L'Assommoir. Emile Zola

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L'Assommoir - Emile Zola

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Boche, pourtant, cherchait le garçon du lavoir.

      – Charles! Charles!.. Où est-il donc?

      Et elle le trouva au premier rang, regardant, les bras croisés. C'était un grand gaillard, à cou énorme. Il riait, il jouissait des morceaux de peau que les deux femmes montraient. La petite blonde était grasse comme une caille. Ça serait farce, si sa chemise se fendait.

      – Tiens! murmura-t il en clignant un oeil, elle a une fraise sous le bras.

      – Comment! vous êtes là! cria madame Boche en l'apercevant. Mais aidez-nous donc à les séparer!.. Vous pouvez bien les séparer, vous!

      – Ah bien! non, merci! s'il n'y a que moi! dit-il tranquillement. Pour me faire griffer l'oeil comme l'autre jour, n'est-ce pas?.. Je ne suis pas ici pour ça, j'aurais trop de besogne… N'ayez pas peur, allez! Ça leur fait du bien, une petite saignée. Ça les attendrit.

      La concierge parla alors d'aller avertir les sergents de ville. Mais la maîtresse du lavoir, la jeune femme délicate, aux yeux malades, s'y opposa formellement. Elle répéta à plusieurs reprises:

      – Non, non, je ne veux pas, ça compromet la maison.

      Par terre, la lutte continuait. Tout d'un coup, Virginie se redressa sur les genoux. Elle venait de ramasser un battoir, elle le brandissait. Elle râlait, la voix changée:

      – Voilà du chien, attends! Apprête ton linge sale!

      Gervaise, vivement, allongea la main, prit également un battoir, le tint levé comme une massue. Et elle avait, elle aussi, une voix rauque.

      – Ah! tu veux la grande lessive… Donne ta peau, que j'en fasse des torchons!

      Un moment, elles restèrent là, agenouillées, à se menacer. Les cheveux dans la face, la poitrine soufflante, boueuses, tuméfiées, elles se guettaient, attendant, reprenant haleine. Gervaise porta le premier coup; son battoir glissa sur l'épaule de Virginie. Et elle se jeta de côté pour éviter le battoir de celle-ci, qui lui effleura la hanche. Alors, mises en train, elles se tapèrent comme les laveuses tapent leur linge, rudement, en cadence. Quand elles se touchaient, le coup s'amortissait, on aurait dit une claque dans un baquet d'eau.

      Autour d'elles, les blanchisseuses ne riaient plus; plusieurs s'en étaient allées, en disant que ça leur cassait l'estomac; les autres, celles qui restaient, allongeaient le cou, les yeux allumés d'une lueur de cruauté, trouvant ces gaillardes-là très-crânes. Madame Boche avait emmené Claude et Étienne; et l'on entendait, à l'autre bout, l'éclat de leurs sanglots mêlé aux heurts sonores des deux battoirs.

      Mais Gervaise, brusquement, hurla. Virginie venait de l'atteindre à toute volée sur son bras nu, au-dessus du coude; une plaque rouge parut, la chair enfla tout de suite. Alors, elle se rua. On crut qu'elle voulait assommer l'autre.

      – Assez! assez! cria-t-on.

      Elle avait un visage si terrible, que personne n'osa approcher. Les forces décuplées, elle saisit Virginie par la taille, la plia, lui colla la figure sur les dalles, les reins en l'air; et, malgré les secousses, elle lui releva les jupes, largement. Dessous, il y avait un pantalon. Elle passa la main dans la fente, l'arracha, montra tout, les cuisses nues, les fesses nues. Puis, le battoir levé, elle se mit à battre, comme elle battait autrefois à Plassans, au bord de la Viorne, quand sa patronne lavait le linge de la garnison. Le bois mollissait dans les chairs avec un bruit mouillé. A chaque tape, une bande rouge marbrait la peau blanche.

      – Oh! oh! murmurait le garçon Charles, émerveillé, les yeux agrandis.

