques.»

      A ces mots, le docteur partit d’un énorme éclat de rire, se renversa sur ses coussins, et se mit les poings au côté pour contenir les convulsions de sa gaieté.

      «Modérez, docteur, cette joie intempestive dont vous pourriez vous repentir. Je parle sérieusement.

      – Tant pis, tant pis! cela prouve que l’anesthésie et l’hypocondrie pour laquelle je vous soignais se tournent en démence. Il faudra changer le régime, voilà tout.

      – Je ne sais à quoi tient, docteur du diable, que je ne vous étrangle de mes mains,» cria le comte en s’avançant vers Cherbonneau.

      Le docteur sourit de la menace du comte, qu’il toucha du bout d’une petite baguette d’acier. – Olaf-de Saville reçut une commotion terrible et crut qu’il avait le bras cassé.

      «Oh! nous avons les moyens de réduire les malades

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