Entre ombres et obscurités. Willem Ngouane

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Entre ombres et obscurités - Willem Ngouane

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d’aller faire des dons. Je trouvais cela vraiment fou!!

      Malgré mes réticences, je violentai mes peurs et me résolus à suivre mes imposantes obligations… Après une courte sieste, et une longue prière animée par ma femme, je pris ma voiture en direction de Waloua. Je me fis accompagner par deux gendarmes, cela aurait été une folie de s’y rendre tout seul, et surtout non-armé.

      À ma grande surprise le début du trajet était fort agréable. La beauté de la nature m’emportait en combattant le scepticisme qui m’avait convaincu d’un florilège d’images navrantes dès les premiers kilomètres de route. L’émerveillement me supplantait à la vue des plantations de café, elles dégageaient une esthétique provoquant en moi l’idée selon laquelle des intentions artistiques délibérées animaient forcement les agriculteurs lors de leur semence. C’était si beau!!

      La structure des habitations contrastait énormément avec l’urbanité à laquelle je m’efforçais de m’habituer dans la capitale. L’humidité régnait dans l’air avec une pureté qui me rapprochait de ce que l’imaginaire commun nous renvoie comme tentative de définition du paradis. De temps à autre aux postes de péage routier, nous avions droit à de réelles scènes d’agressivité commerciale, une véritable démonstration de la débrouillardise rurale: de jeunes commerçants prenaient d’assaut les véhicules en proposant à leurs occupants divers produits alimentaires: du bâton de manioc, du mets de pistache, etc. L’amabilité apparente et fortement séductrice des vendeurs compliquait la domination sans partage de ma chicheté habituelle, et finissait par m’obtenir de trahir mes penchants radins pour me soustraire d’une culpabilité naissante face à tant d’affabilité.

      Malheureusement la suite du voyage vint confirmer toutes mes plus folles appréhensions en me désolant à foison. Plus on avançait, plus ce décor paradisiaque laissait place à un tableau sombre et pathétique. Arrivés à la bordure de Waloua, nous découvrîmes la rouille dominante sur la plaque indiquant le nom de la ville, elle nous annonçait l’état de délabrement total qui y régnait. Les cicatrices de la guerre restées encore visibles depuis toutes ces années créaient une ambiance de maison hantée où l’esprit du malin s’accapare les plus grandes peurs en asservissant les âmes pour laisser les mentalités dans ce qu’elles ont de plus primitif. J’avais l’impression d’être un de ces grands reporters de chaines de télévision occidentales suffisamment fou pour se rendre en territoire hostile et poussé par un enthousiasme professionnel qui le castre de tout sens de la responsabilité envers soi-même et sa vie.

      Comment faisaient-ils pour y vivre? La pauvreté criait sur tous les toits. Pourquoi toute cette misère? Même si cette région avait une histoire qui pouvait l’incriminer aux yeux de certains, la logique de la solidarité ne saurait pardonner cette absence de compassion de la part des élites de la nation.

      Alors que je me perdais progressivement dans mes questionnements émotionnels, subitement je vis une bande de jeunes se diriger tout droit vers notre véhicule avec de lisibles et hostiles intentions. Après les avoir aussi vus, la nervosité brulait dans les yeux des gendarmes qui m’accompagnaient. J’apercevais la vapeur de la rage sortir de leurs peaux, aérant leurs grosses veines encastrées dans des biceps d’une énormité respectant la norme professionnelle d’homme en tenue. À peine je me plaçais pour mieux distinguer la tête des jeunes qu’un des gendarmes, lui, avait déjà brusquement ouvert la portière de la voiture et pointait désormais son calibre sur eux!

      – Vous vous croyez où ici? Tirez! Vous allez voir! C’est tout le village que vous allez tuer, cria un des villageois, ce devait être lui le leader.