      Des rires, de nouveau, avaient couru. Mais bientôt le cri: Assez! assez! recommença. Gervaise n'entendait pas, ne se lassait pas. Elle regardait sa besogne, penchée, préoccupée de ne pas laisser une place sèche. Elle voulait toute cette peau battue, couverte de confusion. Et elle causait, prise d'une gaieté féroce, se rappelant une chanson de lavandière:

      – Pan! pan! Margot au lavoir… Pan! pan! à coups de battoir… Pan! pan! va laver son coeur… Pan! pan! tout noir de douleur…

      Et elle reprenait:

      – Ça c'est pour toi, ça c'est pour ta soeur, ça c'est pour Lantier…

      Quand tu les verras, tu leur donneras ça… Attention! je recommence.

      Ça c'est pour Lantier, ça c'est pour ta soeur, ça c'est pour toi…

      Pan! pan! Margot au lavoir… Pan! pan! à coups de battoir…

      On dut lui arracher Virginie des mains. La grande brune, la figure en larmes, pourpre, confuse, reprit son linge, se sauva; elle était vaincue. Cependant, Gervaise repassait la manche de sa camisole, rattachait ses jupes. Son bras la faisait souffrir, et elle pria madame Boche de lui mettre son linge sur l'épaule. La concierge racontait la bataille, disait ses émotions, parlait de lui visiter le corps, pour voir.

      – Vous avez peut-être bien quelque chose de cassé… J'ai entendu un coup…

      Mais la jeune femme voulait s'en aller. Elle ne répondait pas aux apitoiements à l'ovation bavarde des laveuses qui l'entouraient, droites dans leurs tabliers. Quand elle fut chargée, elle gagna la porte, où ses enfants l'attendaient.

      – C'est deux heures, ça fait deux sous, lui dit en l'arrêtant la maîtresse du lavoir, déjà réinstallée dans son cabinet vitré.

      Pourquoi deux sous? Elle ne comprenait plus qu'on lui demandait le prix de sa place. Puis, elle donna ses deux sous. Et, boitant fortement sous le poids du linge mouillé pendu à son épaule, ruisselante, le coude bleui, la joue en sang, elle s'en alla, en traînant de ses bras nus Étienne et Claude, qui trottaient à ses côtés, secoués encore et barbouillés de leurs sanglots.

      Derrière elle, le lavoir reprenait son bruit énorme d'écluse. Les laveuses avaient mangé leur pain, bu leur vin, et elles tapaient plus dur, les faces allumées, égayées par le coup de torchon de Gervaise et de Virginie. Le long des baquets, de nouveau, s'agitaient une fureur de bras, des profils anguleux de marionnettes aux reins cassés, aux épaules déjetées, se pliant violemment comme sur des charnières. Les conversations continuaient d'un bout à l'autre des allées. Les voix, les rires, les mots gras, se fêlaient dans le grand gargouillement de l'eau. Les robinets crachaient, les seaux jetaient des flaquées, une rivière coulait sous les batteries. C'était le chien de l'après-midi, le linge pilé à coups de battoir. Dans l'immense salle, les fumées devenaient rousses, trouées seulement par des ronds de soleil, des balles d'or, que les déchirures des rideaux laissaient passer. On respirait l'étouffement tiède des odeurs savonneuses. Tout d'un coup, le hangar s'emplit d'une buée blanche; l'énorme couvercle du cuvier où bouillait la lessive, montait mécaniquement le long d'une tige centrale à crémaillère; et le trou béant du cuivre, au fond de sa maçonnerie de briques, exhalait des tourbillons de vapeur, d'une saveur sucrée de potasse. Cependant, à côté, les essoreuses fonctionnaient; des paquets de linge, dans des cylindres de fonte, rendaient leur eau sous un tour de roue de la machine, haletante, fumante, secouant plus rudement le lavoir de la besogne continue de ses bras d'acier.

      Quand Gervaise mit le pied dans l'allée de l'hôtel Boncoeur, les larmes la reprirent. C'était une allée noire, étroite, avec un ruisseau longeant le mur, pour les eaux sales; et cette puanteur qu'elle retrouvait, lui faisait songer aux quinze jours passés là avec Lantier, quinze jours de misère et de querelles, dont le souvenir, à cette heure, était un regret cuisant. Il lui sembla entrer dans son abandon.

      En haut, la chambre était

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