Pour cause de fin de bail. Alphonse Allais
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L'un deux proposa:
–Voulez-vous qu'on fasse une bonne blague au père Becquenfleur?
Assentiment unanime.
Voilà notre farceur qui se pose juste en face de la vieille et ancestrale horloge et qui, dodelinant de la tête, l'index tendu, accompagne d'un balancement rythmique de tout son corps le mouvement du balancier.
Entre le père Becquenfleur?
–Zut! s'écrie le fumiste, c'est trop difficile!… C'est même impossible.
–Quoi donc qu'est impossible? s'informe l'ingénu bonhomme.
–Se mettre en face d'une horloge et suivre, le doigt tendu et en balançant le corps, le mouvement du pendule, tout cela, pendant cinq minutes, et sans ouvrir la bouche.
–C'est si difficile que ça?
–Je vous dis que c'est impossible.
–Allons donc!
–Voulez-vous parier?… Tenez, je vous parie du champagne pour toute la compagnie que vous n'y arrivez pas.
Le père Becquenfleur se gratte la tête, suppute et tient la gageure.
Pas un spectacle au monde ne me semblera jamais d'un comique comparable à celui que nous eûmes alors sous les yeux.
Le père Becquenfleur, serrant les lèvres farouchement, pour ne pas parler, avait contracté un mouvement qui rappelait celui de ces ours assis sur leur derrière et qui se balancent en mesure.
Pendant ce temps, l'un de ces messieurs courait à la cuisine et prévenait la mère Becquenfleur.
–Je ne sais pas ce qu'a votre mari… un coup de folie subite probablement. Il vient de s'installer devant son horloge, et il se balance comme cela, regardez, sans dire un mot… Vous devriez bien venir, nous sommes tous inquiets!
Un peu sceptique—elle en a tant vu, la pauvre femme!—la mère Becquenfleur consent tout de même à se déranger, et quelle n'est point son épouvante en constatant la parfaite véracité du récit du voyageur!
Elle se précipite sur son mari:
–Eh bien! quoi, mon bonhomme, qu'est-ce qu'il y a? Qu'est-ce qui te prend? Mais parle donc!
Tout à l'idée de gagner son pari, le père Becquenfleur continue son dandinement et s'opiniâtre dans son mutisme.
La mère Becquenfleur se démente alors et clame:
–Maria! Augustine! Allez vite quérir le médecin! Mon pauvre bonhomme qu'est devenu fou!
Épouse dévouée, elle se jette en larmes sur son mari, le serre dans ses bras!
–Bougre de vieille g…! s'écrie alors le père Becquenfleur. Tu viens de me faire perdre au moins six bouteilles de champagne!
Et tous de rire.
DE L'INUTILITÉ DE LA MATIÈRE
Un fait des plus curieux et—je crois—sans précédent, vient de s'accomplir à l'Hôtel des Invalides, non sans jeter une énorme stupeur dans le petit monde de ces glorieux débris.
Deux pensionnaires de l'établissement, le nommé A… et le nommé B…, s'étaient pris, depuis longtemps, l'un pour l'autre, d'une vive animosité.
A… qui, au siège de Sébastopol, eut les deux cuisses gelées et, par la suite, amputées, est bien entendu, cul-de-jatte.
B…, lui, s'est vu, à Magenta, emporter les deux bras par un boulet (d'origine que tout porte à croire autrichienne): il est donc manchot.
Sempiternel motif de leurs discussions: la supériorité de la campagne de Crimée sur la guerre d'Italie, et réciproquement.
Dimanche dernier, vers le soir, les deux vieux braves, qui, des boissons fermentées, avaient fait usage excessif, redoublèrent d'acrimonie dans leurs propos.
B…, le manchot, alla même jusqu'à insinuer que le siège de Sébastopol n'était pas autre chose qu'une plaisanterie franco-russe des plus anodines et que, d'ailleurs, les Russes, c'est bien connu, aiment tant les Français qu'il leur répugnerait de tirer le moindre coup de fusil sur leurs alliés. Et puis, ajoutait-il, avoir les cuisses gelées, voilà-t-il pas une grande gloire! Un accident, tout au plus, à peine digne d'un hôpital civil.
A…. le cul-de-jatte, perdit patience:
–Si tu répètes ça, s'écria-t-il, je te f… mon pied dans le c…
B… le répéta.
Il n'avait pas plutôt terminé sa phrase que A… oubliant ses deux jambes restées là-bas, se levait, et avec une prestesse qu'on n'aurait pas attendue de lui, faisait le tour de B… et lui flanquait son pied dans le derrière.
Le manchot pâlit sous l'injure, puis, grinçant des dents, fou de rage, gratifia par deux fois son insulteur de soufflets retentissants; après quoi, se précipitant sur lui, il se disposait à l'étrangler de ses deux poings crispés.
Les témoins de cette scène pénible intervinrent alors et mirent fin au scandale.
Hein! Qu'est-ce que vous pensez de ma petite histoire?
Un cul-de-jatte qui flanque des coups de pieds dans le derrière d'un manchot lequel riposte par des giffles!!!
Vous haussez les épaules.
Fort bien, c'est si facile de hausser les épaules!
Mais de ces autres et suivantes histoires, que direz-vous?
Je vous laisse la parole, mon colonel:
«Je connais une jeune personne dont on avait amputé la cuisse; plusieurs fois elle s'est tenue et a fait quelques pas sur ses deux jambes, c'est-à-dire sur la jambe non amputée et sur la jambe de fluide vital; c'était ordinairement en sortant de son lit. Sa mère, témoin, était obligée de s'écrier:
«Ah! malheureuse! Tu n'as pas ta jambe de bois!»
» Un médecin de mes amis m'a assuré avoir vu un officier, dont la cuisse avait été amputée, marcher jusqu'au milieu de sa chambre sans s'apercevoir qu'il n'avait pas sa jambe de bois, et ne s'arrêter que lorsqu'il en faisait la réflexion; alors la jambe de fluide vital n'avait plus la force de supporter le poids de son corps.»
Haussez-vous encore les épaules?
Oui.
Eh bien! vous n'êtes pas poli pour l'armée, car ces deux dernières histoires de jambes de bois sont textuellement extraites du livre de M. le lieutenant-colonel Albert de Rochas sur l'Extériorisation de la sensibilité.
Ah! ah! vous ne rigolez plus, mes drôles!
Vive l'armée!
LA SÉCURITÉ DANS LE CHANTAGE
Je reçois d'un fidèle lecteur