      Sans doute je me suis laissé influencer par la négativité de la situation, mais j’ai trouvé que ce personnage était taché d’une laideur macabre! En même temps, il fallut qu’il soit laid pour asseoir son autorité sur ses naïfs sbires, sinon je ne vois pas quel autre argument il pouvait avoir parce qu’il était d’une corpulence qui n’effraierait même pas un bambin.

      Un silence inquiétant s’imposa ensuite. Tous les protagonistes se regardaient avec de la défiance pleine dans les yeux, on se serait cru dans un western américain: avec d’un côté le bon que je représentais à côté des brutes qu’étaient les gendarmes, et de l’autre côté les truands villageois. L’électricité montante me conseilla d’agir avant de voir les balles fuser des armes de ces excités hommes en tenue et atteindre d’idiots adversaires simplement munis de machettes. Je ne voulais en aucun cas voir mon nom mêlé aux grands titres de journaux d’opposition et de la communauté internationale qui à son habitude condamnera promptement une énième dérive d’un gouvernement africain.

      Fort de ce risque, j’ouvris ma portière et m’adressai aux hommes en tenue d’un ton solennel :

      – Ça va les gars, baissez vos armes.

      Les gendarmes s’exécutèrent tout en exprimant un mécontentement dans leurs gestes, après avoir été stoppés dans leurs envies de punition.

      – Je me présente: je suis Paul Endenne, je travaille au ministère de l’éducation nationale. Nous accompagnons le ministre pour les dons qu’il doit faire au profit de l’école publique, dis-je aux jeunes délinquants d’un ton conciliateur. Mais ils se mirent plutôt à me brutaliser du regard en affichant leur rage devant l’assurance et la détente avec laquelle je m’étais adressé à eux.

      Les seuls comportements que ce type de personnes était habitué à voir de la part des étrangers se résumaient en de la soumission. J’imaginais le cataclysme mental qu’ils avaient dû subir en voyant un maigre civil s’adresser à eux avec tant de maitrise émotionnelle. S’ils avaient seulement fait un tour dans mes cavités nerveuses, ils auraient su que la peur régnait à l’unanimité dans le royaume de mes sentiments.

      – Les dons? demanda soudainement l’un d’eux.

      – Oui les dons, idiot, répondit un autre, comme pour signifier au premier la stupidité de sa question.

      Puis ils se mirent à discuter entre eux en dialecte. Il me paraissait difficile de saisir le moindre mot de leur conversation malgré mes bases solides de maîtrise de plusieurs langues de mon pays. Les gendarmes quant à eux étaient toujours prêts à en découdre, ils continuaient à fixer du regard les jeunes gens en serrant leurs armes.

      – Ça va, vous pouvez passer, conclut leur leader deux minutes après le début de leur conclave. Vous êtes les gens du ministre Agbwala, c’est un bon gars.

      Après la conclusion du chef de file, tout le groupe s’était écarté du chemin d’un mouvement harmonisé semblable à un ballet aquatique. Le regret se faisait encore lire sur les visages de mes gardes du corps quand ils reprenaient place dans la voiture. Ils avaient dû considérer tout ce qui venait de se passer comme un acte de défiance, un affront qu’un homme en tenue digne de ce nom ne saurait tolérer. De grâce, nous continuâmes ensuite notre chemin avec plus de tranquillité, c’en était moins une!

      Arrivé au centre du village, je pris la décision de rencontrer la directrice de l’école en premier lieu, mais constatai qu’elle ne se trouvait pas à son bureau lorsque je m’y rendis. Heureusement, quelques secondes plus tard, en repassant par la cour de l’école, un habitant la pointa du doigt à l’autre bout du terrain de football où elle discutait avec quelques enfants. Alors que je m’attendais une fois rapproché à voir une dame sèche aux grosses lunettes et à l’autorité frappante, c’est avec plaisir que je découvris qu’il s’agissait d’une femme charmante, tenue sur de hauts talons, charnue, et dont la beauté au premier regard entrainerait plus d’un dans une tentative d’appropriation corporelle. Elle faisait dans les un mètre soixante, un teint foncé, et un visage rond rempli

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