Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises. Charles Nodier
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises - Charles Nodier страница 5
L'Onomatopée est d'un grand secours aux poëtes, puisqu'elle est comme l'ame de l'harmonie pittoresque et de la poésie imitative.
Quels qu'ils soient, aux objets conformez votre ton.
Ainsi que par les mots exprimez par le son.
Peignez en vers légers l'amant léger de Flore.
Qu'un doux ruisseau murmure en vers plus doux encore.
Entend-on d'un torrent les ondes bouillonner?
Le vers tumultueux en roulant doit tonner,
Que d'un pas lent et sourd le bœuf fende la plaine,
Chaque syllabe pèse, et chaque mot se traîne.
Mais si le daim léger bondit, vole et fend l'air,
Le vers vole et le suit aussi prompt que l'éclair,
Ainsi de votre chant la marche cadencée
Imite l'action et note la pensée.
On voit qu'indépendamment des Onomatopées nombreuses qu'a employées le poëte, il a trouvé un autre moyen d'harmonie dans le concours heureux de certains mots choisis, qui sans être imitatifs par eux-mêmes, produisent cependant une imitation parfaite.
Que d'un pas lent et lourd le bœuf fende la plaine.
Ce vers, par exemple, est composé de monosyllabes durs et heurtés qui représentent très-bien la marche du bœuf, et qui la notent exactement à l'oreille.
Tout le monde se rappelle cet admirable passage de Boileau, dans le poëme du Lutrin:
Ses ais demi pourris que l'âge a relâchés
Sont à coup de maillet unis et rapprochés.
Sous les coups redoublés tous les bancs retentissent;
Les murs en sont émus, les voûtes en mugissent,
Et l'orgue même en pousse un long gémissement.
Que fais-tu, chantre, hélas! dans ce triste moment?
Tu dors d'un profond somme.
Cet hémistiche ne le cède en rien au procumbit humi bos de Virgile.
Ces exemples ne sont pas rares chez les Latins, et sur-tout dans ce dernier poëte. Il n'est personne qui n'ait entendu citer ces vers d'une si riche harmonie:
Tum ferri rigor atque argutæ lamina serræ.
Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum.
Necdum etiam audierant inflari classica, necdum
Impositos duris crepitare incudibus enses.
Luctantes ventos, tempestatesque sonoras.
Continuò ventis surgentibus, aut freta ponti.
Incipiunt agitata tumescere, et aridus altis
Montibus audiri fragor, aut resonantia longè
Littora misceri, et nemorum increbrescere murmur.
On est même parvenu à exprimer les différentes passions de l'ame, au moyen de la seule prosodie.
Ses gardes affligés
Imitaient son silence autour de lui rangés:
Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes,
Sa main sur ses chevaux laissait flotter les rênes;
Ces superbes coursiers qu'on voyait autrefois
Pleins d'une ardeur si noble obéir à sa voix,
L'œil morne maintenant et la tête baissée
Semblaient se conformer à sa triste pensée.
Et dans Virgile:
Extinctum Nymphæ crudeli funere Daphnim
Flebant.
Mais autant ces belles combinaisons sont agréables et ingénieuses, autant est misérable l'abus qu'on en a fait quelquefois, et principalement de nos jours. Puisqu'on a osé reprocher à Racine un emploi trop recherché de l'Onomatopée dans certains vers d'Andromaque et de Phèdre, que doit-on penser, en effet, de ces poëmes descriptifs devenus si communs, et qui ne sont, à dire vrai, qu'un entassement laborieux d'expressions étudiées? Cette affectation est tout-à-fait indigne d'un vrai poëte, et le résultat de tant d'efforts minutieux n'est bon qu'à augmenter le nombre de ces nugæ difficiles si méprisées des gens de goût. Il me serait trop aisé de montrer à quel point on a porté récemment ce travers d'esprit, et ce que j'en dirais ne serait peut-être pas sans utilité; mais qu'il me suffise de rappeler la description de l'alouette, par Dubartas, qui est le prototype de toutes les sottises qu'on a faites dès-lors en ce genre.
Je ferai la même observation sur les mots purement factices que des auteurs peu délicats dans le choix des termes, ont cru pouvoir créer pour exprimer des sons qu'ils ne savaient pas imiter autrement. Si une pareille fantaisie était de nature à devenir contagieuse, la langue serait bientôt inondée d'onomatopées barbares, et n'offrirait plus qu'une suite de cacophonies intolérables. Le vers macaronique, qui peint les éclats de l'escopette, et le taratantara d'Ennius sont de cette espèce; mais il n'y a rien de comparable, parmi les abus de l'harmonie imitative et du langage factice, au breke ke koax de J.-B. Rousseau. Il est d'ailleurs important de remarquer qu'il n'est donné qu'aux poëtes d'un grand talent d'employer heureusement les effets d'une harmonie rauque et pénible. On ne choque impunément l'oreille, qu'autant qu'il le fallait pour ajouter à la force et à l'éclat de la pensée. Ce sont de ces licences qui veulent être justifiées par le succès, et qu'on ne pardonne qu'en faveur de l'impression qu'elles produisent.