Romans et contes. Gautier Théophile

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Romans et contes - Gautier Théophile

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gris le col de neige du cygne. Dans l’interstice des plis bouillonnaient les dentelles d’un peignoir de batiste, parure nocturne que ne retenait aucune ceinture; les cheveux de la comtesse étaient défaits et s’allongeaient derrière elle en nappes opulentes comme le manteau d’une impératrice. – Certes, les torsades d’or fluide dont la Vénus Aphrodite exprimait des perles, agenouillée dans sa conque de nacre, lorsqu’elle sortit comme une fleur des mers de l’azur ionien, étaient moins blondes, moins épaisses, moins lourdes! Mêlez l’ambre du Titien et l’argent de Paul Véronèse avec le vernis d’or de Rembrandt; faites passer le soleil à travers la topaze, et vous n’obtiendrez pas encore le ton merveilleux de cette opulente chevelure, qui semblait envoyer la lumière au lieu de la recevoir, et qui eût mérité mieux que celle de Bérénice de flamboyer, constellation nouvelle, parmi les anciens astres! Deux femmes la divisaient, la polissaient, la crespelaient et l’arrangeaient en boucles soigneusement massées pour que le contact de l’oreiller ne la froissât pas.

      Pendant cette opération délicate, la comtesse faisait danser au bout de son pied une babouche de velours blanc brodée de canetille d’or, petite à rendre jalouses les khanouns et les odalisques du Padischa. Parfois, rejetant les plis soyeux du bournous, elle découvrait son bras blanc, et repoussait de la main quelques cheveux échappés, avec un mouvement d’une grâce mutine.

      Ainsi abandonnée dans sa pose nonchalante, elle rappelait ces sveltes figures de toilettes grecques qui ornent les vases antiques et dont aucun artiste n’a pu retrouver le pur et suave contour, la beauté jeune et légère; elle était mille fois plus séduisante encore que dans le jardin de la villa Salviati à Florence; et si Octave n’avait pas été déjà fou d’amour, il le serait infailliblement devenu; mais, par bonheur, on ne peut rien ajouter à l’infini.

      Octave-Labinski sentit à cet aspect, comme s’il eût vu le spectacle le plus terrible, ses genoux s’entre-choquer et se dérober sous lui. Sa bouche se sécha, et l’angoisse lui étreignit la gorge comme la main d’un Thugg; des flammes rouges tourbillonnèrent autour de ses yeux. Cette beauté le médusait.

      Il fit un effort de courage, se disant que ces manières effarées et stupides, convenables à un amant repoussé, seraient parfaitement ridicules de la part d’un mari, quelque épris qu’il pût être encore de sa femme, et il marcha assez résolûment vers la comtesse.

      «Ah! c’est vous, Olaf! comme vous rentrez tard ce soir!» dit la comtesse sans se retourner, car sa tête était maintenue par les longues nattes que tressaient ses femmes, et la dégageant des plis du bournous, elle lui tendit une de ses belles mains.

      Octave-Labinski saisit cette main plus douce et plus fraîche qu’une fleur, la porta à ses lèvres et y imprima un long, un ardent baiser, – toute son âme se concentrait sur cette petite place.

      Nous ne savons quelle délicatesse de sensitive, quel instinct de pudeur divine, quelle intuition irraisonnée du cœur avertit la comtesse: mais un nuage rose couvrit subitement sa figure, son col et ses bras, qui prirent cette teinte dont se colore sur les hautes montagnes la neige vierge surprise par le premier baiser du soleil. Elle tressaillit et dégagea lentement sa main, demi-fâchée, demi-honteuse; les lèvres d’Octave lui avaient produit comme une impression de fer rouge. Cependant elle se remit bientôt et sourit de son enfantillage.

      «Vous ne me répondez pas, cher Olaf; savez-vous qu’il y a plus de six heures que je ne vous ai vu; vous me négligez, dit-elle d’un ton de reproche; autrefois vous ne m’auriez pas abandonnée ainsi toute une longue soirée. Avez-vous pensé à moi seulement?

      – Toujours, répondit Octave-Labinski.

      – Oh! non, pas toujours; je sens quand vous pensez à moi, même de loin. Ce soir, par exemple, j’étais seule, assise à mon piano, jouant un morceau de Weber et berçant mon ennui de musique; votre âme a voltigé quelques minutes autour de moi dans le tourbillon sonore des notes; puis elle s’est envolée je ne sais où sur le dernier accord, et n’est pas revenue. Ne mentez pas, je suis sûre de ce que je dis.»

      Prascovie, en effet, ne se trompait pas; c’était le moment où chez le docteur Balthazar Cherbonneau le comte Olaf Labinski se penchait sur le verre d’eau magique, évoquant une image adorée de toute la force d’une pensée fixe. A dater de là, le comte, submergé dans l’océan sans fond du sommeil magnétique, n’avait plus eu ni idée, ni sentiment, ni volition.

      Les femmes, ayant achevé la toilette nocturne de la comtesse, se retirèrent; Octave-Labinski restait toujours debout, suivant Prascovie d’un regard enflammé. – Gênée et brûlée par ce regard, la comtesse s’enveloppa de son bournous comme la Polymnie de sa draperie. Sa tête seule apparaissait au-dessus des plis blancs et bleus, inquiète, mais charmante.

      Bien qu’aucune pénétration humaine n’eût pu deviner le mystérieux déplacement d’âmes opéré par le docteur Cherbonneau au moyen de la formule du Sannyâsi Brahmah-Logum, Prascovie ne reconnaissait pas, dans les yeux d’Octave-Labinski, l’expression ordinaire des yeux d’Olaf, celle d’un amour pur, calme, égal, éternel comme l’amour des anges; – une passion terrestre incendiait ce regard, qui la troublait et la faisait rougir. – Elle ne se rendait pas compte de ce qui s’était passé, mais il s’était passé quelque chose. Mille suppositions étranges lui traversèrent la pensée: n’était-elle plus pour Olaf qu’une femme vulgaire, désirée pour sa beauté comme une courtisane? l’accord sublime de leurs âmes avait-il été rompu par quelque dissonance qu’elle ignorait? Olaf en aimait-il une autre? les corruptions de Paris avaient-elles souillé ce chaste cœur? Elle se posa rapidement ces questions sans pouvoir y répondre d’une manière satisfaisante, et se dit qu’elle était folle; mais, au fond, elle sentait qu’elle avait raison. Une terreur secrète l’envahissait comme si elle eût été en présence d’un danger inconnu, mais deviné par cette seconde vue de l’âme, à laquelle on a toujours tort de ne pas obéir.

      Elle se leva agitée et nerveuse et se dirigea vers la porte de sa chambre à coucher. Le faux comte l’accompagna, un bras sur la taille, comme Othello reconduit Desdemone à chaque sortie dans la pièce de Shakspeare; mais quand elle fut sur le seuil, elle se retourna, s’arrêta un instant, blanche et froide comme une statue, jeta un coup d’œil effrayé au jeune homme, entra, ferma la porte vivement et poussa le verrou.

      «Le regard d’Octave!» s’écria-t-elle en tombant à demi évanouie sur une causeuse. Quand elle eut repris ses sens, elle se dit: «Mais comment se fait-il que ce regard, dont je n’ai jamais oublié l’expression, étincelle ce soir dans les yeux d’Olaf? Comment en ai-je vu la flamme sombre et désespérée luire à travers les prunelles de mon mari? Octave est-il mort? Est-ce son âme qui a brillé un instant devant moi comme pour me dire adieu avant de quitter cette terre! Olaf! Olaf! si je me suis trompée, si j’ai cédé follement à de vaines terreurs, tu me pardonneras; mais si je t’avais accueilli ce soir, j’aurais cru me donner à un autre.»

      La comtesse s’assura que le verrou était bien poussé, alluma la lampe suspendue au plafond, se blottit dans son lit comme un enfant peureux avec un sentiment d’angoisse indéfinissable, et ne s’endormit que vers le matin: des rêves incohérents et bizarres tourmentèrent son sommeil agité. – Des yeux ardents – les yeux d’Octave – se fixaient sur elle du fond d’un brouillard et lui lançaient des jets de feu, pendant qu’au pied de son lit une figure noire et sillonnée de rides se tenait accroupie, marmottant des syllabes d’une langue inconnue; le comte Olaf parut aussi dans ce rêve absurde, mais revêtu d’une forme qui n’était pas la sienne.

      Nous n’essayerons pas de peindre le désappointement d’Octave lorsqu’il se trouva en face d’une porte fermée et qu’il entendit le grincement intérieur du verrou. Sa suprême espérance s’écroulait. Eh quoi! il avait eu recours à des moyens terribles, étranges; il s’était

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